Qui a sélectionné ?

Un thème récurrent dans la propagande anti-palestinienne (incorrectement qualifiée habituellement « pro-Israël ») est de « Ne pas faire de sélection ». L’idée est que le mal devrait être dénoncé partout où il est ; plus le mal est grand, plus la dénonciation doit être forte ; et étant donné qu’il y a des maux bien pires que ceux d’Israël, Israël ne doit pas être critiqué. Pas maintenant en tout cas : peut-être une fois que tous ces maux auront été éradiqués.

L’article de Julius et Schama ne fait pas exception : vous trouverez ce cliché comme argument n° 3 : « Bien que l’appel (au boycott d’Israël) prétende affirmer les valeurs des droits humains, universels, il est incapable d’expliquer pourquoi il demande un boycott du seul Israël parmi toute les nations du monde. Il ne dit rien au sujet des mauvais traitements et des violations des droits de l’homme que subissent les citoyens israéliens. Il ne dit rien au sujet des violations des droits de l’homme perpétrées partout dans le monde (au Darfour, en Tchétchénie et en beaucoup d’autres endroits). »

Laissons l’argument « Ne pas faire de sélection » à ses auteurs. Si, comme ils le prétendent, le mal devrait être critiqué partout où il se trouve, alors ou Shama et Julius doivent considérer le boycott proposé comme le pire mal de la terre, ou bien il ont déjà fait tout ce qu’ils pouvaient pour critiquer les plus grands maux.

Le boycott proposé est-il le plus grand mal sur terre ? Ma foi, je n’ai pas entendu qu’un seul être humain ait été blessé, tué, ou même ait souffert à cause de lui. Mais tandis que Julius et Schama étaient occupés à écrire leur article, Gaza était assiégée par Israël depuis des mois. Les nombres de morts ont atteints des niveaux historiques ; un million et demi d’êtres humains ont été hermétiquement enfermés dans une bande minuscule de terre, privés des soins médicaux dont ils avaient besoin et poussés à la limite de la famine. Schama et Jullius ne font même pas mention de ce mal-là.

En même temps, le gouvernement US s’est servi de l’impôt payé par Julius et Schama pour entraîner et armer un parti dans une guerre civile effroyable – et tout à fait par hasard, c’est le parti qui a perdu les dernières élections démocratiques. Schama et Julius ne parlent pas de ce mal, non plus. Mais ils ont trouvé le temps de critiquer l’appel au boycott et d’écrire contre lui. Et ils ont le culot d’accuser ceux qui ont lancé le boycott d’avoir « sélectionné », dont d’être des hypocrites.

Mais, pourriez-vous arguer, peut-être que les auteurs ont déjà critiqué les plus grands maux du globe, de sorte qu’ils peuvent légitimement prendre le temps de critiquer le boycott ? Bon, mais j’ai essayé de suivre l’activité que Schama aurait pu avoir en faveur de la paix. Une recherche sur Google avec « Schama et Israël » donne juste un résultat : durant la dernière du Liban, quand Israël rasait des quartiers entiers à Beyrouth, tuant au moins 1 140 civils dont 30% étant des enfants de moins de 12 ans, le professeur Schama s’est manifesté pour exprimer à la BBC cette critique accablante des atrocités d’Israël : « Ce que fait Israël – bombarder les centres villes – ne va pas l’aider au bout du compte dans sa tentative de se débarrasser d’une mini-armée comme le Hezbollah ». Bombarder les centres villes est donc parfait, le seul problème c’est que ce ne fut pas tellement si utile. Une critique courageuse en effet. Et tellement morale, aussi.

Puis j’ai googlé : « Schama et Darfour » : rien à signeler ; « Schama et Tchétchénie » : rien du tout. (A propos, que dites-vous de l’Iraq contrôlé par les Etats-Unis ? ou de l’Afghanistan ? Tout va bien là-bas ?). Mais maintenant je dois faire attention : peut-être que Simon Schama a été un activiste acharné et infatigable pour la paix et la justice en Palestine, au Darfour, en Tchétchénie, et « en beaucoup d’autres endroits », comme il dit. Mais tel que je le constate, son activisme implacable n’a laissé aucune trace sur le Web (où son nom donne plus de 450 000 résultats). Peut-être que l’activité publique de Schama – honoré « commandant de l’Empire britannique » – s’est faite uniquement en privé.

Occupation réhabilitée

Pour écarter toute analogie entre Israël et l’apartheid d’Afrique du Sud, Julius et Schama prétendent que « les Palestiniens, les Druses, et les autres minorités en Israël sont à égalité de droits conformément aux lois fondamentales… qu’il n’y a aucune restriction légale pour leurs déplacements, leurs emplois, ou leurs relations matrimoniales. »

Cette allégation est correcte, au moins pour un profane : un historien informé et expert juridique sérieux devrait savoir que les relations matrimoniales entre conjoints d’ethnies ou religions différentes ne sont pas possibles dans la loi israélienne ; mais passons. Ce qui transforme leurs propos en démagogie pure, c’est que ni John Berger, ni l’initiative du boycott, ni même l’appel palestinien pour le boycott, n’évoquent le statut des minorités à l’intérieur d’Israël pour le motiver, ou pour comparer Israël à l’apartheid d’Afrique du Sud.

Julius et Schéma savent très bien pourquoi Israël est comparé à l’Afrique du Sud de l’apartheid : non à cause des minorités au sein d’Israël (victimes de discriminations) mais à cause de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza. A cela, naturellement, ils ne peuvent se faire front. Tellement que d’abord ils écartent une affirmation qui n’est pas avancée et ils passent ensuite au refus de l’occupation en une seule phrase et contrefaite : « les relations entre Israël et les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie ne sont pas régies par le droit israélien mais par le droit international. »

C’est en effet l’une des plus belles perles que j’ai pu lire sur le sujet. Je défie l’expert juridique et l’honorable historien de fournir une seule preuve sur le simple aspect : « les relations entre Israël et les Palestiniens » – c’est-à-dire, l’occupation (un terme que les auteurs évitent) – sont « régies » actuellement par le droit international.

Le droit international permet-il la création des colonies et le déplacement de la population occupée pour prendre sa terre ? Le droit international permet-il la déportation des personnes sous occupation, individuellement ou en masse ? Le droit international permet-il la construction du mur d’apartheid ? Le droit international permet-il la mise en place de centaines de check-points et d’un système d’autorisations qui rendent impossibles toute vie économique et même toute vie de famille ? Permet-il la confiscation de la terre et des biens, comme le pratiquent constamment les forces d’occupation israéliennes ? Le droit international ne permet rien de tout cela. Israël ne respecte pas un seul article du droit international, qui, selon Schama et Julius, « régit » leurs relations avec les Palestiniens.

Si un étudiant en histoire prétendait, par exemple, que dans la République néerlandaise du 17è siècle, certaines relations avaient été « régies » par quelque principe légal, sans prendre la peine de préciser que ce principe légal n’avait pas été accepté par la partie concernée, qu’il n’était pas impliqué et n’avait eu aucun impact sur la moindre réalité, je suis sûr que le professeur Schama l’achèverait, écartant sans appel sa déclaration comme étant du pur charlatanisme. Mais quand l’occupation d’Israël est en jeu, Schama a recours lui-même à ce genre de démagogie.

Analogies historiques

Pas besoin d’être professeur d’histoire à Columbia pour savoir que les analogies historiques sont toujours controversées, simplement parce que l’histoire ne se répète jamais vraiment. L’analogie avec l’apartheid a été prise sous les feux, trop : par exemple disant qu’à la différence des Noirs d’Afrique du Sud, le mouvement de libération palestinien combattait pour un Etat nation et non pour un Etat multiethnique. Je suis moi-même d’accord avec l’ancien président américain, Jimmy Carter, qui récemment déclarait que ce que faisait Israël dans les Territoires occupés était pire qu’un apartheid ; « apartheid » est devenu maintenant un euphémisme. Ecarter l’analogie historique, comme le font Schama et Julius est toujours facile.

Cependant, Julius et Schama insistent pour présenter leur propre analogie historique : dans un article critiquant le boycott comme « banal », ils se servent eux-mêmes de l’analogie la plus banale entre toute, à savoir celle avec l’Allemagne d’Hitler. Ce n’est pas qu’il est utile de discourir sur cette analogie, ni qu’elle vaille d’être citée le moins du monde, mais c’est la manière extrêmement manipulatrice dont Julius et Schama l’introduisent. La connexion entre l’initiative actuelle de boycott et l’Allemagne d’« avril 1933 » est inventée par une simple phrase, qui reste étrangement isolée, comme un paragraphe indépendant. Il est écrit :

« Ceci n’est pas le premier boycott dirigé contre les Juifs. »

Quelle manipulation. Le boycott de Berger n’est en effet pas le premier dirigé contre les Juifs : car il n’est pas dirigé contre les Juifs du tout. Il est dirigé contre Israël, pas contre les Juifs. Certains de ceux qui soutiennent Israël sont Juifs, mais ce n’est vraiment pas le problème. Pour discréditer le boycott, Julius et Schama mentent sur son objectif, décrivant un boycott politique comme raciste. Par cette manipulation, les auteurs réaffirment en fait la diffamation selon laquelle « tous les Juifs » seraient coupables et ainsi responsables de l’occupation israélienne. C’est précisément la logique criminelle du terrorisme aveugle contre les civils israéliens et les Juifs dans le monde.

Le Dr Ran HaCohen est né aux Pays-Bas en 1964 et a grandi en Israël. Il possède un diplôme universitaire en informatique, un diplôme supérieur en littérature comparative et sa thèse est parue dans « Les études juives ». Il est professeur universitaire en Israël ; traducteur littéraire (depuis l’allemand, l’anglais et le néerlandais) et critique littéraire pour le quotidien israélien Yedioth Achronoth. Les travaux de Mr HaCohen ont été publiés largement en Israël. La lettre d’Israël sort occasionnellement sur antiwar.com. Cet article qui a été publié d’abord sur Antiwar.com est rediffusé avec l’autorisation de l’auteur (version anglaise).

Ran HaCohen

Trad. : JPP

http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=4260