Gaza et le Darfour. Quand Will Kristoff se rendra-t-il dans les Territoires occupés ?

Ce ne sont pas les Américains qui commettent les meurtres ou paient d’autres pour le faire. Il n’y a donc aucun besoin de minimiser ce grand massacre en parlant d’ « allégations ». Il n’y a aucun risque à mettre en garde contre un génocide au Darfour. Et la crise au Darfour est également très photogénique.

Quand les gangs de la RENAMO, soutenus par Ronald Reagan et le régime d’apartheid en Afrique du Sud [1], massacraient les paysans du Mozambique, les nouvelles étaient rares dans les médias et le ton globalement très prudent dans les critiques. Ce n’est pas le cas pour le Darfour : ici l’outrage moral atteint le niveau caractéristique des sermons sur les massacres inter -ethniques dans lesquels les blancs, particulièrement le gouvernement états-unien, ne sont pas visiblement impliqués.

Depuis le 1 mars, le New York Times a publié 70 articles sur le Darfour (dont 16 provenant d’agences de presse), 15 éditoriaux et 21 chroniques signées, sauf une, par Nicholas Kristof.

Le Darfour est un sujet « qui passe bien » pour des gens qui ici veulent dénoncer publiquement les injustices dans le monde mais qui ne veulent rien faire concrètement. Après tout ce sont les Arabes qui perpètrent ces crimes et les gens dans ce pays ci ne peuvent finalement pas faire grand chose pour amener à un véritable changement dans la politique du gouvernement de Khartoum.

Par contre, Gaza c’est une tout autre histoire. Le public américain et le gouvernement US contrôlent largement ce qui s’y passe. Et c’est Israël, le principal allié des Etats-unis au Moyen- Orient, qui jour après jour et avec le soutien sans faille de l’Amérique, inflige des brutalités révoltantes à une population civile.

Relater en détail ce qui se passe à Gaza revient à accuser les Etats-unis de complicité dans des crimes terribles commis par Israël, alors qu’il réduit à néant, systématiquement, une société forte de 1.5 million Palestiniens. Bien sûr le nombre des morts n’est qu’une fraction de ce que l’on raconte sur le Darfour, mais pourtant, nous sommes bien ici devant une tentative déterminée d’Israël, soutenu par les Etats-Unis et l’Union européenne, de détruire une société toute entière.

Je n’ai pas été surpris de constater un tournant brutal dans l’insistance à parler du Darfour au moment de l’attaque de Kerem Shalom et le kidnapping de Gilad Shalit à Gaza en juin cette année. Et au moment où la campagne de destruction du Liban menée par Israël a pris son essor cet été(une campagne indissociablement liée à la question de la Palestine), le Darfour est devenu un sujet encore chaud, pour détourner l’attention.

Où est Kristof ? Est ce qu’il ne pourrait pas renoncer à l’une de ses chroniques sur le Darfour pour en faire une sur les souffrances de Gaza ? Peut-être s’aligne-t-il sur Thomas Friedman, qui est responsable du domaine Moyen-Orient dans la page partagée du NYT, comme des morceaux d’Afrique reviennent à Kristof.

Les soldats israéliens ne vont pas pénétrer dans Gaza et en faire partir les habitants dans des camions. La stratégie, c’est simplement de transformer l’endroit en un dépotoir où s’installent des gens déshérités. Le cessez-le-feu actuel ne permettra en rien de soulager le siège physique, financier et commercial imposé par Israël, les Etats-Unis et l’Union européenne, et ceux qui ont sont complices condamnent les habitants de Gaza à la mort vivante sur place et la mort véritable est infligée tous les jours aux « terroristes » et à ceux qui ont la malchance d’être dans la ligne de tir, comme la famille à Beit Hanoun ou l’institutrice dans le minibus plein d’enfants (ratés de peu).

Comme l’écrit Gideon Levy dans l’un de ses nombreux rapports décapants publiés dans Ha’aretz, l’armée israélienne « a été lâchée dans Gaza -il n’y a pas d’autres mots pour décrire ça-, tuant, démolissant, bombardant avec des obus ou des missiles, de façon indiscriminée ». Quand mon frère Patrick s’y trouvait en septembre il a écrit dans l’ Independent que « les troupes et les chars israéliens se déplacent où ils veulent. Dans le nord, dans le district de Shajhayeh ils ont occupé plusieurs maisons et y sont restés 5 jours. Quand ils se sont retirés, 22 Palestiniens avaient été tués, 3 maisons détruites et des champs d’oliviers, de citronniers et d’amandiers avaient été arasés par des bulldozers. Fuad al-Tuba, un fermier âgé de 61 ans qui y possède une ferme a raconté : ‘ils ont même détruit 22 de mes ruches et tué 4 moutons.’ Son fils Baher al-Tuba a dit comment pendant 5 jours les soldats israéliens ont consigné sa famille et lui même dans une seule pièce de la maison, où ils ont survécu en buvant l’eau d’un aquarium. « Les tireurs d’élite se sont postés aux fenêtres et ils tiraient sur tous les gens qui approchaient », a-t-il dit. « Ils ont tué un de mes voisin, Fathi Abu Gumbuz, qui avait 56 ans, alors qu’il sortait pour chercher de l’eau.' »

Le son qui effraie le plus les Palestiniens, écrit Patrick, « est une voix inconnue au téléphone qui leur dit qu’ils ont une demi heure pour quitter leur maison avant qu’elle ne soit frappée par des bombes ou des missiles. Aucun appel possible. » Les Israéliens ont détruit 70 pour cent des orangeraies ; ils ont empêché les pêcheurs d’aller à leurs bateaux ; ils ont détruit la centrale électrique. Plus de 50 pour cent de la population n’a pas de travail et le revenu par tête est de moins de deux dollars par jour.

Jennifer Loewenstein, du programme d’Etudes Proche-orientales de l’Université du Wisconsin à Madison, est allée plusieurs fois à Gaza et a écrit des textes puissants sur le site Internet de CounterPunch. Elle m’a écrit la semaine dernière que ,  » si les gens avaient une véritable information sur Gaza, eux aussi seraient indignés, et c’est bien pour ça qu’on ne leur donne pas de vraie information de là bas. De plus, si le blocus de quasiment toute circulation des personnes prenait fin et si plus de visiteurs pouvaient entrer, davantage de gens -dont des journalistes indépendants- seraient indignés ou n’en croiraient pas leurs yeux devant ce qu’Israël, avec l’appui des Etats-Unis et de l’UE, a fait à cette pauvre bande de terre. C’est bien sûr, je le redis, pourquoi le blocus qu’Israël impose aux personnes persiste.

Et tandis que des diplomates, des employés des Nations -unies et des organisations humanitaires peuvent entrer, le fait que la plupart d’entre eux ne pipent pas mot devant ce crime contre l’humanité suggère qu’ils continueront à ne rien dire si la situation empire. Comme Loewenstein concluait : « On ne fait pas plus insidieux ou plus nuisible en terme de servilité devant les puissants. »

[1] , comme les Contras au Nicaragua dans les années 1980, entraînés et payés par les Etats-unis pour abattre le gouvernement sandiniste, les groupes armés de la RENAMO ont mené dès la fin des années 70 une guerrilla sanglante contre le régime communiste mozambicain afin d’abattre le gouvernement du FRELIMO, Front de Libération du Mozambique, et le président Samora Machel.

4 décembre 2006

Traduction et note : CL, Afps

http://www.france-palestine.org/article5324.html