Les Juifs ne sont pas les miens. Les miens sont Hashem et sa famille de Bil’in

Par Benny Ziffer

http://www.haaretz.co.il/hasite/spages/845020.html

[Benny Ziffer est chroniqueur littéraire au journal Ha’aretz. Cet article n’est pas paru dans la version anglaise du journal]

Il n’y a rien de festif dans cet article. Passover, Shmassover, je hais les fêtes parce que tandis que nous célébrons, pendant que nous autres Juifs babillons des slogans sur la liberté, et fantasmons que nous sommes une pauvre nation en esclavage, nous sommes en fait occupés à réduire le peuple palestinien en esclavage. Ça devient banal et ennuyeux de le répéter mille fois, mais à mes yeux, l’hypocrisie éclate dans les cieux. [La prière de Pâque] ‘O pain de pauvreté’ n’est plus le pain de pauvreté des Juifs mais celle de nombreuses familles palestiniennes dans les territoires occupés, qui vivent des trente ou quarante shekels que le chef de famille parvient à quémander en faisant des petits boulots de temps à autres.

J’ai fait connaissance d’une de ces familles vendredi vernier. J’ai accompagné ma fille, Talila, à une manifestation contre le Mur à Bil’in. La marche à suivre consiste à se rassembler à la gare nord de Tel Aviv, et de là nous organiser dans des minibus et des voitures privées arabes, et de rouler vers ces villages palestiniens dont les revenus ont été affectés par le Mur. C’est-à-dire que le Mur sépare les villageois de leurs terres. Ma fille a l’habitude de ces manifestations. C’était la première fois pour moi. C’est ainsi que j’ai rencontré le Dr. Ilan Shalif, âme vivante des manifestations et organisateur des transports.

Shalif est un psychologue et un anarchiste, qui a certainement mieux à faire de son temps que de s’occuper à organiser des taxis. Voila ce que c’est d’être idéaliste : faire des choses par altruisme. Il arrive équipé de larges lunettes spéciales pour se protéger de l’atteinte des grenades lacrymogènes que la police des frontières lui lancera. Ce qui m’a encouragé, c’est que les manifestants ne sont pas tous des jeunots, certains ont plus ou moins mon age, comme Yisrael et Dvorah (Dvorah Ferdel-Zilberstein) qui finalement se portèrent volontaires pour nous emmener dans sa Vauxhall rouge pour Bil’in.

Nous nous mettons d’accord sur un prétexte si nous sommes stoppés au checkpoint à la sortie de la route 443. On dirait qu’on part pour une cérémonie de circoncision dans une des colonies. Mais finalement personne ne nous a stoppé au checkpoint, et pas plus les voitures derrière nous. Et donc nous allons de colline en vallée entre des villages beaux et tranquilles, entre oliveraies et champs de fleurs, jusqu’à notre arrivée à Bil’in.

Dans l’intérêt de rester calme et sain d’esprit, il vaut mieux ne pas regarder les nouvelles colonies qui éclosent sur le chemin de Bil’in. Toutes sortes d’affreux tas de ciment qui détruisent les magnifiques panoramas de cette terre au nom d’un ‘amour d’Israël’ bidon. Quand je regarde cette mocheté colossale, conçue pour loger toutes sortes de parasites orthodoxes étrangers dont le seul job est de haïr les non-Juifs, je réalise que ce qu’on appelle la « nation juive » n’est pas du tout ma nation, et que je me sens bien plus en sympathie et en empathie envers les résidents Palestiniens des territoires occupés, comme la famille de Bil’in qui nous a accueilli, ma fille et moi, après que j’aie été blessé (légèrement) pendant la manifestation par l’explosion d’une grenade assourdissante.

Le père de famille s’appelle Hashem. Sa femme Zahara. Ils ont deux filles mariées qui vivent tout près, et des petits enfants adorables. Je ne suis senti tout de suite à l’aise. Hashem m’apporta des herbes du jardin, qui étaient supposés aider à contrer les effets du gaz lancé sur moi par les soldats. Zahara se dépêcha de nous apporter un plateau rempli de légumes frais, de pain pita, d’huile d’olive et de zaatar. Leur maison était petite, agréable et bien éclairée. Hashem travaille épisodiquement comme jardinier dans les maisons de gens riches de Ramallah. Par chance, son frère possède la seule épicerie du village et lui vend à crédit. C’est ainsi qu’ils parviennent à survivre.

Alors que je marchais avec les manifestants – des villageois, des gens de Ramallah, et des militants israéliens et internationaux – vers la porte dans le Mur, protégée par la police des frontières armée, ma fille me raconta qu’une unité de la police des frontières avait occupé le toit d’Hashem et tiré sur le maison voisine, d’où des pierres auraient été lancées. Ma fille leur cria que la maison sur laquelle ils tiraient abritait des personnes âgées et invalides, mais ils l’ignorèrent.

Sur ces entrefaites, je me retrouvai face aux soldats qui gardaient la porte, et je les observai. Ils se donnaient des airs de durs, mais à mes yeux ils n’étaient qu’un groupe de gamins mignons. Je me dis que n’importe quel d’entre eux aurait pu être mon fils. Les seuls qui avaient l’air agités, c’étaient ceux à l’arrière, avec le badge du bureau des porte-parole de l’armée à l’épaule, qui filmaient les événements.

L’attraction principale de la manifestation, ce fut un Palestinien âgé, avec la maladie de Parkinson, qui vint en costume noir et coiffé d’un keffieh palestinien, et qui se jeta sur les boucliers des soldats. Ils le repoussèrent, et ils essayèrent d’être gentils, pas par nature mais parce qu’ils savaient que des télés étrangères filmaient depuis le monticule voisin.

De temps à autres, le commandant d’unité, qui me parut rusé et sournois, du genre qui déclarera dans un cocktail dans quelques années qu’il est vraiment de gauche, fit signe d’un hochement de tête d’utiliser un canon à eau pour nous disperser. Et les grenades assourdissantes commencèrent à voler. Quel type dégoûtant ! Comment pourrais-je dire que je suis de la même nation que ce commandant, qui ordonne de me lancer des bombes assourdissantes, apparemment incapable de supprimer un sourire vil de ses lèvres. Il est clair pour lui que je suis non-violent, et que je ne lèverai pas un doigt sur ses soldats, ni moi ni les personnes âgées avec moi, encore moins les villageois qui étaient encore moins violents que je pouvais l’être. Tout ce qu’ils voulaient, c’était affirmer une présence symbolique près du Mur. Un jour, je me heurterai à ce commandant quand il sera de retour à la vie civile et je lui cracherai à la figure (symboliquement bien sûr, parce ce que je ne suis pas violent comme lui).

C’est ainsi que l’occupation fonctionne. En première ligne, des jeunes bons et innocents, qui auraient pu être mes enfants, dont je ne pourrais jamais dire qu’ils sont des occupants oppresseurs. Derrière eux un commandant qui ressemble à un cadre commercial qui ne ferait pas de mal à une mouche. Et derrière eux toutes sortes de jeunes à l’air lisse du bureau de relations publiques de l’armée, qui ont l’air de futurs réalisateurs et scénaristes. Et encore derrière eux, un canon à eau pour disperser les manifestations. Et la belle affaire qu’un canon à eau, l’eau ne tue pas. Ni les grenades assourdissantes. Tout ça a l’air d’un jeu d’enfants, et malgré ça il y a l’Occupation, malgré tout ça Hashem vit dans une cage, dans une situation bien pire que les esclaves noir aux USA à leur époque. Tout ce que peuvent faire les gens de Bil’in, c’est d’aller à Ramallah, le monde qu’ils peuvent parcourir librement s’arrête là. Toute cette misère est créée par des gens qui ressemblent à des cadres commerciaux stupides.

Alors la nuit de Seder, tout en écoutant le texte ennuyeux de la Haggadah, je penserai à Hashem et à sa famille de Bil’in, qui m’a nourri d’un repas simple, et puis, même si je voulais obéir au commandement qui me dit de partager ma nourriture et mon foyer avec celui dans le besoin, je ne le pourrai pas, à cause de ces barrières et murs d’Occupation qui nous séparent en se déguisant en éléments d’une Occupation ‘éclairée’. Et je penserai qu’eux sont vraiment mon peuple, et pas ces officiers répugnants qui ont l’air de cadres commerciaux, et qui détruisent mon beau pays à l’aide de béton armé.

Sur eux je verserai mon mépris, comme il est ordonné de le faire sur les non-Juifs dans la Haggadah.

[Traduction de l’anglais: JPB]

Article publié dans le Bulletin-Palestine de Toulouse