Sur chaque tract et affiche des candidats de la LRC aux législatives, on pouvait lire en bas « X, soutenu(e) par Olivier Besancenot. » Avec en prime, sur les affiches, une photo du facteur en question. En quoi est-ce que le fait d’être soutenu ou non par Oliver Besancenot constitue un argument rationnel invitant au vote LCR ?

Ce type de mention – tampon label rouge – paraît pour le moins étrange, surtout quand on entend par ailleurs des militants de la Ligue expliquer qu’ils sont opposés à toute personnalisation médiatique du parti autour de Besancenot, qu’il n’est qu’un porte parole, que c’est le collectif de la Ligue qui prime, etc.

La LCR a produit un candidat séduisant qui passe très bien dans les médias et, comme les publicitaires, elle entend rentabiliser le capital sympathie de Besancenot. Que la Ligue commence donc par assumer son choix de la stratégie marketing en politique. Ensuite, nous pouvons discuter de ce choix. Mais si la Ligue pratique la langue de bois, en faisant comme si elle refusait toute compromission avec les formes médiatiques dominantes, alors il n’y a même pas de débat possible. Qu’ils nous disent « nous avons fait le choix d’une campagne utilisant les stratégies de communication et de marketing issues de la publicité, et la focalisation médiatique sur une personne. » Car c’est le cas. Ils pourront ajouter ensuite « car nous considérons que c’est une nécessité politique dans le contexte présent. » Ce qui ouvre le débat. Première mise en garde donc, sur la tendance à l’hypocrisie, peu constructive. Amis de la Ligue, arrêtez de nous prendre pour des cons, et de nous dire « mais non, c’est faux, on ne fait pas de comm’ ! ».

Pourquoi nous contestons le recours aux stratégies marketing en politique ?

Tout d’abord parce que c’est de l’espace pour l’information politique sur les tracts et les affiches qui est sacrifié. L’espace consacré à l’information réelle, et donc subversive, est tellement limité qu’on ne peut se permettre de le remplir de photos design ou de symboles 100 % marketing.

La publicité mérite toujours un décodage. La phrase de comm’ à partir de laquelle nous discutons signifie en clair « X est copain/copine avec le facteur que vous trouvez sympa, donc c’est super, votez pour lui/elle ! » Le but est clairement de créer une effet cognitif de séduction, utilisant le capital sympathie du leader d’extrême gauche le plus médiatiquement côté. La démarche est donc anti-réflexive : c’est de la publicité.

Faut-il rappeler que les voix de personnes qui ont besoin des mentions « vu à la télé » et « soutenu par Olivier Besancenot » pour se prononcer, ne nous intéressent pas pour construire une résistance durable ? Maintenir ces personnes en situation de client errant dans le supermarché politique, c’est permettre qu’à la première réforme anticapitaliste menaçant le confort de leur non-vie, elles votent pour nos ennemis, exactement comme elles avaient voté pour la résistance, selon les mêmes procédés publicitaires. La prise de pouvoir ne doit que succéder la prise de conscience ! Toute prise de pouvoir déconnectée d’une prise de conscience, d’un changement profond dans les mentalités, n’est qu’illusoire, et donc dangereuse car elle débouche toujours sur un bain de sang. Tirons des leçons de l’histoire : « Les révolutions qui commencent en troupeau finissent à l’abattoir. »

L’urgence est au contraire d’informer sérieusement ces personnes pour qu’elles ne choisissent plus leur candidat comme elles choisissent entre Fanta et Coca, en fonction d’un slogan martelé pour éviter toute réflexion, en fonction de la tête maquillé d’un candidat formaté et fashionisé.

On est d’accord pour dire que la spectacularisation de la politique, débutée dans les années 1960, a dramatiquement appauvri le débat d’idées. Pourquoi dans ce cas décidez-vous d’y participer allègrement ? Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Mêmes recettes marketing, mêmes gâteaux aliénants. Comme elles sont dramatiquement oubliées, les critiques de l’industrie culturelle et de la société du spectacle. Avec comme leader de l’anticapitalisme, un beau petit prince mis en scène et qui signe des autographes, les bourgeois doivent tranquillement sourire et se reposer sur leurs billets.

Utiliser des procédés cognitifs de persuasion, (usage cynique de la psychologie et de la sociologie), qui font d’autrui un être passif, un client à séduire, malgré lui, c’est clairement collaborer et prendre joyeusement part à la mortifère mascarade spectaculaire qui colonise l’ensemble de nos vies.

Nous cherchons à convaincre des humain-e-s que la seule vie qui vaille est une vie digne, debout. Nous cherchons à expliquer à nos proches que courber l’échine sous les coups de la domination, ou participer par l’inaction au massacre collectif de l’espèce humaine et de son ecosystème est insupportable. C’est un constant travail philosophique, de dissidence, c’est-à-dire un effort pour nous arracher les un-e-s les autres à ce monde que nous contestons. Nous ne cherchons pas à exploiter les failles psychologiques des quelques âmes qui se posent quelques questions pour les amener à foutre un bulletin inutile dans une boîte magique.

Le but de l’information politique est que les gens ne votent plus pour des candidats-stars. Comme disait Coluche, « il suffirait que les gens arrêtent d’en acheter pour qu’ils arrêtent d’en vendre. » A mesure que le travail critique progressera, le système se videra, les candidats fantoches perdront, les Mac Do seront désertés. On n’est pas arrivés, certes, mais le constat pessimiste et déprimant ne doit pas démotiver l’action, et encore moins la compromission.

Nous ne croyons plus à la stratégie court-termiste disant qu’il faut d’abord utiliser la pub pour faire élire un candidat-star pour, une fois au pouvoir, abolir la pub. D’abord, parce qu’une fois au pouvoir, on cherche avant tout à s’y maintenir. Ensuite, parce que l’électorat ainsi berné refusera toute révolution de sa vie quotidienne.

Face à la puissance des idéologies qui nous formatent (rapport au corps, à l’autre, à la nature, culte de l’image, du paraître, etc.) nous luttons ensemble pour une désintoxication collective. C’est pourquoi il nous semble impossible employer des moyens grossièrement toxiques tels que la pub et le fashion style de la Ligue.

Vous invoquez sans cesse le sacro-saint argument du « pragmatisme » et du « réalisme politique ». Mais en quoi est-ce pragmatique d’utiliser des techniques de comm’ pour faire perdre des législatives pourries ?

Amilitant-e-s de la Ligue, les deniers que vous versez au parti ont servi à financer un marketing politique nécessairement aliénant. Des milliers d’euros pour maintenir l’électeur et les lecteurs de tracts dans l’apathie spectaculaire, des milliers d’euros dépensés pour faire moins de 3% à des élections qui ne nous intéressent pas, des milliers d’euros qui auraient pu servir à construire une résistance de fond contre un capitalisme de fond, ou à aider concrètement les victimes de la répression politique et économique.

Soutenir les victimes du capitalisme nous semble être une nécessité éthique, mais c’est aussi un premier acte de politisation. Une victime de la justice d’abattage aidée par une association sera bien plus politisée qu’un consommateur temporaire de slogans sur papier glacé ou de photos à la mode.

Chaque année vous achetez un stock de drapeaux neufs aux couleurs du Parti. C’est ça, le pragmatisme ?

PPour une critique constructive de la Ligue, lire aussi :

– Quittez les partis (Réaction à la lettre de démission de la LCR par Willy Pelletier)
http://dissidence.over-blog.com/article-6685422.html

– « On ne fait pas la loi à qui risque sa vie devant le pouvoir » (Réaction au « je désapprouve » d’Olivier Besancenot, suite aux révoltes du second tour)
http://dissidence.over-blog.com/article-6719666.html

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