L’ANPE compte 4.5 millions d’inscrits.
_ Plus d’1 chômeur sur 2 n’est pas indemnisé.
_ 1 million 100 mille personnes touchent le RMI. Si l’on inclut les conjoints et les enfants, 3 millions de personnes en dépendent.
_ Plus de 12 millions de salariés ont un revenu mensuel inférieur à 843 euros [1].
_ Plus de 3 personnes sans logis sur 10 ont un emploi à temps complet, partiel ou précaire, gagnent entre 900 et 1 300 euros, et cherchent soir après soir où dormir.

Cette situation est intolérable.

Et pourtant :

Les discours de droite comme de gauche prétendent encore « réhabiliter le travail ». Il est temps de rompre avec cette logique aux racines historiquement douteuses et économiquement inopérantes afin d’asseoir les droits sociaux sur de nouvelles bases.

Aujourd’hui, 80 % des embauches se font en CDD, la flexibilité est la norme.

Il est grand temps d’oser dire que cette divinité devant laquelle nous sommes tous appelés à nous incliner, « le plein emploi » n’existe pas et n’a jamais existé (rappelons que dans les années 60, la plupart des femmes n’avaient pas un emploi et n’étaient pas sur le marché du travail, elles étaient considérées inactives, à la charge du conjoint : le « plein emploi » n’a jamais été une donnée, mais une représentation par rapport à une « norme » de l’emploi).

Depuis 1999, en application de son projet de « refondation sociale », le MEDEF, avec la complicité de certains syndicats dont la CFDT, sape méthodiquement l’assurance-chômage. Dans ce cadre, ce que l’OCDE et les gouvernants appellent « activer les dépenses passives », consiste à transformer le chômeur indemnisé en salarié précaire mal payé, assujetti aux employeurs, voire à verser directement les allocations à ces derniers, comme avec le RMA.

Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires, pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires, étudiants, nous savons lire : nous trouvons dans les recommandations de l’OCDE [2] le paragraphe suivant :

« Les réformes structurelles qui commencent par générer des coûts avant de produire des avantages, peuvent se heurter à une opposition politique moindre si le poids du changement politique est supporté dans un premier temps par les chômeurs. En effet, ces derniers sont moins susceptibles que les employeurs ou les salariés en place de constituer une majorité politique capable de bloquer la réforme, dans la mesure où ils sont moins nombreux et souvent moins organisés. »

Pourquoi l’assurance chômage a-t-elle été particulièrement visée ? Parce qu’elle attribuait un revenu aux chômeurs. Pourquoi le système de l’intermittence devait-il être démantelé ? Parce qu’il offrait un modèle alternatif à la précarisation.

Au croisement du droit du travail et du système de protection sociale, il existait une zone d’exception où la flexibilité des emplois se combinait avec une certaine « sécurité » pour le salarié, garantissant des marges de liberté plus larges et une certaine mobilité choisie. Tel était le régime spécifique d’indemnisation chômage des intermittents du spectacle jusqu’à la réforme de juin 2003. Ainsi, pour un bon nombre d’intermittents, la flexibilité de l’emploi n’entraînait ni la précarisation, ni la paupérisation. Elle ouvrait des espaces d’autonomie dans les diverses temporalités de la vie mais aussi dans le choix des projets dans lesquels ils s’investissaient.

C’est précisément pour ces raisons que ce régime a été visé. Le danger de l’attaque ne vient pas du fait qu’elle se concentre sur le secteur culturel, mais bien qu’elle détruit un exemple au regard du MEDEF et de ses alliés de garantie de revenus, exemple qui aurait pu s’élargir à toute situation de discontinuité de l’emploi, quel que soit le secteur d’activité.

L’ancienne couverture sociale des intermittents du spectacle fonctionnait selon un principe mutualiste de redistribution vers les plus faibles revenus. Les réformes successives de 2003 et de 2006, voulues par les gestionnaires de l’Unedic, sont résolument inégalitaires. Elles introduisent un principe de capitalisation des droits suivant lequel les plus employés et les mieux payés sont également les mieux indemnisés. Les exclus du régime (près de 40000 en 2 ans) financent ainsi les allocations ASSEDIC de « luxe » versés aux salariés à haut revenus. Aujourd’hui, par exemple, un salarié intermittent percevant en moyenne 12000 euros de salaire mensuel peut se voir octroyer, par le système de capitalisation, environ 20000 euros d’allocations ASSEDIC répartis sur 243 jours. Ce type d’aberration n’était pas possible avant les « réformes ». Voilà pourquoi ces réformes se révèlent plus coûteuses que le précédent système. Mais le but clairement avoué par le rapport de la Cour des comptes et par le MEDEF ne se pose pas en termes de coût, mais de réduction des effectifs. « La question n’est pas le déficit, mais le nombre d’intermittents » déclarait ainsi tranquillement M. Gauthier-Sauvagnac, négociateur du MEDEF.

Et ce n’est pas tout !

Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires, pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires, étudiants, nous observons le fonctionnement politique qui s’installe :

Pour accélérer les radiations des chômeurs, tout un arsenal de dispositifs de contrôles et de contraintes à l’emploi est mis en place. On fabrique ainsi une nouvelle insécurité sociale faite de course aux cachets, d’acceptation de n’importe quel emploi, de peur du contrôle sous peine de se voir supprimer une allocation.

Qui aurait cru qu’après 4 ans de lutte, 4 ans d’actions, de rapports, de missions d’information, de réunions à l’Assemblée nationale ou au ministère, les mêmes soi-disant « partenaires sociaux » allaient signer un texte pire que le protocole du 26 juin 2003 dénoncé par tous ?

Ils l’appellent « le protocole du 18 avril 2006 ».

Qui aurait cru que 4 ans de réflexions, d’expertises, de propositions seraient balayés d’un revers de main sans même qu’aucune discussion avec les donneurs d’ordre (le MEDEF et la CFDT) ne soit possible ?

Comment ne pas être furieusement en colère ?

Le ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres a répété à de nombreuses reprises : « Le gouvernement ne donnera pas son agrément à un accord qui ne contiendrait pas les 507 heures en 12 mois ». Il nous a menti.

Non seulement aucune de ses promesses n’a été tenue, mais il a supprimé le fonds transitoire versé par l’Etat. Ce fonds avait été obtenu grâce aux actions menées par tous les opposants au protocole de 2003 ; il a permis de « rattraper » 40000 exclus, leur évitant de basculer au RMI. Et ce ne sont pas les pansements que l’Etat a cru nécessaire d’ajouter au protocole du 18 avril 2006 qui juguleront l’hémorragie à venir de milliers d’intermittents radiés du système.

La lutte n’est pas un vain mot, nous devons nous battre pour éviter l’agonie annoncée de notre système de protection sociale.

Avec le laboratoire de recherche Matisse-ISYS de l’Université de Paris 1, nous avons mené une enquête sociologique sur l’intermittence. Les analyses et conclusions que nous en retirons dépassent largement le monde spécifique du spectacle. Les constats sont clairs :

L’emploi ne recouvre pas le travail. En d’autres termes, l’activité déborde largement le temps de travail effectué sous contrat.

Pour un intermittent du spectacle, par exemple, tous les temps consacrés à la formation, l’élaboration de nouveaux projets, la recherche, l’expérimentation, quoique étant une étape indispensable à la création, ne sont pas comptabilisés sur une fiche de paye, mais considérés comme temps chômé.

Nous proposons d’arrêter d’opposer de façon binaire emploi et chômage : le temps de non emploi, considéré comme chômé est aussi -sinon plus que le temps en emploi- producteur de richesses.

Il s’agit alors de relever le défi que constituent toutes les formes de discontinuité, d’intermittence de l’emploi : repenser les droits sociaux et le revenu au-delà de l’emploi et du chômage.

L’assurance chômage n’est pas un coût passif. Elle est un investissement productif.

Il faut renverser les termes de l’assertion selon laquelle le nombre d’intermittents aurait progressé plus vite que les ressources : ce n’est pas le nombre d’intermittents qui augmente plus vite que les ressources du secteur, ce sont les ressources du secteur qui augmentent trop peu. Celles-ci sont inadéquates et largement insuffisantes pour accompagner et soutenir l’expansion des activités artistiques et culturelles, pour permettre le développement d’activités en dehors des normes marchandes de l’industrie du spectacle. Cependant, le financement des structures ne pourra jamais faire l’économie ni se substituer au « financement » des individus. La discontinuité des projets ne doit pas impliquer la précarisation des conditions de vie des personnes. La pérennité des structures est liée de manière indissociable à la pérennité des droits sociaux et des revenus des individus, à leur mobilité que seule la continuité du revenu permet effectivement.

Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires, pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires, étudiants, nous voulons réformer les annexes 8 et 10, et aussi plus largement l’assurance chômage. Mais nous voulons le faire autrement que le MEDEF et la CFDT.

Notre Nouveau Modèle d’indemnisation constitue un au-delà de l’indemnisation chômage, et il se veut un modèle de garantie de la continuité du revenu en situation de discontinuité de l’emploi. Il répond à un double objectif : d’abord être adapté aux pratiques d’emploi et de travail des Intermittents. Il vise ensuite à permettre au plus grand nombre de pouvoir bénéficier de cette garantie d’un revenu au moins égal au SMIC. Construit sur un principe de mutualisation, le Nouveau Modèle intègre un plafond mensuel calculé sur la base de l’ensemble des revenus perçus dans le mois (salaires et indemnités). Il comporte ainsi une redistribution en faveur de ceux qui perçoivent des salaires plus faibles et connaissent une plus grande discontinuité de l’emploi. Le Nouveau Modèle peut s’appliquer à tout travailleur engagé par des employeurs multiples, avec un taux de rémunération, et une durée de contrats variables : c’est-à-dire à beaucoup de personnes ne relevant pas des champs de l’intermittence actuelle, mais connaissant une précarité réelle.

Le principe du Nouveau Modèle est donc résolument mutualiste. Loin de tout corporatisme ou de défense de privilèges acquis, sa philosophie s’appuie sur la continuité de revenu pour tous, conçue comme bien commun au même titre que le logement, la santé et l’éducation.

Enfin, une refonte politique de l’Unedic s’impose, à commencer par la remise en cause radicale d’un paritarisme à bout de souffle initié après la seconde guerre mondiale. Depuis 30 ans, cette forme institutionnelle a progressivement dérivé vers le mépris du commun. Ainsi, alors que partout on glose sur la « sécurisation des parcours », des centaines de milliers de travailleurs précaires cotisent à un régime d’assurance-chômage qui ne les indemnise pas, ou très mal.

Les syndicats de salariés (CFDT, CGC, CFTC) qui ont osé signer les dernières réformes scandaleuses de l’assurance chômage élaborées par le MEDEF ne représentent aucun chômeur. Il est inconcevable dans une démocratie que les premiers concernés, à savoir les associations de chômeurs, d’intermittents, de précaires, ne puissent pas discuter des réformes qui décident de leur vie. Il en est de même pour tous les syndicats non représentés à l’Unedic. Mais le plus incroyable et pour le moins incompréhensible, c’est l’absence de l’Etat. Les 4 derniers ministres des affaires sociales et de l’emploi Martine Aubry, Elizabeth Guigou, François Fillon et Jean-Louis Borloo se sont pliés aux décisions du MEDEF avouant ainsi leur totale impuissance ou leur parfait consentement.

Le temps libre nécessite des supports sociaux. Il s’agit de replacer l’émancipation individuelle et collective au cœur de l’action politique.

Chômeurs, intermittents, intérimaires, vacataires, pigistes, rmistes, stagiaires, travailleurs pauvres, précaires, étudiants, nous ne voulons ni la pseudo loi de l’économie ni une politique compassionnelle.

Nous sommes nombreux et en avons assez d’être plaints.

CIP-IDF – Mars 2007

[1] Jacques Cotta, « 7 Millions de travailleurs pauvres, La face cachée des temps modernes » Ed Fayard

[2] Perspective de l’emploi de l’OCDE (2006), stimuler l’emploi et les revenus, Paris, 2006

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Le manifeste à télécharger :