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La colonisation portugaise pendant des siecles et l’occupation indonesienne pendant 25 ans a pratiquement tue toute forme de culture timoraise. Malgre cela, « Arte Moris » a su reveiller chez ces jeunes traditions et histoire. Petit a petit ils apprennent a parler, a s’exprimer, a prendre des responsabilites (ce qui est tres dur pour ce peuple qui a toujours vecu domine par un autre).
Mais voila, depuis un mois, la situation au Timor s’est dangereusement degradee. Des conflits entre le gouvernement et l’armee, mais aussi entre les populations de l’Est et les populations de l’Ouest, se sont declares. Personne ne peut vraiment expliquer qui se bat contre qui, et pourquoi maintenant. Il se dit ici que ces tensions existent depuis longtemps mais n’ont jamais eu la possibilite de s’exprimer. En effet, depuis toujours, le seul modele auquel ils sont confrontes par les differentes puissances dominantes est la violence, les interdits et une liberte d’expression bafouee.

Dili, 01/06/06, 14h15

La situation ne s’ameliore pas. Hier encore, des conflits, des morts, des blesses et de plus en plus de refugies. Si cela continue, ce pourrait devenir une vraie guerre civile. La population va tres vite manquer de nourriture, d’eau, de soins medicaux.
A Arte Moris, nous avons tous les jours des familles qui arrivent. Nous accueillons maintenant pres de 500 refugies. Heureusement, le gouvernement suisse (dont depend Arte Morris) nous apprenait hier qu’il allait couvrir nos depenses car nous avons deja probablement depense pres de 3000 euros pour les refugies.

Luca et Gabi, les eleves et moi-même, effectuons différents travaux : nous faisons les courses (tant que c’est encore possible, et vitres de voiture fermees), nous distribuons du riz, un peu de legumes frais, du lait en poudre, de l’huile. Ce sont les aliments de base. Nous avons egalement du acheter des casseroles, de la poudre a laver.

Ce matin, j’étais reveille par un des eleves. Gabi et Luca etaient sortis. Un petit garcon s’etait coupe la main profondement. Il a fallu le soigner avec ce que nous avions. Le docteur ne pourra surement pas passer avant une semaine…

Les eleves de l’ecole d’art, quant a eux, pendant deux heures chaque jour, continuent d’avoir des lecons d’art et de management. Ils travaillent afin de ne pas penser a leur maison qui eventuellement est en train de bruler, ou a leur pere qui garde la maison quand le quartier est encore plus ou moins sur. Lorsqu’ils ont fini, les eleves dirigent des ateliers de dessin avec les enfants refugies. Il y a certainement plus des trois quarts des refugies qui sont des enfants ages de 2 mois à 15 ans. Ceux qui ont plus de 15 ans gardent les maisons avec les peres de famille.

Arte Moris est certainement l’un des meilleurs camps de refugies. Certains endroits comme l’ecole de Dom Bosco accueillent trop de refugies (peut-etre autour de 5 000) pour pouvoir tous les nourrir correctement et organiser des ateliers.
Il y a un mois de cela, lorsque les problemes ont commence, les refugies arrivaient deja a Dom Bosco. Nous pouvions aller jouer du Djembe, et Bibi Bulak, la troupe de theatre locale, louant un espace dans Arte Moris, improvisait un spectacle pour les enfants.
Aujourd’hui, ils sont trop nombreux, cela devient trop risque de quitter l’ecole et tous les membres de Bibi Bulak sont soit caches dans les montagnes, soit evacues en Australie.

Arte Moris est surement le dernier endroit encore calme et reposant. Partout ailleurs, la situation est stressante, pesante, tendue. Que ce soit a l’exterieur ou dans les hotels de malai (etrangers en Tetum), qui sont devenus des lieux de meetings pour les journalistes, on ne se sent pas en paix.

Si la situation ne s’ameliore pas, c’est qu’il existe plusieurs raisons. Dans un premier temps, les informations donnees aux timorais sont incompletes, les politiques ne s’expriment que rarement et lorsque la journee a ete mauvaise, il n’y a pas d’informations du tout !
Dans un second temps, il n’y a pas assez de militaires pour controler tous les gangs qui se multiplient tous les jours un peu plus.
Enfin, et c’est la principale raison, le conflit commence a se concentrer sur le probleme Est-Ouest. Peu importe s’ils se connaissent ou non, il s’agit de tuer celui qui est du cote oppose. Tant que personne ne prend en charge reellement ce probleme et parle a la population, les tensions montent dangereusement. Meme Xanana Gusmao, le president, se retrouve dans une situation delicate : il est originaire du centre du pays mais ceux de l’Est considerent que c’est l’Ouest, et commencent a lui reprocher d’etre pro-Ouest. Les gangs se multiplient et les gens de l’Ouest, habitant cote Est, commencent a s’enfuir des montagnes et a se refugier à Dili.
Ces tensions, qui apparemment existent depuis longtemps, etaient en « Stand By » lors de l’occupation indonesienne. Maintenant que c’est fini, il semble que les timorais veulent s’entre-tuer. Plusieurs cultures coexistent mais les antagonismes sont exacerbes…

Dili, 05/06/06, 10h

Rares sont les quartiers qui n’ont pas ete touches par les feux et les attaques… Même les camps de refugies ont parfois des problemes. La situation ne s’arrange pas, elle ne stagne pas, elle se complique. Et certains pensent que cela pourrait etre pire qu’en 1999 (annee meurtriere au Timor).
A cote de cela, aux informations, on nous montrait des images d’enfants et de femmes a Baucau (seconde plus grande ville du pays), accueillant l’armee portugaise avec des fleurs et des drapeaux portugais qu’on avait pris soin de leur distribuer peu de temps avant… Apres : un quart d’heure d’information ou nous avons juste appris : « Viva Portugal », et c’etait fini. Bien evidemment jamais nous n’avons entendu « Viva Australia » ou « Viva Malaysia » !
Ce matin, le premier ministre Mari Alkatiri annoncait qu’il ne quitterait sa place que si les conflits s’aggravaient reellement.
Kofi Annan annoncait que la situation etait controlee, que l’ONU s’en chargeait et que le peuple Timorais pouvait etre rassure. Pour cela, il allait envoyer de l’aide de differents pays : Australie, Indonesie, Chine, Japon, Russie. Cela c’etait passe de la meme maniere il y a de cela quelques annees et ce ne fut pas tres concluant. En effet, les directives etant differentes suivant les pays, il n’y a pas d’harmonisation de leurs manieres de faire. Apparemment, les memes erreurs recommencent.
D’apres Jose Ramos Horta, que j’ai rapidement croise hier soir car il faisait le tour des camps de refugies, il y aurait pres de quarante morts depuis le debut des conflits, mais il n’est sur de rien.

La situation s’aggrave car les tensions montent et personne ne sait comment les arreter. Ce sont des jeunes sans education qui se battent. Ils n’analysent pas la situation, ils ne comprennent pas pourquoi ils se battent. Leur seule raison, defendre leurs freres. Hier soir notre camp de refugies se faisait presque attaquer. Ils en sont au point d’attaquer des innocents qui refusent la violence…

Dili, 05/06/06, 18h26

Ce soir, on est venu me chercher en courant, on nous a prevenu que notre ecole allait peut-etre etre attaquee. En effet, nos refugies sont aussi bien de l’Ouest que de l’Est, et cela ne plait a personne…

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Charline Bodin