Dans cette longue histoire, on pourrait y insérer la revue Invariance et son animateur Jacques Camatte dont il parait nécessaire de préciser tout de même l’intérêt et la place qu’ont eu ses contributions de passeur de textes historiques, comme sources d’interrogations sur les Gauches.
Pour autant nous qui venions de l’anarchisme nous fûmes assez rapidement surpris par un certain décalage entre les textes qui furent exhumés et les propos plus particuliers déroulés par J.Camatte.
La phrase de Louis Mercier-Vega dans l’increvable anarchisme sur “Les résidus des décompositions marxistes rejoignent les rebelles individualistes” prenait alors un certain poids et même un sens dans nos questionnements de l’époque.

Bien sûr nos lectures de la revue Invariance, les interrogations qui l’accompagnaient comme notre critique, furent faites a posteriori c’est-à-dire bien après 68 et toutes les luttes qui traversèrent les années soixante-dix.

Un des textes comme source de notre propos est TRANSITION 1 revue Invariance Série I – N° 8 – il date de 1969 il fut coécrit par Jacques Camatte et Gianni Collu.
Il est assez typique de l’ontologie camatienne même s’il fut écrit à un moment particulier d’un processus douloureux et que d’autres textes suivirent.
Il nous semble qu’il annonce un tas de positionnements futurs de différents groupes idéologiques qui furent imprégnés moins par sa proposition, démarche que par la désillusion et la fatigue, mais également par le déploiement de la répression du qui ne fut pas que marchande.
Il éclaire sur le « retrait » politique de Camate et consorts presque immédiatement et étonnement après mai 1968, c’est-à-dire bien avant cette longue vague de reflux et pourtant forte d’événements importants intervenus pendant les années soixante-dix. On pense ici aux luttes en Espagne, Italie, Portugal, etc.

De ce texte (mais pas uniquement) vieux d’un demi-siècle, se dégage un moment ce que nous qualifions d’homothétie post-bordiguiste (cf Bordiga). C’est-à-dire qu’il se caractérise par un point invariant effectif, Le Parti dont on peut analyser la translation (du corpus idéologique) globale mais inversée.

Ainsi, plus précisément, nous sommes passés chez Camatte :

  • De l’héroïsme de l’anonymat des productions théoriques bordiguienne à une ontologie pessimiste des individualités « positives ».
  • De l’exégèse et de la traduction des textes (Marx/istes) à un éclectisme anti-intellectualiste d’intellectuel.
  • D’un quiétisme anti-activiste à un retrait… Militant.
  • De la critique du racket politique (pour ce texte) à la parousie spontanéiste comme une nouvelle mystique.

Nouvelle mystique, car du Parti Formel « Parti fortement structuré théoriquement, apte à toujours maintenir le pôle du futur au sein de l’action présente ; autrement dit, il aurait fallu qu’il existât un organisme (plus qu’une organisation) qui ne soit pas du monde en place. C’est d’ailleurs (mais c’est venu trop tard historiquement.) ce que voulut réaliser, en définitive, A. Bordiga. C’est ce que nous avons théorisé et, avec les très faibles forces numériques de l’époque, avons essayé de pratiquer. Opérer ainsi c’était déjà emprunter la dynamique de quitter ce monde. » 2
Camatte s’est fait le défenseur de l’avènement du Parti Historique donc plus évanescent, bien plus apte à annoncer de manière récurrente qu’il allait “quitter ce monde”. Pour que celui-ci arrive un jour, peut-être (pas Camatte mais le Parti).

Dans sa translation il aura fallu quelque temps pour que la thématique prolétarienne ne le quitte irrémédiablement, pour finalement disparaitre sous un tas de références anthropologiques (et psy) dont celle de l’Homo Gemeinwesen c’est-à-dire la révolution à titre humaine ou de l’espèce.
L’historicisme et un certain économisme finalement assez scientiste (marxiste) lui auront fait dire que le passage de la valeur à son “autonomisation complète” était achevée et totale.
Tout en affirmant paradoxalement que le capital laisse survivre « médiation ou idéologies qui, à l’époque de la domination formelle, jouissaient encore, en tant que survivance des époques antérieures, d’une certaine autonomie apparente ».
Dans ce cosmos neurasthénique de la marchandise il ne reste plus que la thanatomorphose du capital (et de l’homme) c’est-à-dire la putréfaction.


De là découle une forme d’éthique élitiste de la désertion nihiliste (pessimiste) revendiquée dans postface à De la communauté Humaine à Homo Gemeinwesen de 1990 ou il indique :
Que « Lutter contre le monde en place c’est inhiber la possibilité de fonder une positivité ». Que « Abandonner ce monde c’est favoriser le développement de la catastrophe qui seule peut être déterminante pour une mise en branle des hommes et des femmes. » Que « Essayer d’enrayer […], c’est empêcher que ne se dévoile totalement l’abjection du système ». Mais qui peut se permettre de ne pas lutter ou d’abandonner si tant est qu’on le puisse ? Ou de « quitter ce monde » ? Comme si le capital ne nous convoquait pas à chaque respiration ! Si pour Camate L’essence de la Gemeinschaft (communauté) du capital était l’Organisation (politique), il nous semble évidemment que cette affirmation déjà péremptoire en son temps peut de nos jours passer pour contestable à une époque de fragmentations dans l’unité de la marchandise, et de manière générale dans le règne du chaos de la production. Peut-être que la piste du « contrôle » et du flic/flux serait plus apte et judicieuse pour dépeindre notre époque. Dans la phase de domination réelle la politique en tant qu’instrument de médiation du capital n’a pas disparu (Il n’y a qu’à se pencher sur le souhait de reconnaissance des diverses minorités ou des thuriféraires de l’identité par exemple).
L’économie n’a pas réduit la politique à un épiphénomène, mais restructure constamment l’espace-temps du cirque de la participation ou de la démagogie, ceci plus ou moins subtilement avec ses acteurs plus ou moins dupes.

Il monde marchand ne peut d’ailleurs pas le réduire historiquement. C’est même son carburant.
L’État ou la politique ne sont pas « sujets » de l’économie malgré ce qu’affirme Camatte qui veut bien comprendre la totalité du monde capitaliste sous le prisme mécaniste de l’économie, mais refuse de concevoir l’imbrication, l’encastrement et donc une certaine dialectique de la totalité en mouvement.

Et même si « La science a été incorporée au procès de production ». Quoi qu’en dise Camatte dans son glissement techno critique, objectivement l’Homme est allé sur la Lune (pour le plus inutile et le pire) et ne meure plus d’une infection dentaire.

Les « théories du mouvement ouvrier » n’ont pas saisi ce processus social pour le « mystifier » sauf à accorder une puissance démiurgique à la théorie produite par u

ne pléthore de professionnels spécialisés, sauf à sombrer dans une forme d’idéalisme objectif.
N’est-ce pas plutôt le réel concret qui a eu raison des « théories » et des postures d’avant-garde et de la toute-puissance des prétentions à l’Invariance ?
On peut pourtant se demander avec Camate comment effectuer « la critique de l’être du capital comme affirmation du communisme ».


Mais on le suivra moins quand il affirme que « L’existence de tous ces « secteurs de recherche » ne fait qu’exprimer en la mystifiant la réalité unitaire, totalitaire, réalisée par la valeur qui en s’autonomisant échappe absolument aux instruments quotidiens de perception et de critique. »
Contre Camatte et cette « vision », nous dirons qu’il n’est possible de le faire que si cette proposition close qu’il propose est combattue. Car notre monde n’est pas fait de robots mais bien d’êtres qui pensent avec de la chair, du sang et des larmes dans un monde exploité.
On ne s’étonnera pas donc que Camatte puisse affirmer à l’époque que « le prolétariat dans les aires de grand développement du capital, diminue en pourcentage, relativement et de façon absolue » ce qui était et est absolument faux.

Que les champs de connaissances soient éclatés/séparés ou qu’il pense son fantasme « d’autonomisation de la valeur » comme vrai… Cela n’empêchera jamais les prolétaires de lutter pour ne simplement pas crever. Sans trop discuter ici interminablement sur les dispositifs de contrôle, de la répression et des meurtres de masses que savent mettre en œuvre les capitalistes pour se débarrasser des constestations.

Camatte a poussé sa « compréhension » de la mystification sur des soubassement pseudo-scientifique et partiel c’est-à-dire sur la base de la « reproduction élargie » du capital pour aboutir sur une démonstration déjà critiquée dans le marxisme, à savoir une proposition fonctionnaliste et utilitariste de L’homme-capital-variable donné comme réifiée.

Si Camatte a raison d’indiquer que « La contradiction qui affecte beaucoup de ces rackets politiques dérive du fait qu’ils théorisent en même temps l’autonomie du prolétariat (vu, dans certains cas, comme l’ouvrier collectif). Or, réclamer l’autonomie, c’est-à-dire la séparation vis-à-vis du capital – sinon cela ne veut rien dire – c’est réclamer une abstraction, puisque le prolétariat ne peut exister que si le capital est posé en même temps ».


Il oubliait aussi de dire que certains courants et pratiques comprenaient aussi comme perspective leurs propres dissolutions (comme prolétaires) et qu’ils ont été obligés par l’Histoire d’acter obligation des combats ceci pendant qu’il se retirait du monde du Parti formel et de ses horreurs.
Il n’y a rien de honteux à disparaitre sans justifications, mais peut-être n’y a-t-il rien de pire que la réclame théorique de l’agonie et du désastre.

Vosstanie le 05 juin 2019

Notes

1. Ce texte à pour lui une certaine clarté ce qui n’est pas toujours le cas dans ses textes les plus récents en regard par exemple de notre lecture épique et dépitée il y a peu, du Manuel de survie de Giorgio Cesarano, Éditions la Tempête 2019, qui fut en son temps un proche de J.Camatte.

2. In Forme et Histoire Milan 2002. voir la Postface à De la communauté Humaine à Homo Gemeinwesen de 1990. p85.

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