Nanterre, le 28 mai 20005

COMMUNIQUE
Nous prisonniers incarcérés dans des quartiers d’isolement depuis plusieurs années, pour des motifs fallacieux et des arguments spécieux, déclarons que l’isolement :
-porte atteinte à notre intégrité physique et psychique.
-porte atteinte à notre vie sociale et familiale de façon excacérbé.
-constitue en réalité une sanction assimilable à un traitement inhumain et dégradant selon les constatations mêmes de la Commission Nationale de Déontologie et de la Sécurité (CNDS) présidée par Pierre Truche dans son rapport de mars 20005 (voir piéce jointe)
-a pour finalité notre deperrissement psychique à long terme.
-a des effets exponentiels négatifs au fur et à mesure de sa durée

APPEL
Après m’être concerté avec Mounir suite à l’Envolée du vendredi 27 mai et en réaction notamment à la situation que vit Karim avec ses parloirs (voire piéce jointe), qui ont lieu dans des conditions inacceptables. Nous avons décidé à l’unanimité (à deux c’est plutôt facile) d’aller au quartier disciplinaire (QD) à partir du mercredi 3 juin pour protester contre les conditions de plus en plus en délétères du « régime » d’exception de l’isolement.
Voici nos suggestions :
1 : Communiqué de presse.
2 : Déploiement d’une banderole dans un lieu visible à Paris et ailleurs avec un slogan compréhensible de tous par exemple : ISOLEMENT EN PRISON=TORTURE BLANCHE ; distributions de tracts…
3 : De notre côté, à l’intérieur voici des actions réalisables selon le degré de conscience de chaque personne concernée :
-Sortir la télé de la cellule
-Refuser les cantines
-Blocage des promenades
-Blocage du quartier d’isolement (QI)
-Aller au QD par solidarité avec Karim
-Suppresion des boxes avec vitres de séparation

A partir du 3 juin nous nous sommes prêts aller au mitard et bloquer tout ce qui peut l’être

NB : Il faut suivre le mouvement semaine après semaine et que les prisonniers s’organisent pour avoir une radio ou un messager humain à proximité et faire passer les news dehors.
A défaut nous faisons au moins 45 jours avec les conséquences prévisibles : le transfert, la séparation avec Mounir voire l’éloignement de la région parisienne.
Si le mouvement ne prend pas on arrête au 15ième, 30ième ou 45ième jour selon notre appréciation du degré d’implication
Après lecture du communiqué à la radio, il faut fixer une date de départ du mouvement global. Nous on commence le 3 juin quoiqu’il arrive.
On attendait une légitimation à notre mouvement d’humeur, celle de Karim tombe à pic car le QI de Nanterre est l’un des plus oppressants en matière de conditionnement et de limitation de la faible marge de vie qu’il nous reste :
-Promenades séparées dans l’espace et le temps (nombre de tours)
-Douches un jour sur deux
-Espionnage continu des matons
-Provocations gratuites
-Activités inexistantes hormis le sport pour lequel on a du montrer les crocs pour qu’il passe de 3 à 6 heures par semaine.

Les deux desperados de Nanterre

CNDS
La saisine de la Commission porte essentiellement sur les mises à l’isolement successives de M. A. d. P. et les conditions de cet isolement. M. A. d. P. dispose de deux heures de promenade par jour dans des cours où il n’y a aucune possibilité de parler à quelqu’un. Il n’a aucune activité sportive, ce qui est confirmé par la directrice, qui précise :  » Il est vrai que nous n’avons pas actuellement de lieux ni de matériels mais cela va être réalisé d’ici la fin de l’année dans une cellule où nous allons mettre à disposition du matériel de musculation.  » La mise à l’isolement de M. A. d. P., commencée le 2 septembre 2002, a été interrompue à deux reprises pour raison de transfert :

du 17 avril au 27 mai 2003 ;

du 18 août au 29 septembre 2003.

À la date du 1er décembre 2004, M. A. d. P. aura donc effectué 737 jours d’isolement soit, d’une façon presque continue, deux années et sept jours. Cette durée apparaît excessive. On relève en jurisprudence que le juge administratif (tribunal administratif de Montpellier, référé du 27 mai 2004) estime que le placement à l’isolement porte ou peut porter  » à l’intégrité physique et psychique d’un détenu des atteintes dont la gravité va croissante avec l’allongement de la durée de ce régime de détention « . Le juge administratif a notamment justifié le droit du détenu à obtenir la suspension d’une mesure d’isolement par le fait que  » l’urgence qui s’attache à la suspension résulte de la nature même de la décision (prolongeant au-delà d’un an l’isolement) qui préjudicie de manière extrêmement grave aux intérêts du détenu, sauf pour l’administration à établir…. que la suspension de la prolongation du placement à l’isolement préjudicierait de manière encore plus grave à l’intérêt public « . En conséquence, la Commission estime que la mise en isolement prolongé de M. A. d. P. semble en l’état, et sauf appréciation souveraine des tribunaux, ne pas être conforme aux critères de légalité retenus par la jurisprudence et être susceptible d’être considérée comme constituant un traitement inhumain et dégradant. La Commission a, par ailleurs, constaté que, dans la notification faite au détenu, il est bien mentionné la possibilité de former un recours hiérarchique devant le directeur régional sans que le délai de recours ne soit indiqué. De même, il n’est pas précisé que la décision peut faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative, ni dans quel délai ce recours doit être fait. Dans l’intérêt du détenu et dans l’intérêt de l’administration, (caractère définitif de la décision), il serait souhaitable que ces précisions soient apportées dans la notification. Enfin, la Commission s’inquiète de l’extension éventuelle à tous les détenus mis à l’isolement ou considérés comme DPS des modalités de surveillance qui ont été celles de M. A. d. P. à la maison d’arrêt d’Angers, du 5 mars au 5 avril : à savoir, des contacts de jour et de nuit exclusivement avec les personnels des ERIS en tenue d’intervention et cagoulés. Elle attire l’attention de l’administration pénitentiaire sur le caractère préjudiciable pour la santé et la dignité qu’entraînerait le recours systématique à ce dispositif et son maintien dans la durée. En qui concerne le transport des détenus pour de longs trajets, menottés et entravés, la Commission estime que le choix d’un fourgon cellulaire est inadapté, compte tenu des autres mesures de surveillance, et porte atteinte à la dignité de la personne.

RECOMMANDATIONS
La Commission recommande que, conformément aux textes en vigueur, le maintien à l’isolement au-delà d’une période d’un an reste exceptionnel, le prolongement d’un isolement non sollicité ne pouvant être justifié ni par des intentions anciennes d’évasion présumées ou réelles ni par la gravité des faits reprochés. Elle recommande, également, que les détenus mis à l’isolement puisse bénéficier d’activités physiques, notamment dans une salle particulière équipée à cet effet comme cela est envisagé à la maison d’arrêt de Besançon. Elle demande que dans la notification d’une décision de mise à l’isolement prise soit par le chef d’établissement, soit par le directeur régional, soit par le ministre, décision faisant grief, soit expressément indiqué que le détenu dispose de la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif avec indication du tribunal compétent dans le délai de deux mois à compter de la notification.

La Commission demande que l’organisation des transports des détenus, sur de longs trajets, soit réorganisée en excluant l’usage de véhicules habituellement utilisés pour des trajets courts (prison-tribunaux).

Adopté le 13 décembre 2004

LETTRE KARIM

Maison d’arrêt de Fleury
Ste Geneviève des bois

Salut à l’équipe de l’Envolée!
Pour ma part, j’en suis à ma 10ème année de prison dont 8 à l’isolement; cela fait 8 ans que je signe le papier de renouvellement. Bien entendu, j’exprime mon refus de l’isolement et mon désir d’en sortir, mais rien à faire, j’y suis toujours; là où ça devient vraiment trop, mais vraiment trop, c’est que je suis père de deux enfants qui m’ont toujours vu au parloir dans les conditions qu’on connaît, mais depuis 16 mois tout a changé, je suis contraint de voir mes enfants en parloir hygiaphone; comment leur expliquer cela? J’ai donc essayé avec le « relais enfant-parent » -en 2003, déjà, j’avais fait une demande -à l’époque, j’avais pas l’hygiaphone, mais c’était histoire d’être dans des meilleures conditions avec mes enfants. Cela m’avait été refusé, madame Coulon (responsable du relais) m’avait dit « je ne comprends pas pourquoi ils refusent »… bref, quelque temps après on m’impose les parloirs hygiaphone -donc cette fois c’est grave. Dans un premier temps, on m’a dit « c’est provisoire », j’ai donc dit à ma famille de ne pas venir -je pensais que c’était une histoire d’un mois, mais voilà, ça fait 16 mois; j’ai donc vu mes enfants derrière cette maudite vitre, insupportable, et le sang m’est monté au cerveau. Un coup de pied dans la porte et voilà qu’elle s’ouvre, ces messieurs les matons viennent me calmer, les enfants un peu affolés -il faut que je vois dise que c’est quand j’ai vu mes enfants qui cherchaient un passage pour venir me faire un bisou que ça m’a rendu fou… bref j’ai passé cette demi-heure de parloir. A la sortie, mitard parce que je me suis énervé -j’avais pas le droit de m’énerver à la vue de mes enfants derrière l’hygiaphone!- quinze jours. Ensuite, j’ai fait toutes les démarches pour les voir avec le relais; alors que j’étais sur le point d’obtenir ce droit, voilà qu’ils m’ont déporté direction Les Beaumettes. Arrivé là-bas, j’ai dû me battre cinq mois pour pouvoir les voir ave le « relais enfants », mais on m’a bien précisé que c’était à titre exceptionnel, face à mon refus de voir mes enfants au bon vouloir de l’administration. Ils m’ont encore déporté, cette fois à Metz; alors à Metz, c’était plus clair, on m’a dit: ici, il n’y a pas d’antenne « relais parent-enfant ». J’ai tenu deux mois; ensuite, je ne tenais plus en place, ils me sont tombés dessus, m’ont gazé et déporté à Fleury -et me revoilà au Q.H.S. du D5. Retour à la case départ. J’ai recontacté le relais, mais le pire, c’est que quand j’étais ici avant ma déportation aux Beaumettes, j’avais écrit au « Ministère défenseur des enfants », leur expliquant ce qui m’arrive; ils avaient eu l’air étonnés et motivés pour faire en sorte que je voie mes enfants, donc ils avaient téléphoné à la prison, mais après avoir discuté avec les directeurs, plus rien! A savoir que je suis D.P.S., motif: évasion et plusieurs tentatives, donc plus de nouvelles; et maintenant que je suis revenu à Fleury, soit 15 mois après avoir écrit au « Ministère de la défense des enfants », je reçois une lettre de ce ministère me demandant si j’ai pu voir mes enfants! Il est beau, le pays des droits de l’homme et de ce ministère qui s’inquiète apparemment énormément du droit des enfants; il faut savoir que la charte des droits de l’homme stipule que tout enfant a le droit de voir ses parents, et cela sans entraves… ce n’est pas moi qui le dit, c’est les droits de l’homme; eh bien, à tous les auditeurs, moi je vous le dis: je vous écris d’une prison française où je suis depuis 8 ans à l’isolement. Je n’ai plus le droit de voir mes enfants si ce n’est derrière une vitre. C’est ça, le pays des droits de l’homme. Que la France commence par balayer devant sa porte avant de vouloir aller faire le ménage ailleurs…
Bref à tous les poteaux du Q.I., je vous propose à tous de réfléchir à une action collective interne et externe pour protester contre ces conditions -d’une part, l’isolement indéterminé, et d’autre part l’hygiaphone, mais aussi l’éloignement; pour ma part, je suis condamné, définitivement libérable en 2025, et ils ne veulent pas m’envoyer en centrale, ils pensent que je n’ai pas assez fait de Q.I. Tout cela doit être dénoncé, et à vous tous les poteaux: on doit se battre, ne pas se laisser endormir et ne pas rester passifs sur tout ça, alors à tous force et détermination, y a pas d’arrangement.

Karim