560 écoles occupées par les étudiants à Athènes

vendredi 17 novembre 2006

Les enseignants et les étudiants de Grèce sont optimistes. Après deux mois de lutte,
ils ont fait reculer le gouvernement. Malgré l’arrêt de la grève des enseignants,
les occupations d’écoles et les manifestations se poursuivent. A Athènes, ils
étaient des milliers vendredi dernier à dire « jamais ! » aux plans de privatisation
de l’enseignement.

« A quand la privatisation ? », demande un étudiant au mégaphone. « Jamais ! »,
répondent en cœur les étudiants du secondaire. Ils sont quelques milliers rassemblés
à la place Omonia, au centre de la ville. « Nous restons optimistes, car les
enseignants et les parents sont avec nous », explique Katerina Venikaki, étudiante
en secondaire. La grève des enseignants a officiellement pris fin. Mais ce n’est pas
la fin du mouvement, estime Katerina : « Nous menons diverses formes de lutte : des
grèves, des manifs, des blocages, des occupations d’écoles. Actuellement, 560 écoles
sont occupées jour et nuit par les étudiants à Athènes et plus d’un millier dans
l’ensemble du pays. » La Nouvelle Démocratie (conservateurs) et le Pasok
(sociaux-démocates) veulent abroger l’article 16 de la Constitution, qui garantit
l’enseignement public et gratuit pour tous. Bien que le gouvernement ait refusé de
discuter avec les enseignants, il vient de reculer sur un point : le débat sur
l’article 16 et sur la privatisation de l’enseignement est reporté à janvier. «
C’est déjà une victoire de notre lutte », estime Katerina. Le cortège des étudiants
du secondaire démarre. Un peu plus loin, les étudiants des écoles supérieures et des
universités sont rassemblés. Ils sont emmenés par Sydonistiko, l’organisation
étudiante de gauche dans laquelle militent les jeunes communistes. Un de leurs
porte-parole nous explique pourquoi ils ont rejoint le mouvement lancé par les
instituteurs. « En été, nous avons préparé la mobilisation contre les plans de la
ministre de l’enseignement. Quand les enseignants ont lancé la grève début
septembre, nous avons directement décidé de les soutenir et de participer à leur
mouvement. Car leurs revendications rejoignaient les nôtres. » Stravroula Riga,
étudiante en secondaire, s’adresse aux étudiants : « Le gouvernement dit que nous
gâchons notre année en empêchant les cours. Mais eux, c’est notre vie qu’ils gâchent
! »
13 fédérations ouvrières en grève pour l’enseignement

Sur une troisième place, sont rassemblés les enseignants du PAME, un front militant
au sein des syndicats, dirigé par le Parti communiste (KKE). Nous rencontrons Manos
Doukas, prof de maths dans une école secondaire d’Athènes. Il rappelle l’historique
de cette grève. « La grève a commencé par instituteurs primaires. Au départ, ils
avaient peu de contact avec les autres enseignants ou avec les travailleurs d’autres
secteurs. Et leur cadre de revendication était limité à l’école primaire. Ils
réclamaient un salaire net de 1.400 euros et s’opposaient à la privatisation, sous
le mot d’ordre ‘Non à l’école du marché’. Les militants du PAME ont alors mis toutes
leurs forces dans ce mouvement. Nous avons encouragé l’élargissement de la lutte,
qui a modifié ses objectifs et son contenu. Nous avons mis en contact les
enseignants avec les autres travailleurs. » La lutte des enseignants et des
étudiants jouit en effet d’un large soutien de la part de la population. «
Auparavant, quand nous allions parler de l’enseignement aux autres travailleurs, ils
s’en foutaient, explique Manos. Aujourd’hui, les enseignants sont invités chaque
jour par des syndicats ouvriers et des associations de parents. Nous sommes parvenus
à mettre le débat sur l’avenir de l’enseignement au centre des préoccupations. C’est
une victoire à laquelle a grandement contribué le PAME. La semaine dernière, nous
avons connu pour la première fois une journée de grève pour l’enseignement, à
laquelle participaient 13 fédérations de travailleurs : bâtiment, Horeca, secteurs
privé, comptables, artistes, etc. Cela n’a fait qu’accroître la mobilisation. Malgré
que les enseignants aient décidé de suspendre la grève, la mobilisation reste
grande. L’occupation se poursuit dans des centaines d’écoles. Nous allons préparer
des grandes manifestations en janvier quand le gouvernement reprendra le débat sur
l’article 16. En juin également, nous serons présents, car un débat va s’ouvrir sur
la privatisation des universités. »
Contre la politique « de Bruxelles »…

Le centre d’Athènes est maintenant complètement paralysé. Les divers rassemblements
d’étudiants et d’enseignants se sont regroupés en une grande manifestation combative
de milliers de gens. Les slogans ne manquent pas d’humour. Les jeunes s’adressent à
la ministre de l’enseignement : « Marietta, tu n’es pas une bergère, nous ne serons
pas tes moutons ! » Ils sont fiers de l’unité du mouvement : « Les étudiants ne
baissent pas la tête ; avec le peuple, résistance et lutte ! », « Construire le
front, c’est notre riposte aux multinationales. » Ils savent que les plans du
gouvernement grec répondent aux exigences du patronat et de la Communauté
européenne, symbolisée par Bruxelles. « Tant que vous suivrez Bruxelles, nous
contre-attaquerons avec le peuple », scandent-ils. Katerina s’adresse aux jeunes de
Belgique : « N’hésitez pas à lutter jusqu’au bout, même si vous avez l’impression
qu’on ne vous écoute pas. La question de la privatisation et du manque de moyen de
l’enseignement nous concernent tous, les gens des pays de la Communauté européenne.
Raison de plus de mener des luttes communes. »
– Encadré 1
Des molotov pour discréditer le mouvement

Certains médias mènent une campagne systématique de calomnie du mouvement des
enseignants et des étudiants. Récemment, une jeune fille de 16 ans a été violée par
4 étudiants dans l’école d’un village, qui ne participait pas à la grève. Une
affaire choquante, bien entendu. Mais le rôle des médias l’est davantage. A l’aide
des images du viol, filmé avec un téléphone portable, ils font chaque jour
l’amalgame avec le mouvement des étudiants. Autre thème utilisé par les mêmes médias
: « les étudiants sont des casseurs ». Les écoles occupées ont pourtant servi fin
octobre comme bureaux de vote. Il y a bien eu des cocktails molotov lancés à une
école, mais par des inconnus masqués, depuis l’extérieur de l’école ! Stravroula
Riga, également étudiante en secondaire, est du même avis : « Les médias disent que
les étudiants sont des violeurs et des casseurs, qui lancent des cocktails molotov.
En réalité, le gouvernement craint que nous soyons les vainqueurs de cette lutte. Il
fait tout pour discréditer notre mouvement, en payant des journalistes pour nous
calomnier ou des provocateurs. » Le cortège des manifestants arrive à la place
Syntagma, où siège le parlement. Je suis frappée par la présence ostensible de
groupes de policiers anti-émeute, avec des casques, des boucliers et même des
masques à gaz pour certains. Leur attitude contraste avec celle des manifestants,
tout à fait pacifiques. En Belgique, on qualifierait cela de provocation. Soudain,
trois individus masqués lancent des cocktails molotov en direction de la police.
Puis ils se replient vers le cortège des manifestants. Mal leur en a pris. Ils sont
aussitôt pris à partie par les manifestants. Ceux-ci en ont assez des provocateurs.

Cécile Chams