Les Musclés et Joey Starr,
unis pour l’imposition totalitaire du consensus démocratique

1. Nicolas et Ségolène

Vous souvenez-vous des Musclés ? Vous savez, ce groupe issu du Club Dorothée, AB productions, TF1, l’éducation c’est important. Souvenez-vous, c’était la fin des années 1980, le début des années 1990, la dernière ligne droite avant le troisième millénaire, c’était La fête au village, Merguez party, Moi j’aime les filles, On va tous faire la fête ce soir, Tout l’amour du monde et d’autres tubes qu’on aura oubliés1.

On pensait en avoir fini avec les Musclés, mais les voilà qui reviennent avec un nouveau tube qui restera lui aussi dans les mémoires (et qui entre d’ores et déjà dans nos caboches à grands coups de matraquage publicitaire). Une chanson à la rythmique prévisible2, mais avec un texte dont la joyeuse arrogance, si elle passe peut-être inaperçue, ne manque pas de confirmer que nous vivons à l’époque du foutage de gueule généralisé:

« Lorsque les banlieues s’enragent
Nicolas et Ségolène
réagissent avec courage
lui les nettoie au kärcher
Ségolène est bien plus sage
elle les donne aux militaires
Nicolas et Ségolène
savent résoudre tous nos problèmes
et la vie qui les entraîne
à tout jamais les enchaîne
»3

Cet extrait de la nouvelle chanson des Musclés expose la même banalité, la même normalité, la même bêtise que leurs chansons d’il y a une quinzaine d’années… Mais du consensus de La fête au village, on est passé à celui du choix unitaire entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Car les Musclés ne sont finalement pas plus cons que la moyenne, eux aussi ont compris que Nicolas ou Ségolène, c’est du pareil au même. Ce faux choix est aussi simple, passe-partout et léger qu’une fête au village.

Dans leur fabuleuse chanson, le propos n’est pas de dénoncer ce faux clivage mais bien de le féliciter, de se reconnaître dans cette unité, dans cette puissance dominante qui doit affronter « les banlieues [qui] s’enragent ». Et si « Nicolas et Ségolène savent résoudre tous nos problèmes », on ne se pose même plus la question de savoir pour qui d’autre voter. Puisqu’il faut voter.
C’est Nicolas ou Ségolène, ou rien.

Dans cette ode à la domination, il y a la réalité d’un constat: si Nicolas et Ségolène se retrouvent au second tour des présidentielles début mai 2007, on ne sait pas qui l’emportera: « On dit même qu’il se ressemblent, Nicolas et Ségolène, deux enfants qui nous rassemblent pour les élections prochaines ». Si l’un des deux se la joue Jospin et ne réussit pas à franchir le cap du premier tour, alors on sait d’avance que l’autre gagnera au second tour. C’est aussi ça, la démocratie. Pas de panique car tout est médiatiquement prévu. Façon Chirac vs. Le Pen en mai 20024.

L’ironie de la chanson des Musclés a la puissance de l’humour des dominants. Sans aucune volonté critique, sans aucun parti pris visible (si ce n’est celui de la pseudo neutralité du discours dominant), le but premier de cette chanson semble avant tout de faire du fric (avec un marketing efficace, bonjour la pub pour cette chanson… qui elle-même est indirectement une espèce de publicité larvée pour « nos deux candidats »).

Nos deux candidats. C’est ainsi que la journaliste Hélène Pilichowski appelle Nicolas et Ségolène, dans son article intitulé « Ségo et Sarko sur le divan » (paru récemment dans Marie Claire5). Dans la même veine que les Musclés, la journaliste de Marie Claire commence son article ainsi: « Le duel est annoncé. Et espéré. Un peu comme si l’affrontement entre l’égérie d’une gauche moderne et le champion de la rupture avec une droite frileuse allait faire rallumer un désir politique atrophié. Ce n’est pas l’un ou l’autre que l’électorat aspire à voir descendre dans l’arène, mais eux deux. Parce qu’ils sont différents, veulent croire leurs partisans, qui fourbissent les armes des deux combattants ». C’est pas beau, ça ? On sait d’avance que ce que veut « l’électorat », c’est Nicolas et Ségolène, « l’égérie » et « le champion ». Et la guerre sociale impulsée par l’embrasement des banlieues ou la révolte du printemps 2006 n’est rien face au « duel » des deux candidats, leur « affrontement » qui rallume le « désir politique » va se passer dans une « arène »… façon gladiateurs ? On pourrait le croire, puisque « leurs partisans (…) fourbissent les armes des deux combattants ».

Pourtant, la réalité du clivage politique contemporain se pose ainsi: il y a d’un côté les tenants du pouvoir, droite et gauche réunies dans un pseudo affrontement, et de l’autre, « les banlieues [qui] s’enragent ». Pour le moment, le discours dominant se permet d’ironiser jusqu’à chanter des daubes telles que celle des Musclés. La prétendue opposition entre Nicolas et Ségolène est pratiquement présentée comme un jeu (illustré par des sondages, des chiffres, des médias à l’affût de la moindre nouveauté), quelque chose qui est là avant tout pour faire diversion… un divertissement.

Ce monde du divertissement et de la tromperie n’est rien d’autre que le monde étatique et capitaliste d’exploitation et d’aliénation. Le ras-le-bol ressenti face à lui par un paquet de gens mène vers des envies d’insurrection. Cela n’est pas nouveau mais semble se préciser ces derniers temps… Rien que depuis deux ans, les tensions entre le pouvoir et la rue se multiplient: mouvement lycéen au printemps 2005, émeutes des banlieues et autres quartiers pauvres à l’automne 2005, soulèvement de nombreux participants au mouvement contre le CPE et son monde au printemps 2006… Nicolas et Ségolène ont au moins un intérêt commun: maintenir coûte que coûte l’illusion d’une paix sociale, au moins jusqu’aux élections. Pour le moment, malgré de nombreux débordements, ça ne marche pas trop mal. Disons qu’il n’y a pas de large mouvement social organisé et offensif, comme l’an passé, ce qui serait difficile à ignorer médiatiquement et difficile à vivre pour nos deux candidats. C’est le principal. Que l’on continue à avoir une vie de merde et aucune perspective que cela ne change est tout à fait dans l’ordre des choses. « Pourvu que ça dure » doivent se dire Nicolas et Ségolène.

Le consensus démocratique repose sur l’idée qu’il n’y a pas, dans nos sociétés, de réel conflit politique. Tout se passe face à des caméras dans la politesse la plus plate, ou au coeur des urnes dans la citoyenneté la plus pacifiée. Le consensus démocratique, c’est le compromis permanent, la gestion tout en surface de problèmes sociaux, de « crises » supposées passagères. Surtout ne pas imaginer un seul instant que les rôles et les rapports sociaux pourraient être subvertis. Et toujours aller dans un sens qui pousse à faire passer les luttes sociales et les actions directes pour des agissements d’un temps passé.

Entre marasme social et matraquage médiatique, difficile de lancer des perspectives politiques enthousiasmantes et révolutionnaires. Je pense que si nous restons les bras croisés, le système capitaliste risque d’avoir encore de beaux jours devant lui… Je ne me reconnais pas dans l’espèce de messianisme post-marxiste qui affirme à tout-va que le système va s’écrouler de lui-même, anéanti par sa propre décadence. Je ne me reconnais pas plus dans la résignation du catastrophisme qui prétend que plus rien n’est possible tellement tout est pourri. Les expériences récentes ont montré, lors de différentes luttes sociales, que le refus de la soumission au monde policier pouvait s’accompagner de modes de fonctionnement basés sur l’entraide et l’auto-organisation. La révolution n’est plus tellement dans l’air du temps, sauf quand il s’agit de parler d’un nouveau lave-linge6 ou d’un nouveau téléphone portable7. Pourtant, quitte à brûler des voitures et à caillasser la flicaille, autant que ce soit avec de nouvelles perspectives de vie, sans patron ni Etat, pour commencer. Mais quand la colère gronde un peu trop, on n’est pas toujours aidé, y compris par ceux qui se demandaient il y a quelques années ce « qu’on attend pour foutre le feu »8…

2. Qu’est-ce qu’on attend ?

Vous souvenez-vous de Joey Starr ? Vous savez, ce rappeur de Seine-Saint-Denis, membre du Suprême NTM, le Fuck da RATP Movement, le hip-hop comme forme de rébellion. Souvenez-vous, les débuts du groupe à la fin des années 1980 et la percée lors des années 1990, la dernière ligne droite avant le troisième millénaire, c’était L’argent pourrit les gens, Police, Qu’est-ce qu’on attend ?, C’est arrivé près d’chez toi, Nique le CSA, et d’autres morceaux pas toujours aussi intelligents il est vrai9.

Avec son pote Kool Shen, Joey Starr était une des voix porteuses de la colère des banlieues:

« Je n’ai fait que vivre bâillonné, en effet
Comme le veut la société, c’est un fait
Mais il est temps que cela cesse, fasse place à l’allégresse
Pour que notre jeunesse d’une main vengeresse
Brûle l’état policier en premier et
Envoie la république brûler au même bûcher
»10

Ses voeux ont commencé par être sérieusement exaucés ces derniers temps, mais l’ami Joey a semble-t-il retourné sa veste: dans Le Monde daté du 15 octobre 2006, il déclare qu’il ira voter en 2007 « pour la première fois. Il faut que cela devienne un automatisme. Nous devons arrêter de jouer la carte des victimes – je l’ai fait moi-même au début avec le rap. On votera pour le moins enculé des enculés. Un jour, il y aura peut-être un Gandhi. Il y a quinze ans, avec NTM, on chantait : « Le monde de demain nous appartient ». La populace qui se fait endormir, ça suffit. On a besoin de fulgurance. »

Comme dit Joey Starr, « la populace qui se fait endormir, ça suffit »! La « fulgurance », c’est celle du feu des émeutes de novembre 2005, par exemple, celle qui a su prendre au pied de la lettre les textes insurrectionnels du vieux Suprême, sûrement pas celle de la carte d’électeur, qui n’a pour but que de nous faire accepter le système.

Les émeutiers qui prennent le risque de subir la répression en s’affrontant aux flics ou en s’attaquant à des bâtiments d’Etat montrent qu’ils refusent de facto ce qu’imposent les institutions. Alors que les émeutes de novembre 2005 et la révolte du printemps 2006 révélaient un besoin répandu (bien qu’encore flou) d’autre chose, ceux qui ont appelé au calme en général et au vote en particulier sont des traîtres ayant rejoint le camp de la conservation des rapports sociaux de domination. Même si Sarkozy ne gagne pas les prochaines élections, qu’est-ce que ça changera ? La gauche au pouvoir, on a vu ce que ça donne. Les gouvernements se succèdent sous différentes étiquettes, mais c’est toujours la même merde, les mêmes hiérarchies et les mêmes soumissions aux patrons, aux flics et aux politicards de tous bords.

Les médias mainstream, toujours à l’affût de discours sécuritaires et pacificateurs, ont sauté très vite sur l’occasion. Exemple marquant avec LCI (chaîne d’information liée à TF1) qui a pas mal donné la parole à Joey Starr puisqu’il tenait le discours voulu par l’Etat:

« « Là je me réveille et j’espère en réveiller plein d’autres avec moi. Je vais aller chercher ma carte d’électeur et je vais aller voter », raconte l’ancien membre du groupe NTM à TF1. »11

« « Je l’ai, je suis allé la chercher ! », a lancé le rappeur Joey Starr en exhibant sa carte. « Voter, c’est exister, c’est créer un contrepoids. Demain, il faudra vous investir dans la vie politique. Réveillez-vous! », a-t-il crié devant plus de 400 personnes, dont de nombreux jeunes. » peut-on lire sur le site de LCI, le 21 décembre 2005. « S’inscrire sur les listes électorales et voter, « ça doit rentrer dans les moeurs, ça doit être un automatisme », a insisté Joey Starr. »12

Joey Starr, comme star du show-biz issue « du triste décor de la banlieue nord »13 sert ici de tampon entre les gros bourges de LCI/TF1 et les jeunes banlieusards en galère:
« L’un deux, Ibrahim Coulibaly, 21 ans, est venu demander sa deuxième carte d’électeur après « avoir déchiré la première à ses 18 ans ». « Je pensais qu’elle ne servait à rien, j’avais une haine contre l’Etat. Ma vision a changé depuis la mort de Zyed et Bouna. Aujourd’hui, cette carte, c’est mon avis. Avec elle, je donne ma voix », a-t-il expliqué dans la salle des inscriptions électorales de la mairie. Christopher est également venu s’inscrire « sans grande conviction ». Mais s’il vote, ce sera pour « ne pas retrouver Le Pen une nouvelle fois au second tour ». »14
Le message ici, c’est que la banlieue ne veut plus agir par l’émeute, mais par les urnes. Et en plus, ce ne sera que pour faire barrage à Le Pen. Il faudra donc voter Nicolas ou Ségolène. Super…

Dans Le Monde du 15 octobre 2006, le journaliste Stéphane Davet écrit: « A l’instar de Joey Starr, les personnalités du rap français sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à exhorter les jeunes à voter en 2007 ». Effectivement, on l’a vu à travers les tristes déclarations de Keny Arkana dans Le Monde15 mais aussi avec le site ouvrela.com16 et la tonne de rappeurs rebelles qui autour de novembre 2006 ont été filmés avec comme message principal « ouvre-la ! », autrement dit… « Va voter ! »17
C’est tout de même bizarre, non ? Cette initiative est censée s’adresser aux jeunes révoltés des banlieues, qui ne les ont pas attendus pour l’ouvrir, que ce soit en cramant des bagnoles ou en caillassant les flics, de toute façon en exprimant un refus radical du monde politique institutionnel. Que font alors les grands frères du hip-hop ? Pour ouvrela.com, ils appellent à se soumettre au système électoral, dans la droite lignée des discours niais de Joey Starr:

« Il serait temps que les jeunes prennent conscience de l’importance du vote. Donc voilà, faites pas les cons, prenez votre putain de carte électorale, allez voter, allez défendre vos idées. » Diam’s (c’est la même pour son pote Sinik bien sûr).

« Hey, t’entends pas ou quoi, c’est Jacky Brown qui vous parle ! L’avenir est entre nos mains, alors inscris-toi sur les listes électorales pour avoir un réel pouvoir de décision. T’entends pas ou quoi ? Ouvre-la ! » Jacky Brown

« Ne vous laissez pas faire, allez voter, ouvrez-la. » Vitaa

« J’en pose une petite pour vous dire à tous qu’il faut s’inscrire sur les listes, il faut aller voter, après, faut faire son boulot, parce qu’on est plus forts si on est unis, si on est tous ensemble. » Faf la Rage

« Se faire entendre, c’est aller voter aussi. C’est l’ouvrir, c’est ouvrir sa gueule, et c’est être intelligent, et être intelligent c’est aller voter. Big up à tous. » Princess Aniès

« C’est un message pour que tous les jeunes aillent voter, parce qu’un vote vaut plus qu’une voiture qui brûle, alors ouvrez-la ! » Sefyu

« Je vais leur dire d’aller s’inscrire sur les listes pour après aller voter utile. Moi, y’a personne qui me représente, mais je vais quand même aller voter. » Rim-K (113)

« Il faut attaquer les politiciens là où est-ce qu’ils ont mal: dans les listes électorales. C’est cool. » Médine

« Faut aller s’inscrire parce qu’on va pas faire les mecs qui font la morale, dire ouais c’est bien faut aller voter, non, c’est pour l’avenir de nos parents, de nos enfants, de nous-mêmes, pour tout le monde, il faut aller voter. » Psy4 de la rime

Ce discours de résignation vite fait bien fait est également repris par Oxmo Puccino, Dany Dan, Mokobé et AP (113), 16R (L’Skadrille), Demon One (Mafia K’1 Fry), Alibi Montana et d’autres.

Rost, lui, ne se contente pas de quelques mots devant une caméra… Dans un article de Libération18, on apprend que le 15 février 2007, il est allé avec « sa petite équipe de Banlieues Actives » à la rencontre de Jean-Marie Le Pen « pour lui poser dix questions qui permettraient aux jeunes des quartiers de se faire une idée de son programme ». Rien que ça. Dieudonné était allé à la fête du Front National poser devant les journaleux en compagnie du facho le plus fameux de France… Qui aurait pu croire qu’il ferait des émules dans le hip-hop ? Rost et Banlieues Actives appellent les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales donc ils s’attachent à rencontrer chacun des candidats. Quelle tristesse…19

Alors quoi ? Il faudra « voter utile » comme Rim-K ? Voter Ségo ? Se soumettre à la realpolitik ? Ça changera quoi ? Des militaires en banlieue plutôt que la BAC et des CRS, comme le chantent les Musclés ? Ou alors voter Besancenot comme Joey Starr le fera sûrement vu qu’il l’a invité sur son dernier album (la gauche prétendument révolutionnaire avec le hip-hop prétendument révolutionnaire, quoi de plus logique ?) ? Ou voter José Bové avec son discours ridicule qui cherche à récupérer les velléités insurrectionnelles qui traîneraient encore depuis l’année dernière ?

Bové pense que Ségolène Royal est « un peu naïve peut-être »20. Mais Ségolène est tout sauf naïve. Elle est plutôt opportuniste, inscrite comme son alter-ego Nicolas dans un plan de carrière dont l’objectif central est l’accession au pouvoir.
La naïveté, si elle doit être incarnée par un candidat, ce serait justement Bové qui l’endosserait: « Il est temps de décréter l’insurrection électorale contre le libéralisme économique » dixit José Bové, sur le site de Libération le 2 février 200721. Une insurrection ne se décrète pas. Encore moins par les urnes. Une insurrection se déclenche en se mettant en pratique, dans la rue.

On ne cesse de nous bourrer le crâne avec l’idée que les élections sont le seul et unique moyen de sortir de la mouise. A-t-on jamais vu une insurrection électorale ? Voilà une nouveauté dans la série des alliances absurdes de mots, façon commerce équitable, développement durable, éco-tourisme, banque alternative ou encore… lave-linge révolutionnaire !22

Si les partis politiques d’extrême-gauche (LCR, LO, PCF, les Verts, Bové et compagnie) avaient vraiment pour objectif de changer la vie et de transformer le monde, ils ne passeraient pas le plus clair de leur temps à se chamailler pour avoir des voix lors d’élections que l’on sait perdues d’avance. Perdues d’avance car prises en charge par le pouvoir de propagande des gros partis, pleins de thunes et de relations bien placées. Politique d’aliénation en société spectaculaire-marchande…

Au lieu de jouer les « candidats » à la présidence, si tous ces petits partis prétendument « révolutionnaires » ou « alternatifs » ou « de gauche » donnaient ne serait-ce qu’un dixième de ce temps et de cette énergie pour expliquer clairement en quoi ces élections sont comme d’habitude une mascarade et un moyen efficace pour les dominants d’ancrer encore un peu plus la résignation au sein de la population, alors peut-être il y aurait quelque chance que l’ombre d’un bouleversement social apparaisse.

Tout le monde sait bien qu’un véritable changement social n’arrive pas par les urnes. Jouer le jeu des élections, c’est continuer de nier ce constat historique.

Au moins depuis le mouvement contre le CPE, des locaux de partis politiques de tous bords sont attaqués. Ceci a eu lieu un peu partout en France lors des manifestations du printemps dernier, et une recrudescence importante semble avoir lieu sur Paris depuis quelques temps…23 Voilà une façon comme une autre d’exprimer son refus de la politique institutionnelle. Une façon bien plus claire et cohérente que d’aller mettre un bulletin dans une urne, en tout cas !

Je n’ai jamais voté et ce n’est pas demain la veille que je le ferai. Je n’ai même plus de carte d’électeur. On pourra toujours me le reprocher et me dire qu’à cause de cela je ne suis même pas comptabilisé dans les abstentionnistes, mais ce n’est pas le nombre d’abstentionnistes décompté par les institutions qui renversera le système… ce qui jouera, c’est la détermination de ceux qui veulent en finir avec ce monde d’apathie et de soumission.

« Donc l’heure n’est plus à l’indulgence
Mais aux faits, par le feu, ce qui à mes yeux semble être le mieux
Pour qu’on nous prenne un peu plus, un peu plus au sérieux
»24

A mon avis, nous ne pouvons compter que sur nos propres forces, autonomes, et créer des connexions entre les différents groupes qui se trouvent sur une critique radicale de ce monde. Alors déchirez votre carte d’électeur… ou gardez-la précieusement et chantez en choeur avec les Musclés la belle fatalité du quotidien:

« Toute la semaine
On a trimé
Pris de la peine
Sans hésiter
On a le droit
Vive la France
D’avoir ce soir
Notre récompense
On s’est tous retrouvés
Sur la place du marché
Pour décider à l’unanimité
On va tous faire la fête ce soir
On va rire, s’amuser et boire
En un mot on va faire les fous
En chantant des petits airs bien de chez nous
»25

Grenoble, février 2007
Caille (kyi@boum.org)

Notes:
1- Voir notamment http://www.paroles.net/artis/1689 pour s’apercevoir du talent d’écriture des Musclés.
2- C’est en fait un détournement réussi de la chanson Nicolas et Marjolaine de Dorothée (1993, paroles de J.F. Porry, musique de J.F. Porry et G. Salesses). Voir http://www.paroles.net/chansons/19014.htm
3- Les Musclés Nicolas et Ségolène, janvier 2007. Voir http://ubergeeek.com/2007/01/28/nicolas-et-segolene-les-paroles-et-le-mp3/
4- La chanson lance à Nicolas et Ségolène: « Si vous vous disiez « je t’aime », c’est sûr que vous gagneriez ». Ça n’avait pas vraiment marché lors du référendum du 29 mai 2005, puisque ceux qui ont voté ont rejeté à 54,67% le projet de Constitution européenne. Projet pourtant soutenu par tous les partis politiques « modérés », y compris bien sûr ceux de Nicolas et Ségolène… Cependant, même si dans le fond, la majeure partie de la population ne se reconnaît ni dans l’UMP (parti de Nicolas) ni dans le PS (parti de Ségolène), il semble assez clair que la mise à l’écart de ces deux partis ne peut pas passer par la voie électorale. Les élections présidentielles donneront vraisemblablement la victoire à l’un ou l’autre.
5- Marie Claire n°652, décembre 2006, p.100.
6- « Samsung lance un lave-linge révolutionnaire (…). La grande révolution réside dans un procédé développé par Samsung pour améliorer notre qualité de vie : la technologie ‘Silver Nano’ ». Ça donne envie, n’est-ce pas ? Voir le communiqué de presse de Samsung, daté du 11 septembre 2006, sur http://www.samsung.com/fr/presscenter/pressrelease/homeappliances_20060911_0000286874.asp
Gorenje a aussi sa révolution du lave-linge: « caractéristique révolutionnaire du lave-linge Premium : l’option d’essorage à 2000 tr/min ». Voir http://www.gorenje.fr/9699
Quant à LG Electronics, dans un communiqué de presse du 25 avril 2006, ils annoncent que « dans une optique d’améliorer toujours plus la vie des consommateurs, LG mise sur la convergence, le bien-être et le design, les nouvelles tendances de l’année 2006. Preuve en est ce nouveau concept de lave linge… révolutionnaire ! ». Encore une fois, je n’invente rien, voyez sur http://www.murmures.info/index.php?kro=2293&action=view&PHPSESSID=d9d5754d43c9944610f5389c8819134f
7- LG Electronics se vante dans un autre communiqué de presse, le 31 mai 2006 cette fois, de « révolutionner le marché français des photophones », grâce à son « bijou de technologie au look noir laqué (…) surprenant par son design épuré et révolutionnaire ». Et ce n’est pas tout, car avec ce « photophone » il y a un « stylo révolutionnaire » qui permet « de passer ou recevoir des appels en toute discrétion et toute simplicité ». A mon avis il y a des anciens maos chez LG Electronics… Voir le communiqué de presse sur http://fr.lge.com/ir/html/ABboards.do?action=read&group_code=AB&list_code=PRE_MENU&seq=5312&page=1&target=pressreleases_read.jsp
Mais LGE Electronics ne vaut pas grand chose face à une vraie révolution ! Et quelle révolution !? Celle proposée par Apple bien sûr : « un téléphone mobile révolutionnaire, un iPod à écran panoramique doté de commandes tactiles et un appareil de communication sur Internet innovant avec des fonctionnalités de courrier électronique, de navigation sur le Web, de recherche et de cartographie dignes d’un ordinateur de bureau. Le tout, dans un boîtier petit et léger ». Pour révolutionner le monde, pas besoin de chercher à renverser le capitalisme puisque celui-ci offre des révolutions régulièrement. Des révolutions qui s’achètent, qui font sûrement couler du sang du côté des exploités du Tiers-Monde, mais qui ici se consomment confortablement… http://www.apple.com/fr/pr/20070109iphone.html
8- Suprême NTM Qu’est-ce qu’on attend (1995) http://www.paroles.net/chansons/20651.htm
9- Des textes comme Ma Benz ou La fièvre ne sont pas à la hauteur des Musclés mais s’en rapprochent quand même un peu… Voir tout de même http://www.paroles.net/artis/1717
10- Suprême NTM Qu’est-ce qu’on attend (1995)
11- Cité le 11 décembre 2005 sur http://tf1.lci.fr/infos/france/2005/0,,3271152,00-quand-people-appellent- vote-.html
12- Voir http://tf1.lci.fr/infos/france/2005/0,,3274267,00-joey-starr-jamel-clichy-sous-bois-.html
13- Suprême NTM Pour un nouveau massacre (1993)
http://www.paroles.net/chansons/20422.htm
14- Voir http://tf1.lci.fr/infos/france/2005/0,,3274267,00-joey-starr-jamel-clichy-sous-bois-.html
15- « En 2002, j’étais la seule à avoir voté au premier tour, se souvient la rappeuse marseillaise Keny Arkana. Autour de moi, cette fois, tout le monde a pris sa carte d’électeur ». Comme c’est mignon…
16- « Cergy, commune de 60 000 habitants au nord-ouest de Paris, vient de lancer une campagne de buzz marketing autour du blog ouvrela.com pour motiver les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales ». Plus loin, on apprend que c’est vraiment du marketing: « Notre agence Culture-Buzz a réalisé cette campagne virale dans un milieu réputé difficile à pénétrer. La campagne a débuté par une opération coup de poing aux allures de teasing dans la nuit du lundi 27 novembre [2006] en plein cœur de Cergy : distribution de flyers, étendage de t-shirts portant le logo « Ouvre la » et l’adresse internet www.ouvrela.com afin d’attirer l’attention et susciter l’interrogation des habitants dès le levé du jour. » A lire sur http://www.culture-buzz.com/actu_buzz/buzz_blog_guerilla_et_stars_du_rap_pour_la_mairie_de_cergy_article876.html
17- Sans parler bien sûr de Doc Gynéco qui soutient Sarkozy, allant jusqu’à prendre sa carte à l’UMP et sortir un bouquin intitulé Les grands esprits se rencontrent – Sarkozy et moi, une amitié au service de la France. Difficile de tomber plus bas.
18- Lire « Des rappeurs rencontrent Le Pen. Rost et Banlieues actives voulaient connaître son avis sur les quartiers » sur http://www.liberation.fr/actualite/politiques/235613.FR.php
19- Je parle pas mal des malheureux égarements de nombre de rappeurs du hip-hop français, mais la scène chanson française post-baba cool n’est pas en reste… Un collectif « Auxurnes, etc. » a été créé en octobre 2006, regroupant un tas de groupes s’adressant plus aux jeunes blancs-becs qui pourraient eux aussi oublier de voter, sans ça. Voir http://aux.urnes.etc.free.fr/
Sont impliqués là-dedans: Marcel et son Orchestre, Tryo, Les Ogres de Barback, Les Hurlements de Léo, Un air de famille et bien d’autres…
20- José Bové cité par Le Monde, le 1er février 2007. Voir l’article « José Bové juge Ségolène Royal « un peu naïve » » sur http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-823448,36-862662,0.html?xtor=RSS-3224
21- Voir http://www.liberation.fr/actualite/politiques/elections2007/232548.FR.php
22- Dans L’homme au foyer n°8 (Bruxelles, octobre-décembre 2004), une longue liste d’oxymores de ce type est dressée.
23- Lire notamment l’article du Figaro « Vandalisme dans des permances d’élus », publié le 16 février 2007 sur http://www.lefigaro.fr/france/20070216.FIG000000010_vandalisme_dans_les_permanences_d_elus.html
A Paris, « ces trois dernières semaines, des actes de vandalisme, parfois accompagnés d’inscriptions satyriques, ont visé une dizaine de permanences politiques de l’UMP, du PS, des Verts ou du PC (…). Fin janvier, la série a débuté lorsque quatre personnes ont déposé des sacs-poubelle devant le QG de campagne de Nicolas Sarkozy, rue d’Enghien (Xe arrondissement). Six jours plus tard, l’inscription « Ici dictature » a été apposée sur la permanence de Jean Tiberi (Ve). Depuis, les vitrines de trois bureaux de l’UMP (IXe, Xe et XVIIe), deux permanences PS (IIIe et Ve) ainsi que le siège des Verts (Xe) ont été brisés par des pavés ou des grilles d’arbre. Tantôt au marqueur noir, tantôt à la peinture blanche, les vandales ont inscrit : « a voté », « un pavé dans l’urne », « Sarko facho, justice pour tous » ou encore « ADN, alerte aux perdreaux, z’ont volé le vélo du fils de Sarko ». »
24- Suprême NTM Qu’est-ce qu’on attend (1995)
25- Les Musclés, On va tous faire la fête ce soir (1989, paroles de J.F.Porry, musique de G. Salesses et J.F. Porry). Voir http://www.paroles.net/chansons/19409.htm