Le bipartisme, la belle affaire, la quintessence d’une « démocratie moderne »… et qui pourrait en douter ? L’exemple ne vient-il pas d’authentiques démocraties, les USA et la Grande Bretagne ? Réduire au strict minimum le choix de l’électeur quoi de plus efficace, de plus rentable, de plus sécurisant.

Un choix simple, qui n’engage à rien. Le bipartisme, pour que rien ne change tout en mobilisant un maximum de monde en ayant l’impression de tout bouleverser.

IMAGE SIMPLE POUR ESPRIT SIMPLE

Le langage de la politique, politicienne s’entend, emprunte beaucoup au sport et à la compétition. Sur un stade ou un terrain de jeux il n’y a toujours que deux équipes… Il ne viendrait à l’idée de personne de mettre face à face plusieurs équipes. D’ailleurs si, dans une compétition, il y a plusieurs candidats, l’affrontement final, essentiel, celui qui a le plus d’intérêt c’est celui qui se déroule entre les deux qui restent et qui désigne le vainqueur.

Ne parle-t-on pas dans les médias de compétition, de match, de finale, d’esprit d’équipe, de préparation, d’arbitrage, de « fair play », etc… à propos de la seule manifestation de la vie politique : l’élection. On ne va pas jusqu’à parler de spectateur concernant les citoyens, l’aveu serait trop significatif, mais on n’hésite pas à parler de « supporter ».

Plus largement cette vision binaire de l’univers imprègne nos esprits : le bien/le mal, l’enfer/le paradis, le vrai/le faux, l’ombre/la lumière, le masculin/le féminin, le chaud/le froid, le positif/le négatif, la santé/la maladie, la vie/la mort… en informatique : le zéro et le un.

Quoique ces « couples » soient de natures totalement différentes ils sont un raccourci simple pour une vision simpliste de la réalité.

Cette vison simpliste convient parfaitement au monde de la politique pour s’adresse au… citoyen qui « n’a pas le temps et n’y comprend rien ». Les « élites » (sic) sont là pour lui expliquer.

POURQUOI LE BIPARTISME ?

Pour une raison bien simple : ça évacue la possibilité de tout changement : l’alternance fait place à la possibilité d’alternative.

Certains n’hésitent pas à voir implicitement dans ce bipartisme une « simplification » de la vie politique. En effet, une fois admis que le système marchand est indépassable, et pour beaucoup, l’effondrement de l’empire soviétique en serait la confirmation ( ?), les différences politiques ne peuvent se jouer qu’au sein même du système en place. Seuls les grands courants de pensées réformistes et/ou réformateurs ont véritablement leur place dans ce que l’on croit être le « débat politique »… ce qui exclu, et c’est clairement signifié aujourd’hui, tous les « extrémismes », aussi bien ceux qui prônent des politiques inutilement déstabilisantes (l’extrême droite), que ceux qui prônent le changement de système (l’extrême gauche).

Un des principaux arguments qui tend à instaurer ce système est la nécessaire stabilité de la vie politique car, comme chacun sait, l’ « instabilité n’est pas propice aux affaires ». Mais comme l’« on est en démocratie » et que « c’est le peuple qui décide », il faut qu’il ai le choix – mais attention, un « choix formel » ; un choix qui ne remette jamais en question l’essentiel, c’est-à-dire la structure du système en place. Et donc quoi de mieux que de lui faire choisir entre deux tendances ayant pour unique objectif la gestion du système.

Ainsi le bipartisme concilie l’impératif de ne rien changer avec le souci du « choix » citoyen. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui une « démocratie moderne » ou la « modernisation de la vie politique ».

EN ROUTE VERS LE BIPARTISME

Le bipartisme existe aujourd’hui en France, sinon de droit, du moins de fait.

L’hypothèse est faite que ces grands courants de pensée, ayant pour vocation à gérer le système peuvent s’allier politiquement aux courants auxquels seuls quelques nuances et sensibilités les séparent. Toute la pratique politique actuelle œuvre en ce sens et en particulier sur le plan électoral qui impose ce genre de regroupement… au risque de disparaître à terme.

Toutes les réformes dans le domaine électoral vont dans ce sens et en particulier concernant l’élection présidentielle qui est en grande partie verrouillée (essayez d’obtenir les parrainages nécessaires, les finances nécessaires, le temps nécessaire, l’audience nécessaire !) par les deux principales formations du « bipartisme à la française ». Le système des parrainages avait été officiellement instauré et durci pour « éviter les candidatures fantaisistes », en fait c’est une excellente machine de guerre, qui sauve les apparences, pour limiter la pluralité dans le débat. L’entreprise électorale devient quasiment une entreprise industrielle dans laquelle on investi des fonds et qui doit être rentabilisée.

Les médias quant à eux font tout pour réduire la consultation électorale à un match entre deux candidats et ce avant même le premier tour. C’est une véritable mise en condition de l’électorat qui signifie simplement : « quoique vous fassiez, quoique vous croyez, ça se jouera entre ces deux candidats »… alors pourquoi parler des autres ! CQFD.

Pas si simple allez vous dire, il y a aussi l’ « hypothèse Le Pen » au deuxième tour comme en avril 2002.

Pas du tout, cette hypothèse renforce tout à fait la tendance au bipartisme. En effet, il est exact que l’extrême droite puisse s’ « intercaler » entre les deux partis dominants… ce qu’elle a déjà fait, et c’est justement pour éviter cette éventualité que les grands partis restreignent le choix… l’existence et la percée du Front National a parfaitement agi dans ce sens.

Le Front National, contrairement aux apparences, est tout à fait manipulé, dans son existence électorale, par les gestionnaires de droite et de gauche du système. Favorisé médiatiquement et institutionnellement par les uns et les autres, il sait aussi servir de repoussoir, d’épouvantail quand le besoin s’en fait sentir et les circonstances l’exigent. Sa présence finie par diriger, orienter, canaliser l’opinion publique vers les « votes utiles », autrement dit, voter alternativement et exclusivement pour la droite et/ou la gauche. Le Front National devient une sorte de « chien de troupeau » qui permet, à distance, de contrôler la masse des électeurs/trices en fonction des peurs, des fantasmes, des intérêts partisans.

LE FORMALISME DEMOCRATIQUE : DE LA FORCE A LA FARCE

Le « débat », ou ce qui en tient lieu, est ainsi réduit à sa plus simple expression. Ce formalisme c’est ce qui reste de ceux que certains appellent pompeusement, le débat républicain.

Ce formalisme constitue la forme spectaculaire de ce qu’est devenu aujourd’hui la « démocratie ». Il occupe tout l’espace de ce qui devrait constituer la réflexion et l’action citoyenne. Il organise, canalise l’action politique qui devient, et est inéluctablement devenue, l’action politicienne.

Ce formalisme démocratique permet avantageusement de culpabiliser le citoyen qui refuse de tomber dans son piège. Réduisant l’élection, processus démocratique en principe fort honorable, à une fausse alternative, la faisant passer de la force politique à la farce politique, le discours politique dominant brandit solennellement et perfidement les luttes et les héros du combat pour la démocratie – « Il y en a qui sont morts pour le droit de vote » – pour faire admettre ce qui est finalement la caricature de l’essence même de la citoyenneté, ce pourquoi précisément ils sont morts.

Ainsi, le « nœud coulant de l’électoralisme » est entrain de se serrer autour du cou de la citoyenneté complètement vidée de son sens.

Le bipartisme assure une stabilité trompeuse sous le couvert d’une modernité ( ?) politique qui n’a qu’un seul objectif : assurer la pérennité du système marchand en déviant toutes analyses critiques, réduisant celles-ci à des utopies irréalistes.

Le processus électoral dans lequel se fonde aujourd’hui l’action politique est devenu une sorte d’entonnoir, aux pentes de plus en plus glissantes, qui conduit inéluctablement au bipartisme. Se situer dans ce cadre c’est finir dans une impasse. Nous ne sommes pas encore au fond mais chaque scrutin nous en rapproche.

Patrick MIGNARD

Voir aussi les articles :

« VICTOIRE DE « LA » POLITIQUE, MORT « DU » POLITIQUE »

« PEUT-ON AVOIR CONFIANCE DANS LES HOMMES/FEMMES POLITIQUES ? »

« SUR LES STRUCTURES ALTERNATIVES »