Déclaration de Sebas sur sa détention et la torture

Sébastien Bédouret
(date d’arrestation : 06/012007)

L’arrestation s’est produite le six janvier deux mille sept. Juste après m’avoir arrêté, ils m’ont mis dans une voiture, dans un 4×4. Je ne le savais pas, mais ils m’emmenaient à la caserne d’Intxaurrondo. La voiture s’est arrêtée, et nous sommes entrés dedans. Il y avait deux gardes civils et moi, l’un était le conducteur, et l’autre était assis avec moi sur le siège arrière. Nous avons attendu que les autres voitures arrivent. Pendant cette attente, un agent de la Guardia civil qui était hors de la voiture m’a regardé par la fenêtre avec un visage menaçant. Celui qui était assis à côté de moi lui a fait un signe pour qu’il me laisse tranquille.

Ils m’ont sorti de la voiture et m’ont emmené dans une pièce. Quand ils m’ont sorti de la voiture, ils m’ont obligé à fermer les yeux, et pendant le trajet de la voiture à cette pièce, l’un de ceux qui m’emmenaient m’a couvert les yeux avec sa main, pendant qu’ils m’obligeaient à me plier en deux et à baisser la tête vers le sol. Ils m’ont mis dans une cellule. Il m’ont dit que je devais garder les yeux fermés jusqu’à ce qu’ils me disent que je pourrai les ouvrir. Ils sont sorti de ma cellule et ont dit que je pouvais les ouvrir. Par l’ouverture, ou le regard, que la porte de la cellule avait, j’ai pu voir qu’il y avait trois agents encagoulés qui me regardaient. L’un d’entre eux était une femme qui portait des lunettes. La femme et un autre sont partis et pendant un moment le troisième agent est resté là à me regarder. C’était le même qui, quand j’étais dans la voiture, m’avait regardé de façon menaçante. Dans la cellule, j’étais tremblant, j’avais froid. Ils sont venus à d’innombrables occasions, et me regardaient par le regard de la porte.

Lors d’une de ces occasions, ils m’ont demandé si je savais qui m’avait arrêté. Je ne savais pas où j’étais alors je leur ai dit « la police », et ils m’ont répondu « tu es à Intxaurrondo. Tu connais l’histoire d’ici? Tu as eu l’occasion de lire beaucoup de témoignages, mais quand tu sortiras d’ici, tu auras l’occasion d’écrire ton propre témoignage ».

Une autre fois qu’ils sont venus à la cellule, ils m’ont dit de me mettre debout, dos à la porte, avec la tête baissée et les yeux fermés. Je crois que trois agents sont entrés dans la cellule. Ils m’ont obligé à me mettre dans un des coins de la cellule. Ils m’ont posé deux couvertures sur la tête et ont commencé à me poser des questions sur ma vie personnelle. Les questions étaient incessantes et ils me les posaient très rapidement, et quand mes réponses n’étaient pas aussi rapides qu’ils le voulaient, ils me frappaient derrière la tête. Je ne sais pas combien de temps a duré ce premier interrogatoire. Peut-être quinze ou vingt minutes. Ils sont partis, mais ils sont revenus et ont recommencé les questions et les coups sur la tête quand je ne répondais pas aussi vite qu’ils le voulaient. Cela s’est répété pas mal de fois, ils partaient, et après un moment ils revenaient, ils partaient de nouveau, ils revenaient… questions et réponses…

Un de ces trois agents remplissait le rôle du « bon policier », parfois il entrait dans la cellule et s’asseyait à côté de moi sur le lit et me questionnait à propos de la famille et de choses personnelles. Il me disait de rester tranquille, que le lendemain je pourrai prendre le train que j’avais prévu de prendre. J’avais le billet pour le lendemain à deux heures et quart de l’après-midi vers Paris, il me disait qu’il y avait encore le temps… Mais de nouveau les autres sont entrés et la même chose a recommencé. Ils me demandaient si j’avais froid, et si je leur répondais que oui, ils me mettaient les couvertures sur la tête, et quand je commençais à transpirer, ils me les enlevaient. En plus, les questions et les coups continuaient. L’un d’entre eux m’a dit « bonne nuit, M. Txalaparta », en référence à Txalaparta Irratia, émission de radio à laquelle je participe.

Lors de l’une de ces occasions au cours desquelles ils me sortaient de la cellule, ils m’ont emmené à l’hôpital. Là, deux femmes m’ont examiné et m’ont demandé quel traitement je subissais, mais je ne leur ai rien dit à propos des mauvais traitements. Elles me donnèrent de l’eau, mais je n’en ai pas bu beaucoup parce que je n’avais pas confiance…

De nouveau, ils m’ont ramené à Intxaurrondo. Ils m’ont obligé à apprendre une déclaration, qu’ils m’ont fait répéter au moins sept fois avec tous les détails qu’ils m’avaient spécifiés, et je l’ai fait. Pour faire cette déclaration, un avocat commis d’office et un traducteur sont venus. Ils m’ont dit que je ne pouvais pas parler avec eux. Au cours de cette déclaration, je n’ai pas pu voir l’avocat commis d’office parce qu’il était derrière moi. Je n’ai pas dénoncé les mauvais traitements par peur des représailles.

Après avoir fait cette déclaration, ils m’ont ramené à la cellule. Les agents qui m’avaient obligé à l’apprendre sont venus et m’ont demandé si je l’avais fait comme ils l’avaient dit. Je leur ai dit que oui. Alors ils m’ont sorti de là et m’ont mis dans une voiture avec quatre gardes civils. J’étais à l’arrière, entre deux d’entre eux. Bien qu’ils m’aient mis un masque, je pouvais voir par en-dessous qu’il faisait nuit. Quand ils m’ont sorti de la voiture, il faisait jour.

Je ne le savais pas mais ils me transportaient à Madrid. Pendant tout le voyage ils m’ont laissé le masque sur les yeux, la tête entre les jambes, et eux deux s’appuyaient sur mon dos. Je transpirais beaucoup. Tout au long du trajet ils n’ont pas arrêté de me poser des questions. Ils n’ont pas cessé de parler. Ils se sont tus seulement quand nous nous sommes arrêtés pour prendre de l’essence. J’avais l’impression que l’un me posait les questions et que l’autre prenait les notes de ce que je répondais, et ensuite il les passait à celui qui m’interrogeait en lui indiquant ce qu’il devait me demander. L’un m’a dit « il y a des choses qui ne sont pas claires dans la déclaration que tu as faite, et j’ai le pressentiment que la bonne manière n’a pas fonctionné, et que donc nous allons devoir utiliser la mauvaise manière. Tu sais à quoi nous nous référons? ». Ils se sont mis à parler entre eux à voix basse, et tout à coup la voiture est sortie de la route, c’était comme si nous étions sur un chemin dans la forêt, et je sentais les nid-de-poules de la route. J’ai eu l’impression que ce trajet était très long. Ils m’ont sorti de la voiture. J’avais l’impression qu’on était dans un endroit abandonné, il faisait très froid, il y avait une odeur terrible. Ils m’ont laissé dans une pièce qui ne ressemblait pas à une cellule même si elle avait cette fonction. Ils disaient que nous étions dans la zone spéciale. Je me sentais totalement isolé du monde, seul. Eux sortaient et entraient de cette pièce. Chaque fois qu’ils allaient entrer, ils m’obligeaient à me mettre debout, dos à la porte, avec la tête baissée et les yeux fermés. Ils m’ont emmené dans une autre pièce. Pendant le trajet, ils m’ont obligé à garder la tête entre les jambes, avec le corps complètement plié en deux. Cette pièce dans laquelle ils m’ont ramené était complètement dallée de carreaux blancs, ça ressemblait à un laboratoire, j’étais fatigué, je n’avais pas dormi du tout.

Ils m’ont poussé dans un coin de la pièce, ils m’ont mis des couvertures sur la tête et ont commencé à me demander si je comprenais ce qui était en train de se passer. Ils ont recommencé avec les questions et les coups. Ils m’ont obligé à faire des flexions, en haut, en bas, et pendant ce temps, ils continuaient avec les questions, il y avait tout en même temps, les questions, les coups… J’ai dû faire énormément de flexions, et j’ai fini par m’évanouir. Je suis tombé par terre, mais ils m’ont relevé et m’ont obligé à continuer à faire des flexions, mais je ne pouvais plus… Chaque fois que je tombais ils me relevaient… L’un d’eux a posé sa main sur mes parties génitales et m’a demandé comment se disait « homosexuel » en français. Je lui ai répondu, et j’ai entendu plein de rires derrière. J’avais l’impression qu’il y avait beaucoup de gardes civils, et il y en avait un qui avait un rire très spécial, c’était comme de longs éclats de rires… Après ils m’ont appelé « homosexuel » à plusieurs reprises, en français.

L’un d’eux m’a mis la main sur la tête et m’a demandé si je reconnaissais sa voix. Moi, même si je le reconnaissais comme étant l’un de ceux qui m’avaient interrogé et frappé à Intxaurrondo, je lui ai dit à ce moment-là que non. Il m’a donné un coup derrière la tête et m’a dit « Tu me reconnais maintenant? ». Pendant ce temps, j’étais constamment obligé de faire des flexions et je recevais sans cesse des coups. Et ils ont recommencé aussi avec les menaces. Ils ont commencé à parler de ma femme. Ils m’ont demandé si je savais quel jour c’était aujourd’hui, et je me suis rendu compte que j’étais complètement désorienté.

Ils me ramenèrent à la cellule. Après un moment, ils me sortirent de là et me dirent qu’ils allaient m’emmener voir un médecin. A ce moment-là je me suis rendu compte que je n’étais pas dans un lieu abandonné comme je l’avais cru jusque-là. Si un médecin venait me voir, c’est que j’étais dans un site officiel. Avant de m’amener à lui, ils m’ont conduit dans un cabinet de toilette pour que je me nettoie un peu le visage et les mains. Après, ils m’ont mené à des escaliers qui montaient, puis dans une pièce au fond d’un couloir, qui était la pièce dans laquelle m’a vu le médecin. Dans ce couloir, j’ai pu voir celui qui avait pris ma déclaration à Donostia. Le médecin était une femme qui m’a paru très froide et très distante, pas comme ceux que j’ai vus à Donostia. Elle m’a posé des questions quant à mon traitement, et je lui ai dit qu’ils m’avaient frappé à la tête, de même qu’ils m’avaient obligé à faire des flexions. Elle m’a demandé « Rien qui peut se voir? », et je lui ai répondu que non, parce que je n’avais pas de marques. Je lui ai demandé quel jour on était, et elle m’a donné l’impression qu’elle se moquait de moi. La visite a duré au maximum deux minutes. Elle a demandé aux gardes civils qu’ils me donnent de l’eau, quelque chose à manger et de la Ventoline au cas où j’en aie besoin, parce que j’ai de l’asthme. Quand ils m’ont ramené à la cellule, les agents de la Guardia civil m’ont demandé si j’avais dénoncé quelque chose. Je leur ai répondu que non. Ils m’ont laissé dans la cellule et après un moment m’ont apporté une petite bouteille d’eau et un sandwich. J’ai seulement bu un peu d’eau.

Alors que j’étais dans la cellule, les gardes civils allaient et venaient sans cesse. Et chaque fois qu’ils venaient à la cellule, je devais me mettre debout contre le mur avec la tête baissée et les yeux fermés. Parfois, quand l’un d’entre eux entrait, il me mettait la main sur la bouteille et repartait.

Ils m’ont emmené pour un autre interrogatoire. Ils ont commencé à ma parler de ma femme, et ont commencé les menaces sauvages. Ils me dirent que quand elle avait été informée de mon arrestation elle était venue à Madrid, pour savoir ce qui se passait, et qu’ils l’avaient arrêtée. Ils me dirent qu’ils allaient lui faire la même chose qu’à moi voire un peu plus, et que c’était très bien pour eux puisqu’elle était enceinte… Ma femme est enceinte de huit mois, et je croyais à toutes ces menaces, parce que connaissant ma femme comme je la connais, je savais qu’elle était capable d’être venue… En plus, ils me donnaient beaucoup de détails, et je les croyais, je ne me doutais pas que c’étaient des mensonges. Ils m’ont aussi menacé d’arrêter toutes les personnes que je connais en Gipuzkoa, ils m’ont demandé de leur citer tous les organismes où j’étais allé… Je leur ai dit que j’étais juste allé à Etxerat et que c’était un organisme légal, une association de familles… Ils m’ont répété qu’ils avaient cinq jours pour m’obliger à dire ce qu’ils voulaient entendre. Et comme je ne maîtrisais pas le temps, j’étais complètement désorienté. L’un d’eux m’a dit que la prochaine fois qu’il me verrait à Lizartza il me tuerait. J’y suis allé une seule fois. Ils sont même allés jusqu’à me menacer avec Barajas, qu’il fallait bien que quelqu’un porte le chapeau…

Ils me mirent de nouveau dans la cellule. Ils m’ont apporté un café et un petit pain, mais je n’ai pas mangé plus qu’une bouchée parce que je n’avais pas confiance dans la nourriture, et en plus je ne pouvais rien avaler à cause de cette situation, j’étais très nerveux.

Ils m’ont obligé à faire une seconde déclaration. Sur le fond, c’était la même que celle que j’avais faite précédemment, mais ils m’ont dit que je devais préciser certains points. Ils m’ont obligé de nouveau à l’apprendre et nous l’avons répétée jusqu’à ce que je l’apprenne. J’avais l’impression que c’était une déclaration très brève, mais après, une fois que tout a été terminé, en parlant avec l’avocate, je me suis dit que ça avait duré trois heures, ce qui montre à quel point j’étais désorienté dans le temps.

Après cette seconde déclaration, ils m’ont remis dans la cellule, et bien que ça ne soit pas pour m’interroger, ils revenaient très fréquemment.

Au cours des interrogatoires, les coups, les menaces et l’obligation de faire des flexions ont été constants, ils m’ont demandé si je savais ce qu’était « la bolsa » pendant qu’ils m’en mettaient une à côté de l’oreille de manière à ce que j’entende le bruit qu’elle faisait, et ils me criaient constamment dans les oreilles, ils criaient beaucoup, ils me disaient que comme les cinq jours n’étaient pas passés ils pouvaient me garder là, qu’après que j’aie déclaré devant le juge je reviendrai avec eux, ils me demandaient si je connaissais Unai Romano… Dès lors, rien d’autre, ils m’ont emmené devant le juge, et la première chose que je lui ai demandé a été si ils pouvaient me remettre entre les mains des gardes civils, ce à quoi il m’a répondu que non. J’ai eu la sensation que les interrogatoires à Intxaurrondo étaient plus longs qu’à Madrid, mais ceux de Madrid étaient plus violents bien que plus courts. Il y avait un agent qui avait un accent sud-américain.

Pendant tout le temps durant lequel j’ai été dans les dépendances de la Guardia civil, je n’ai pas pu dormir.

Le huit janvier, ils m’ont mis à disposition judiciaire. J’ai dénoncé devant le juge les mauvais traitements et les menaces. Le procureur m’a demandé, par rapport aux menaces concernant ma femme, si elle était venue avec moi, je lui ai dit que non, qu’elle était restée à Paris. Alors ils m’a demandé comment j’avais pu croire qu’ils l’avaient arrêtée, et je lui ai répondu que dans de telles circonstances je pouvais croire n’importe quoi. Après que j’aie fait ma déclaration, le juge a demandé au procureur quelle réquisition il faisait, et celui-ci lui a dit d’attendre un peu, qu’il devait sortir un moment du bureau, et quand il est revenu, il lui a dit qu’il requérait la prison. Alors le juge a ordonné ma mise en détention. La première nuit à Soto del Real, je n’ai pas pu dormir. Je me suis réveillé en panique, avec la sensation d’être encore dans les dépendances de la Guardia civil. Il faut tenir compte du fait que je n’ai pas pu dormir du tout là-bas.