Dimanche 6 mai, à 20h01, le feuilleton électoral se termine.
D’ici là, certains retiennent leur souffle, d’autres attendent en soupirant ; quoi qu’il en soit la situation est {visiblement} suspendue.

À Étampes la police se fait canarder au 22 long rifle. À Rouen, en réponse à une « bavure » policière, une manifestation de 500 jeunes finit par défoncer et tenter d’incendier la permanence locale de l’UMP. La veille du premier tour, des dizaines de voitures brûlent en plein Paris. Certes, tout le monde n’attend pas patiemment, mais rien n’arrive à troubler la tranquille diffusion de l’apathie démocratique.

Alors bien sûr on se gargarise d’une si belle victoire, journalistes et politiques se font des clins d’oeil sur les plateaux télé : la démocratie est déclarée grande gagnante de ces élections. On fait comme si la participation massive était symptôme d’une adhésion renouvelée à la vie politique, quand elle n’est qu’une adhésion immodérée au règne de la peur – peur des banlieues pour les électeurs de Sarkozy, peur de Sarkozy, pour les électeurs de Royal. Qui a fait un tour du côté des isoloirs le 22 avril, n’a pu y découvrir aucune nuance de joie, seulement de l’effarement. La France renoue, dit-on, avec elle-même, pour une lune de miel de quinze jours. Mais derrière la scène, on aiguise les couteaux. Personne ne pense sérieusement que tout cela va pouvoir continuer ; on nous annonce, d’un côté, « Bagdad dans les cités » et de l’autre l’identité nationale et du travail qui rend libre.

D’une part, il y a Ségolène Royal et son sourire sous tranquilisants. Elle voudrait nous convaincre que l’on va bien s’occuper de nous, que finalement cette société s’effondre mais que nous pouvons rester là à en mesurer l’effritement, gentiment, en souriant.
De l’autre, c’est Nicolas Sarkozy qui prétend que tout peut continuer ainsi, que {tout doit rester ainsi}, par tous les moyens : libérer les uns par le travail, enfermer les autres, et renvoyer tous ceux qu’on peut au pays. Avec quelques efforts on pourra y arriver.
Enfin, dans les limbes des trois pourcents, l’extrême gauche extrême-gauchise.

Quoi que fasse un gouvernement sarkoziste, il n’arrivera jamais à nous faire aimer le travail, les rondes de police, la collaboration ; il n’ arrivera jamais à nous faire accepter que ce monde continue sa course comme si de rien était. Nous n’aimerons jamais notre misère.
Aussi la question n’est-elle pas d’accepter, ou non, de se faire avoir par l’esbroufe du vote Royal. Mais plutôt de savoir ce que nous allons faire : à partir de ce soir là, à partir de 20h01.

La guerre qui se mène au quotidien, et dont les récentes émeutes ne sont que la manifestation la plus spectaculaire, se trouve sans cesse niée et désactivée par le jeu de la représentation politique.
La gauche a besoin des pauvres comme faire-valoir. Mais des pauvres qui n’en demandent pas trop et qui, surtout, laissent à la porte leur illégalisme et leur rage. La droite, quant à elle, peut s’appuyer sur le citoyen apeuré, tant que celui-ci ne vient pas nous parler de sa misère.
Accepter d’entrer sur la scène de la représentation, c’est toujours à {leurs} conditions ; c’est donc toujours accepter d’abandonner une grande part de ce qui nous fait vivre.

Il est question de s’organiser matériellement, pratiquement, et de manière autonome. Accroître notre opacité ; c’est-à-dire accroître nos possibilités d’action. On a trop attendu ; nous somme trop à attendre qu’une force se lève et vienne balayer la politique classique. Il est temps, dans cette fuite en avant, de prendre acte et d’agir en conséquence. S’organiser, donc, sans tomber dans le piège de l’organisation : partir de là où nous sommes, de nos situations collectives et opérer ce léger déplacement qui nous désaffilie de la logique de ce monde ; qui nous permet de la déserter ; d’enfin cesser de collaborer.

C’est une question de bon sens : les bandes qui survivent avec le deal, la débrouille et les arnaques n’ont plus d’autre choix que de s’organiser, en résistance. {Plus de guet-apens} c’est plus de liberté. De leur côté les bons citoyens, si prompts à critiquer l’État, doivent aller au bout de leur raisonnement et apprendre à douter de lui {absolument. Devant l’école Rampal ou dans la gare du Nord, plus question de laisser la police faire son travail}. Les militants, enfin, doivent trouver dans la rue et dans la conspiration l’amitié et la solidarité que leur travail leur a toujours fait miroiter. De là ils ne pourrons en toute lucidité qu’abandonner leurs illusions politiciennes dans les poubelles de la démocratie. {Ne plus attendre c’est se préparer, c’est-à-dire s’organiser}.

Dimanche soir, Ségolène Royal peut encore être miraculeusement couronnée. Dans ce cas, les brèches ouvertes par sa bonne conscience de gauche et son incapacité à tromper qui que ce soit pourront permettre, dans un premier temps, de nous organiser de manière conséquente, et dans un second, un harcèlement sans précédent face à une politique qui ne manquera pas d’être aussi comique que désastreuse. Un programme minimal pourrait être de s’assurer qu’elle ne finisse jamais son mandat.

À l’inverse, il faudra bien se soumettre à la relative urgence qu’imposerait la victoire de Nicolas Sarkozy. Nous faisons le pari que les premières semaines de son mandat seront décisives quant à la suite. Seule une propagation rapide, intense et durable d’une résistance chaotique est à même d’entraver ses marges de manoeuvre. L’intensité d’une telle réplique donnera la mesure de notre capacité future à répondre coup pour coup à ses offensives.
Si un embrasement des banlieues est prévu et prévisible, il ne pourra tenir qu’en se trouvant, cette fois-ci, relayé jusqu’au coeur de la métropole.
Pour autant, dans l’éventualité d’une offensive conséquente, nous ne tiendrons pas une telle intensité sur la longueur. Il est donc absolument nécessaire que le moment de cette réplique soit aussi celui de la constitution de solidarités. Si après la première vague nous n’en ressortons pas plus denses, plus forts et plus organisés, nous ne serons que plus vulnérables.
Mais si effectivement une telle force parvenait à se renforcer, elle aurait par la suite tout le loisir de faire de chaque prétexte une offensive.

Dimanche 6 mai, à 20h01, c’est à nous de jouer. Dans chaque centre-ville, dans toutes les cités, dans chaque bande. Tout commence.