Quels droits pour les salariés à l¹emploi discontinu ?

La lutte protéiforme engagée après la signature, le 26 juin, du protocole
Unedic révisant le régime d¹assurance-chômage des intermittents du spectacle
par des collectifs et coordinations a pour objectifs premiers l¹abrogation
du texte agréé par le gouvernement et l¹ouverture de négociations impliquant
tous les professionnels concernés. Elle rejoint un mouvement global de
résistance à la ³ normalisation ² de nos sociétés. Une réforme viable des
annexes 8 et 10 est nécessaire à la vie culturelle. On ne clôt pas le
chapitre des droits sociaux en excluant 35% des allocataires pour ouvrir
celui, faussement consensuel, de l¹exception culturelle et de la place de
l¹artiste dans la société.

Nous sommes créateurs, interprètes, techniciens. Nous participons à la
fabrication de pièces de théâtre, de spectacles de danse et de cirque, de
concerts, de disques, de films de fiction, de documentaires, de jeux
télévisés, de télé-réalité, du journal de 20 heures et des publicités qui
les entourent. Nous sommes devant et derrière la caméra, sur scène et dans
les coulisses, dans la rue, les salles de classe, les prisons, les hôpitaux.
Les structures qui nous emploient s¹échelonnent de l¹association à but non
lucratif à l¹entreprise de divertissement cotée en bourse.

Acteurs d¹un art et d¹une industrie, nous avons en commun de subir une
double flexibilité, celle des périodes de travail et celle des
rémunérations. Né du besoin d¹assurer une continuité de revenu palliant la
discontinuité des périodes d¹emploi, ce régime d¹assurance-chômage permet
souplesse de production et mobilité des salariés entre différents projets,
secteurs, emplois.

Nous avons lu méthodiquement le texte venu réformer ce régime et nous avons
évalué les conséquences du rehaussement des critères d¹accès. Sur la base
des chiffres de l¹Unedic, nous sommes arrivés au constat de l¹exclusion de
35% des allocataires actuels. Nous avons cherché à expliquer comment des
paramètres inédits (le glissement de la période de référence, le calcul du
décalage) introduisaient de l¹aléatoire, provoquaient une rupture de
l¹égalité de traitement et incitaient au travail au noir et aux fausses
déclarations.

La pertinence de notre expertise collective a peu à peu déstabilisé
l¹assurance des plus fervents défenseurs du protocole, jusqu¹à ses
signataires eux-mêmes. Pour preuves, les demandes tardives d¹explication de
la CFDT à l¹UNEDIC, la disparition in extremis du grave ³ lapsus ² dans
l¹article sur la franchise (des recours en justice sont intentés), ainsi que
les promesses floues d¹aménagement du texte faites récemment par le
Ministère de la Culture (Le point du 01.08.03).

Mais surtout, nous avons dénoncé un paradoxe inquiétant : dans un contexte
de ³ moralisation des pratiques², le protocole n¹épargne en fait qu¹une
catégorie de salariés, ceux qui bénéficient de contrats réguliers sur
l¹année.
L¹utilisation des annexes 8 et 10 tendait parfois à être ambiguë : l¹accord
la clarifie en détruisant leur fonction essentielle. Alors qu¹il s¹agissait
d¹assurer une continuité de revenu dans des secteurs où la logique du profit
n¹est pas première, seules les entreprises les plus rentables -notamment
celles de l¹audiovisuel – continueront de tirer profit d¹une main d¹¦uvre
plus que jamais contrainte d¹accepter le ³ contenu ² et les conditions de
travail des emplois proposés.

Or, seuls les droits sociaux collectifs garantissent la liberté des
personnes, la continuité du travail hors période d¹emploi, la réalisation
des projets les plus improbables, la diversité, l¹innovation. En agréant ce
protocole, le gouvernement a fait le choix délibéré de supprimer cet ³
investissement ² nécessaire à la liberté de création. Jamais le système
compensatoire qu¹il propose, mixte de mécénat et de subventions
discrétionnaires, ne saura s¹y substituer.
Attaque contre les droits collectifs, cette ³ réforme ² inaugure une
certaine idée de l¹exception culturelle : un art-vitrine avec ses pôles
d¹excellence et une industrie de la culture standardisée et compétitive sur
le marché mondial. Le dynamisme, l¹inventivité et l¹audace qui caractérisent
l¹activité reposent sur cette indépendance voulue et conquise à travers la
solidarité interprofessionnelle et l¹obtention de conditions d¹existence
décentes.

Nombre d¹intermittents connaissent les dérives mais aussi et avant tout les
inégalités de traitement de l¹actuel système et appellent une réforme de
leurs v¦ux. Aucune base pour évaluer l¹ampleur du déficit n¹est crédible.
Les chiffres de l¹Unedic continuent d¹être présentés dans l¹opacité et la
partialité la plus grande, les pertes dues aux abus ne sont pas mesurées.
Plus fondamentalement, cette vision, strictement comptable, a pour seule
assiette de prélèvement l¹emploi, et interdit de prendre en compte cette
part croissante des richesses produites que ne mesure pas le volume de
cotisations salariales.

Nous avons défini les principes d¹une nouvelle réforme dans le respect de la
spécificité de nos pratiques professionnelles et le refus de l¹utilisation
du nombre d¹allocataires comme variable d¹ajustement.

Sur ces principes, nous avons élaboré des propositions selon deux axes :
– mise en cohérence du régime avec les pratiques du secteur par la
suppression du Salaire Journalier de Référence (paramètre omniprésent auquel
l¹irrégularité des contrats ôte pourtant toute valeur représentative), par
l¹assouplissement des critères d¹accès (prise en compte de l¹aléatoire de
nos métiers, des accidents de carrière), et par la réaffirmation de
l¹annualité des droits et du réexamen à date anniversaire.
– la mutualisation et la redistribution des droits entre allocataires,
notamment par la création d¹un plafond et d¹un plancher du cumul salaires –
indemnités qui contribuera à la maîtrise des coûts et réduira les inégalités
entre allocataires.

Ces revendications ne sauraient se confondre avec une lutte pour des
privilèges : flexibilité et mobilité qui tendent à se généraliser n¹ont pas
à impliquer précarité et misère. N¹est-il pas symptomatique que ce qui
constitue un modèle de référence pour d¹autres catégories de précaires soit
systématiquement battu en brèche ? L¹élaboration d¹un modèle
d¹assurance-chômage fondé sur la réalité de nos pratiques est une base
ouverte à toutes formes de réappropriation, de circulations, de
contamination en direction d¹autres secteurs.

Ce conflit a suscité une réflexion approfondie sur les tenants et
aboutissants de nos métiers. À une époque où la valorisation du travail
repose de plus en plus sur l¹implication subjective des individus dans leur
activité et où, parallèlement, l¹espace accordé à cette subjectivité est de
plus en plus restreint et formaté, cette lutte pose un acte de résistance :
il s¹agit de se réapproprier le sens de notre travail (intimement et
collectivement), de le réinventer.

La coordination des Intermittents et Précaires d¹Ile-de-France