Dans un entretien publié par l’Humanité le 23 novembre, Marie-George Buffet reproche à Ségolène Royal de porter « des propositions marquées par un renoncement à changer profondément les choses », mais ne souffle mot sur les déclarations de la candidate socialiste préconisant des « camps » pour certains jeunes, l’encadrement « militaire » de ces derniers ou encore des contraintes de présence intégrales pour les enseignants du secteur public. Ou contre les « droits acquis » et en faveur du droit, pour les chefs d’établissement, de « choisir » (recruter, donc) les enseignants : une logique qui mène, entre autres, à la suppression pure et simple du statut général des fonctionnaires.

On ne peut pas sérieusement prétendre que Ségolène Royal n’envisage pas des « changements ». Le problème réside dans leur nature. Mais, justement, ce débat ne semble pas intéresser la dirigeante du Parti Communiste qui martèle : « La volonté de battre la droite est très forte. (…) si je disais aux familles en attente d’un logement que notre rassemblement n’aspire qu’à témoigner du bien-fondé de nos propositions ou à faire émerger une union de la gauche de la gauche, elles diraient :  » Dans quel monde vit-elle ? Ne voit-elle pas l’urgence de battre la droite ?  » (…) Notre rassemblement doit clairement viser une majorité populaire pour constituer un gouvernement… ». On ne peut pas être plus claire, quant à la volonté de l’intéressée de faire partie d’un gouvernement avec le Parti Socialiste. Voire même, avec l’UDF qui a amorcé un rapprochement avec la « gauche »…

Outre les « oublis » sur Ségolène Royal, Mme. Buffet passe sous silence des informations « sans importance » telles que l’appartenance de Laurent Fabius à la Trilatérale ou encore la présence de nombreux responsables du Parti Socialiste, à commencer par Dominique Strauss-Kahn, dans un cercle d’influence français comme le Siècle, avec notamment les principaux dirigeants des milieux financiers et des multinationales. Pareil sur la participation constante de dirigeants de l’UDF à ces mêmes réseaux. Malheureusement, les pratiques de désinformation de l’électorat n’ont pas changé d’un pouce en une quarantaine d’années. On a affaire aujourd’hui à des procédés analogues à ceux qui, jadis, avaient laissé la grande majorité des citoyens dans l’ignorance ou l’oubli d’éléments « gênants » du passé du candidat aux présidentielles François Mitterrand ou de son entourage, ainsi que de ses rapports réels avec l’extrême-droite ou avec les anciens putschistes d’Alger. Lire, à ce sujet, « La main droite de Dieu » d’Emmanuel Faux, Thomas Legrand et Gilles Pérez, Seuil 1994. Quant à l’existence de réseaux comme le Siècle ou la Trilatérale, combien d’électeurs étaient au courant en 1981 ou 1988 ? Quel pourcentage le sait, encore à ce jour ? Les médias ne sont guère bavards.

Sur le programme qu’on nous propose, il y a également de quoi tomber assis. Changer le système social ne semble plus intéresser un parti qui se dit « communiste ». Vingt-cinq ans passés après l’élection de François Mitterrand, Marie-George Buffet refait le coup d’un « programme minimal », mais très au rabais par rapport à celui diffusé dans les années 1970 et jamais réalisé. A présent, ce que réclament « ces millions d’hommes et de femmes qui veulent battre la droite « , c’est :  » que la gauche agisse contre les délocalisations, la précarité, l’insécurité… (…) le SMIC à 1500 euros tout de suite, l’augmentation des salaires et des minima sociaux, une sécurité sociale universelle, des moyens pour l’école… » Etc… Triste bilan si, vingt-cinq ans après la formation du gouvernement d’Union de la Gauche de Pierre Mauroy avec plusieurs ministres du Parti de Mme. Buffet, on en est là ! Et après vingt-cinq ans d’alternances électorales systématiques, où des citoyens désespérés ont très majoritairement choisi l’abstention et le vote sanction, que propose la secrétaire nationale du Parti Communiste ? Pour l’essentiel, reprendre les mêmes et recommencer. A ceci près, qu’elle a besoin de compenser sa propre perte d’influence électorale par des alliances dans le milieu politique dit « antilibéral ».

Mais quelles instances ont engagé les poursuites qui, en 2001, ont conduit à la condamnation de José Bové à
des peines de prison ferme
? Précisément, le ministère public et un centre de recherche public (le CIRAD), sous un gouvernement à la politique clairement « pro-OGM » mais dont Marie-George Buffet, Ségolène Royal et Dominique Voynet faisaient partie. Un gouvernement dit « de gauche plurielle » mais qui, à l’époque, a battu un record de privatisations, de développement de la précarité, de mesures antisociales et d’embrigadement (y compris, la LOLF que la « droite » a appliquée avec diligence), ou encore de dispositions répressives ou tendant à rendre plus expéditif et sommaire le fonctionnement de la justice et des administrations… et a fini par être abandonné par les électeurs en avril 2002.

Dans ces conditions, le discours « gnagnagna la droite… » relève de la pure démagogie. La situation de plus en plus catastrophique du pays est le résultat d’une seule politique, menée successivement et invariablement par des gouvernements de « droite » et de « gauche » suivant les avatars électoraux. Pas seulement sur le plan économique et social, mais aussi sur celui de l’exercice des droits civiques et du respect des personnes.

Les « élites » de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe ne s’y sont pas trompées, lorsque, le lendemain quasiment de l’échec du référendum sur le projet de Traité Constitutionnel Européen, elles ont envoyé le Commissaire européen aux Droits de l’Homme Alvaro Gil-Robles voir « ce qui se passe en France ». Non pas qu’elles n’en étaient pas au courant, mais pour adresser un avertissement aux milieux dirigeants français. L’oligarchie, les multinationales, les réseaux du monde des finances… ont de bonnes raisons de s’inquiéter de la perte de contrôle de la situation par une classe politique disposant d’un soutien inconditionnel des médias et d’énormes moyens de propagande, et qui avait fait campagne pour le « oui » de manière très consensuelle. La France peut-elle un jour devenir une poudrière ? Sans doute, des « voisins » s’interrogent à ce sujet. D’habitude, les « élites » européennes évitent de trop s’égratigner mutuellement, mais cette fois-ci…

Alvaro Gil-Robles n’a pas hésité à démonter le lieu commun souvent brandi par les institutions de la « pensée unique » française, comme quoi il n’y aurait pas en France de violations des droits de la personne. Son rapport de visite dresse, notamment, un saisissant tableau sur les prisons dont voici quelques extraits :


« Je ne pense tout simplement pas que les personnes privées de liberté doivent être traitées moins bien que leurs concitoyens qui n’ont pas commis de fautes… (…)

(…) la prison est une punition provenant de la société à l’égard d’une personne qui a transgressé ses lois. Mais ce n’est en aucun cas une vengeance de la société et ne doit pas le devenir. C’est aussi pourquoi je suis fermement opposé à la peine de mort qui relève de la vengeance et non de la punition. Le fait même de priver la personne de sa liberté, de lui interdire de disposer de ses actes et de sa liberté de mouvement constitue une punition suffisante et très dure. Dès lors, la volonté de certains de faire à tout prix en sorte que les conditions de détention soient dures ne peut s’expliquer que par la volonté de se venger de la personne déjà punie. Dans une société démocratique, de tels agissements n’ont pas lieu d’être…(…)

Durant ma visite en France, je me suis rendu dans sept établissements pénitentiaires. (…) Mon impression générale reste assez mitigée…(…)

Dans la grande majorité des lieux visités, des plus anciens, tels que la prison de la Santé, aux plus récents, comme la prison du Pontet ouverte en 2003, le nombre de détenus dépassait le nombre de places initialement prévu pour ces établissements….

Ce douloureux constat est la conséquence des développements caractéristiques de la société française en ces dernières décennies. Il est avant tout lié à deux causes principales : l’augmentation du nombre de condamnations et des longueurs des peines d’un côté, et d’un autre, un manque de financement pour accompagner cette tendance…

(…) que veulent dire les chiffres précités ? Ils démontrent avant tout que cette prison [Fleury-Mérogis] héberge 230 détenus de plus qu’elle ne peut en accueillir. Ils signifient également que ces 230 personnes se trouvent dans des conditions différentes de celles prévues par la loi. Elles n’ont pas assez de place dans les cellules, leur accès aux activités, déjà assez limitées, risque d’être restreint. Bref, leur vie devient plus difficile encore…

(…) certaines scènes que j’ai pu observer lors de ma visite ont été très dures et choquantes. Elles résultent en grande partie des problèmes de surpopulation, qui privent un grand nombre de détenus de l’exercice de leurs droits élémentaires…

(…) les cellules insalubres, les sanitaires en mauvais état, le nombre réglementé de douches que les prisonniers peuvent prendre par semaine, le linge et les couvertures médiocres nous ont été dénoncés sur la quasi-totalité de notre visite. Il m’a été difficile de recevoir des plaintes au début du XXIème siècle en France décrivant l’insuffisance du nombre de douches et l’impossibilité d’en prendre une quotidiennement, même en été à un moment où les températures sont souvent caniculaires…

(…) j’ai été choqué par les conditions de vie observées à la Santé ou aux Baumettes. Ces établissements m’ont semblé particulièrement démunis. Le maintien de détenus en leur sein me paraît être à la limite de l’acceptable, et à la limite de la dignité humaine…

(…) j’ai été très étonné que dans un très grand nombre de commissariats visités, les gardés à vue dorment à même le sol, aucun matelas, aucun linge ne leur étant fournis. J’ai posé plusieurs fois des questions pour connaître les raisons d’une telle situation de misère. Je me suis retrouvé face à plusieurs réponses qui n’ont fait que rajouter à la confusion.

(…) lors de la visite de la prison de la Santé, j’ai visité une cellule dans laquelle se trouvaient 3 personnes, toutes d’origine étrangère. La cellule présentait des signes de grande vétusté et n’était visiblement pas destinée à accueillir un tel nombre de détenus. Deux lits étaient superposés ; un troisième était placé dans un endroit peu approprié pour le recevoir, c’est-à-dire à proximité (quasiment en face) des sanitaires. D’ailleurs, les sanitaires, en très mauvais état et datant d’une autre époque, auraient été séparés du reste de la cellule par des cloisons de fortune posées par les détenus eux-mêmes, selon leurs dires. Vu le caractère plus qu’artificiel de cette séparation, l’origine de cette dernière ne fait aucun doute. La cellule était très mal aérée, le linge de lits d’une qualité et d’une fraîcheur douteuses. De plus, selon les détenus, ils exerçaient une activité professionnelle (travaux de conditionnement) dans la cellule même…. »

(fin de citation)

Etc… pour ne reprendre que des extraits sur les conditions matérielles de détention, et félicitons-nous si ce rapport au plus haut niveau européen peut aider les victimes du système carcéral français ! C’est rare que les institutions européennes nous apportent quelque chose de positif, alors pour une fois…

D’ailleurs, dans ses considérations générales, avant d’aborder la question des prisons, Alvaro Gil-Robles souligne d’emblée : « La France, souvent considérée par un grand nombre d’Européens comme la Patrie de Droits de l’Homme (…) n’en reste pas moins traversée par des difficultés persistantes, voire récurrentes, ainsi que l’illustre le nombre important d’affaires portées devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. » . Une situation qui existait déjà bien avant l’arrivée du gouvernement Raffarin, et pourtant, il convient de préciser que la CEDH rejette par des procédures sommaires, sans aucune motivation circonstanciée, la plupart des recours qu’elle reçoit. En ce qui concerne les prisons, c’est en réalité un problème connu depuis longtemps, notamment par des rapports de 1993 et 1998 du Comité européen pour la prévention de la torture ou par des textes de l’Observatoire international des prisons. Il ne s’agit donc pas d’une conséquence de l’action, ou de la passivité, d’un seul gouvernement. Loin de là…

Rappelons aussi que c’est sous François Mitterrand, et alors que le Parti Communiste faisait partie du gouvernement, que la Présidence de la République, dont Ségolène Royal était déjà une proche collaboratrice (chargée de mission en 1982-88) a mené à terme l’opération de promotion du Front National, ce qui n’a pas incité l’actuelle candidate du PS à quitter l’Elysée. Pas plus que l’affaire du Rainbow Warrior, avec ses incroyables rebondissements depuis 1985. La montée du Front National a notamment aidé Mitterrand et ses collaborateurs à faire passer une politique de casse sociale, polarisant les militants autour de la « défense de la démocratie, le moins mauvais des systèmes ». Et, encore à ce jour, Ségolène Royal se réclame haut et fort de la
« lignée mitterrandienne »
.

Certes, si la « gauche » l’emporte en 2007, les trois anciennes ministres que sont Ségolène Royal, Marie-Georges Buffet et Dominique Voynet pourront s’offrir ensemble un buffet royal à l’Elysée. Joli festin, pour des politiciennes qui ont en commun, précisément, cette condition d’anciennes ministres et les intérêts de carrière qui en découlent. C’est cela, la politique gagne-pain. Mais qu’est-ce que le citoyen « de base » en a à cirer ?

Mes voisins de pallier et moi, nous avons aussi quelque chose en commun : nous ne sommes pas des anciens ministres. Il semblerait que c’est le cas de beaucoup de Français. A chacun son truc.

Usager-administré

ugradm@yahoo.fr