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Frappes médiatiques sur le Liban

Ce 3 août, Claude Lanzmann – d’une fatuité telle qu’elle excède parfois celle de Jean Daniel ( !) – était plus fier de lui encore que d’habitude. Même s’il n’injuriait pas cette fois les pacifistes israéliens (des « fripouilles sans foi ni loi », avait-il estimé quelques semaines plus tôt [8]), son texte n’en demeurait pas moins un bijou lanzmannien. Il chantait la douce armée israélienne. Le prix qu’elle « attache à la vie de ses hommes ». Sa politesse envers les Libanais : « Israël avait averti, par tracts et par radio, la population d’avoir à quitter les lieux. » Toute cette « population », qui disposait assurément de jets privés et de résidences secondaires, n’avait qu’à s’envoler à destination d’un ryad aussi voluptueux que celui de BHL à Marrakech. Pour y attendre la fin de la guerre en dégustant des olives.

Lanzmann, en transe, ne cessait de relire à voix haute (devant un miroir) le début de son article. Il avait en effet réussi à juxtaposer à intervalles très rapprochés les mots de « clameur », « rues arabes », « voracité » et « hypocrite ». Mais, jurait-il, la vertu l’emporterait : en dépit des Arabes hypocrites qui avaient profité des accords d’Oslo pour « s’armer jusqu’aux dents », « Israël, n’en doutons pas, prendra le dessus ».

La guerre gagnée sur le papier, Lanzmann se demanda qui appeler pour s’entendre couvrir d’éloges. Revel était mort. Or, dans ses Mémoires de l’année 2000, l’ancien immortel raconte l’histoire d’un casse-pieds qui le harcèle au téléphone en plein été. Extrait :

« Samedi 1er juillet. Arrivé hier au soir en Bretagne, je me rends ce matin au marché de Pleubian, qui a lieu tous les samedis. […] Rentré à la maison vers midi, j’entends mon téléphone sonner. Tiens, me dis-je, même le premier jour de mes vacances et en plus un samedi, ils ne peuvent pas me laisser tranquille. Je décroche. C’est Claude Lanzmann.

– Tu n’es donc pas à Paris ? me dit-il. Je sens une tristesse dans sa voix. Que mon éloignement l’afflige à ce point n’est pas loin de me bouleverser.

– Eh bien, non, lui dis-je, mais nous nous verrons en septembre.
Un silence.

– Dans le lieu écarté où tu te trouves, reprend-il, tu ne reçois pas les journaux ?

– Bien sûr que si. Je viens de les acheter au village.
Long silence.

– Est-ce que tu as lu mon article ?

– Écoute, je viens juste de poser ma pile sur mon bureau et ensuite je suis revenu dans la cuisine, où j’ai commencé à confectionner ma vinaigrette montée. Tu sais à quel point c’est difficile à réussir !

– J’ai un article qui commence à la une du Monde et qui, à la tourne, occupe une page entière.

– Excellente nouvelle !

– C’est un très bon article.

– J’en suis convaincu.

– Lis-le tout de suite.
– Je laisse tomber et retomber ma vinaigrette et je te rappelle dans vingt minutes »(9).

En achevant sa vinaigrette, Revel sourit. Il se souvint que, moins de quatre mois plus tôt…

« Mercredi 15 mars. […] Lundi prochain, je suis invité à une émission de Thierry Ardisson, avec, m’a-t-on dit, et je m’en suis réjoui, Claude Lanzmann comme interlocuteur. C’est du moins ce que je croyais. Mais Claude Lanzmann me détrompe en me précisant, d’une voix sépulcrale, au téléphone : « C’est une émission sur moi. Toi, tu n’interviens qu’à la fin pour parler de moi » »(10).

Le 3 août 2006, faute de mieux, Lanzmann se résigna à appeler cet âne de Romain Goupil, que chacun laisse braire dans son étable depuis des années. Malheureusement pour Claude, Romain n’achète Le Monde que lorsqu’il y signe une nouvelle tribune à la gloire de W. Bush avec ses collègues du Club de la coupe au bol, Bruckner et Glucksmann. Pour se consoler, Lanzmann a revu Tsahal.

Notes :

(1) Le Monde, 27.7.06. Acrimed, notre rutilante vitrine universitaire, a réfuté chacune des assertions conjointes de BHL et du Monde le 1er août 2006.

(2) Sondages et commentaire cités dans Serge Halimi, Dominique Vidal et Henri Maler, L’opinion, ça se travaille, Agone, Marseille, réédition poche, septembre 2006, p. 25.

(3) BHL, op. cit.

(4) Ibid.

(5) Le Canard enchaîné, 9.8.06.

(6) Charlie Hebdo, 26.7.06. Val fut ravi de lire deux jours plus tard l’édito de Denis Jeambar sur le site de L’Express : « Cette défaite d’Israël, si elle devait survenir, serait aussi la première défaite de la seule démocratie existant, à l’exception de la démocratie indienne, entre la Méditerranée et les rivages du Pacifique. » Toutefois, Jeambar se garda bien de répéter l’ânerie de Val sur les « populations illettrées à 80% ».

(7) Lire à ce sujet Amnon Kapeliouk, « « Tsahal », ou les mésaventures de la vérité historique au cinéma », Le Monde diplomatique, novembre 1994.

(8) Les Temps modernes, mars-juin 2006.

(9) Jean-François Revel, Les Plats de saison, journal de l’année 2000, Le Seuil, 2001, p. 215-216.

(10) Id., Ibid, p. 83.

Le Plan B n°4 (octobre – novembre 2006)

http://www.leplanb.org/page.php?article=35