Exception faite des six élus de l’opposition qui n’ont pas voté la convention entre la société de production DTS et la ville, on aura noté le sens de l’innovation culturelle de l’équipe municipale alençonnaise, en parfait avec accord avec sa ringardise et son conformisme bourgeois. Sous couvert d’une manifestation populaire, la venue du spectacle hyper-formaté, et mauvais, de TF1 au parc des expositions, ces fins esthètes et mélomanes avertis ont décidé de faire un beau cadeau à leurs administrés en leur offrant une soirée entièrement gratuite, de réputation nationale-télévisuelle. Cette messe bruyante aura lieu le 30 juin prochain, à 20h30. Quand je dis gratuit, je rectifie tout de suite, c’est quand même une histoire de gros sous. Car 74000 euros ce n’est pas rien, et le coût de la prestation, entièrement pris en charge par la ville, est évidemment à double tranchant. C’est comme dire : « Je te fais un cadeau, mais c’est toi qui le payes ». Ramené au nombre d’habitants que compte la préfecture ornaise, ça doit faire pas loin de deux euros cinquante centimes par tête de pipe. Certes le tri sélectif est onéreux, mais adapté à la télé-poubelle il devient carrément exorbitant.
Passons à l’analyse. Tout d’abord inutile de vouloir contacter un responsable de la communication à la mairie, le poste étant vacant depuis un moment (pour ceux que l’aventure intéresse, l’offre d’emploi est référencée 474811I à l’ANPE depuis le 26 octobre 2006). Par ailleurs, il est relativement difficile de savoir d’où vient l’initiative d’un tel événement pseudo-culturel, difficile de savoir si c’est la mairie qui a contacté la société de production DTS ou l’inverse. Cependant, il semblerait que dans cette affaire le service culturel de la municipalité ait été tout simplement court-circuité puisque l’annonce de la convention a été faite par madame le maire et non par son adjoint (dé)chargé de la culture. L’argument sous-jacent a été le suivant : la culture est souvent perçue par beaucoup, et tout particulièrement par les classes dites populaires, comme une sphère d’activités relativement élitiste et, partie de ce constat, madame le maire a donc décidé, a priori seule, de soulager ce ressenti populaire en faisant cadeau d’un événement spectaculaire gratuit, en pensant peut-être que dégager une telle somme d’argent faisait montre d’un bel effort politique et que les alençonnais allaient apprécier la démarche. C’était sans compter, c’est le cas de le dire, sur la force symbolique des chiffres, surtout si l’on en vient à comparer le montant alloué pour la venue de la Star Ac’ aux sommes modestes que peut manipuler par exemple un smicard dans sa vie quotidienne. Quand on sait aussi que la même municipalité prétend avoir de sérieuses difficultés à soutenir financièrement les emplois des animateurs dans les maisons pour tous, emplois menacés de disparition par défaut de renouvellement, on se prend à douter sérieusement du réel volontarisme affiché de se rapprocher des gens en difficultés et de soutenir les actions culturelles dans les quartiers. Avec 74000 euros, on doit pouvoir maintenir quelques animateurs culturels en poste. Du point de vue comptable, on s’étonnera encore qu’une somme aussi coquette ait pu ainsi surgir presque par magie : est-ce inscrit au budget de la culture ? Du fonctionnement ?
Bon nombre de spectacles de passage dans la ville, de qualité bien supérieure, et qui peuvent justement niveler par le haut la consommation culturelle, devraient pouvoir bénéficier de telles prérogatives pécuniaires, mais cela exige un tout autre courage politique et une conscience sociale que les thuriféraires de la rupture tranquille ne possèdent visiblement pas. Et tout ce cirque, car il s’agit de cela -la plèbe veut des jeux, qu’on lui en donne !-, est présenté comme un événement d’importance, et médiatique, qui participera au rayonnement de la Cité des Ducs. Ceux qui se battent concrètement, jour après jour, avec des moyens parfois minimes, pour promouvoir la diversité musicale ou, de façon plus générale, la multitude artistique, apprécieront également l’élégance de la démarche qui, à la frontière délicate du populisme, révèle aussi une tactique électoraliste taillée dans la masse. Faire venir dans une salle de spectacle ce que produit de plus mauvais la télévision ce n’est pas, à proprement parler, amener les individus à découvrir les larges horizons de la culture et de la création, c’est au contraire les maintenir dans l’abrutissement que génère chaque jour la petite boîte à images et qui arrange tous ceux qui, savourant l’ordre établi, redoutent l’esprit critique et la libre pensée.