Syndicat National des Personnels
de l’Education Surveillée
Protection Judiciaire de la Jeunesse
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P.J.J. : MAILLON DE LA CHAÎNE PÉNITENTIAIRE ?

D’une administration éducative à une administration
d’exécution des peines pour les mineurs

« Peut-être avons-nous honte aujourd’hui de nos prisons. Le XIXe siècle lui, était fier des forteresses qu’il construisait aux limites et parfois au cœur des villes. Il s’enchantait de cette douceur nouvelle qui remplaçait les échafauds. Il s’émerveillait de ne plus châtier les corps, et de savoir désormais corriger les âmes. Ces murs, ces verrous, ces cellules figuraient toute une entreprise d’orthopédie sociale ».
Michel FOUCAULT. « Surveiller et punir ».

Un arsenal juridique au profit d’un durcissement de la justice des mineurs

Au lendemain d’une campagne présidentielle marquée par le thème de l’insécurité et de la délinquance des mineurs, la loi Perben I (L.O.P.J) du 9 septembre 2002 instaure :

les Centres « Educatifs » Fermés
les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs
l’intervention en continu de la PJJ dans les quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt
l’abaissement de la majorité pénale à 10 ans avec les sanctions éducatives
la comparution à délai rapproché.

À peine deux ans plus tard, la loi Perben II (LAJEC) destinée à lutter contre les nouvelles formes de criminalité du 9 mars 2004 instaure :

l’attribution des aménagements des peines à la PJJ
une nouvelle peine pour les mineurs (le stage de citoyenneté)
la combinaison d’une mesure éducative avec une peine
le placement en Centre « Educatif » Fermé dans le cadre d’une Liberté Conditionnelle
la possibilité de prolonger la garde-à-vue des mineurs jusqu’à 96h dans le cadre de certaines procédures criminelles
le quasi-alignement des règles du casier judiciaire des mineurs sur celles des majeurs.

« Cette réforme consacre la PJJ dans son rôle de collaborateur du juge dans l’exécution de la condamnation ». (Communication du Garde des Sceaux au Conseil des Ministres du 15-09-04).

Chargée de mettre en place ces dispositions législatives et faisant écho au Garde des Sceaux, la direction de la PJJ affirme vouloir faire « le choix de l’éducation » et respecter la philosophie de l’ordonnance de 45, niant ainsi l’évidence du durcissement de la politique pénale à l’égard des mineurs.
Dans le même registre, la DPJJ, sous couvert de vouloir réconcilier sanction et éducation, pratique l’amalgame et la confusion des genres. Elle développe pour cela un discours destiné à justifier après coup le retour à la prise en charge pénitentiaire des mineurs.

Aménagement des peines, Intervention dans les maisons d’arrêt, Etablissements Pénitentiaires pour mineurs :
la PJJ, « mise à disposition » de l’Administration Pénitentiaire.

Parallèlement au transfert de compétences du Juge d’Application des Peines au Juge des Enfants, depuis le 1er janvier 2005, les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse doivent désormais exercer les mesures d’aménagement de peine d’emprisonnement ferme. Il s’agit des remises de peine, fractionnement ou suspension de peine, semi-liberté, libération conditionnelle, placement sous surveillance électronique, placement extérieur…
Certaines de ces mesures sont des mesures sous écrou comme le placement sous surveillance électronique ou le placement extérieur, c’est-à-dire que le jeune est alors incarcéré en dehors de l’établissement pénitentiaire. Dorénavant, ce seront les établissements de la PJJ qui devront accueillir ces jeunes dans le cadre de peines aménagées qui contiendront des obligations comme celle de résider dans un foyer de la PJJ ou celle de suivre une activité d’insertion dans un Centre de Jour de la PJJ. Charge alors aux services de veiller au respect des obligations par le jeune condamné qui, sinon, risque le retour en prison.

La menace comme support éducatif

Comme les Contrôles Judiciaires, les Sursis avec Mise à l’Epreuve, les Travaux d’Intérêt Général qui supplantent depuis plusieurs années les mesures éducatives au pénal, les mesures d’aménagement de peine sont des mesures de probation et, à ce titre, sont inopérantes vis-à-vis d’adolescents en difficulté.
Les mesures de contrôle et de probation réduisent les mineurs aux actes qu’ils posent et entravent la démarche éducative. Elles participent à la confusion dans les places et fonctions de chacun, entre ce qui est du registre de l’éducation et ce qui sanctionne l’acte commis, rendant la confiance et la relation éducative difficiles, voire impossibles à construire.
Dans les nouvelles orientations, l’éducation devient un élément de la sanction pénale et ce « concept » se généralise à toutes les mesures et prises en charge ; les sanctions éducatives et les stages de citoyenneté sont des exemples malheureusement caricaturaux d’une démarche où la menace de placement ou d’incarcération est considérée comme structurante et devant favoriser l’action éducative alors qu’au contraire la menace, loin d’être un levier pour l’action éducative renforce les défenses ou la soumission des jeunes. Dans le meilleur des cas, si sous l’effet de la crainte, les mesures de probation modifient momentanément leur comportement, elles ne leur permettent pas de cheminer durablement et d’intégrer le sens de la sanction pénale. La possibilité de combiner une mesure éducative avec une peine qui fait partie des modifications législatives récentes, en faisant figurer dans la peine l’obligation de respecter la mesure éducative, place définitivement l’éducateur dans un rôle d’exécution de la sanction pénale et abolit ainsi l’espace pour le travail éducatif.
Alors que les aménagements de peine sont des mesures actuellement marginales car les jeunes dans leur grande majorité sont incarcérés au titre de la détention provisoire, le Ministère de la Justice et la DPJJ en font une disposition phare de leur nouvelle politique et cela est à mettre en relation avec leur volonté de transformer les missions éducatives de la PJJ en missions de probation.

Retour à la pénitentiaire

Cette nouvelle mission de suivi des aménagements de peine se complète avec celle de l’intervention en continu dans les prisons où les éducateurs de la PJJ remplacent dorénavant les Conseillers d’Insertion et de Probation dans les quartiers pour mineurs et, à ce titre, sont chargés de proposer et de mettre en œuvre les mesures d’aménagement de peine.
Et si les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs voient le jour, nous aurons ainsi un dispositif qui banalise la rupture induite par l’incarcération ainsi que la peine et la décision répressive qui y a présidé.
L’Administration veut démarrer en 2006 le programme de construction de 7 EPM. Ces prisons pour adolescents comprendraient chacune 60 places de détention qui s’ajouteraient aux places de la plupart des quartiers mineurs existants. 36 personnels de la PJJ (éducateurs, professeurs techniques, psychologues) y travailleraient, les éducateurs et les surveillants formant un « binôme ». Les personnels de la PJJ constitueraient un service dirigé par un directeur et animé par 2 CSE, ce qui, en aucune manière n’induit une indépendance vis à vis de l’Administration pénitentiaire.
Dans ces prisons, l’emploi du temps des adolescents est rempli de 7h30 à 21h30 par des activités scolaires professionnelles, sportives, culturelles etc… Si les murs d’enceinte viennent rappeler qu’il s’agit d’une prison, à l’intérieur, tout est prévu pour faire oublier la réalité de l’univers carcéral et…, toujours selon l’administration, pour permettre l’éducation des jeunes.
En fait de projet novateur, pour notre institution, il s’agit d’un retour en arrière de plus de 60 ans, à l’époque où elle n’était pas séparée de l’Administration Pénitentiaire. Et même si d’énormes moyens sont consacrés à ces établissements et si des activités éducatives et d’insertion y sont prévues, cela ne change rien. Une prison, même moderne, reste une prison qu’il faudra bien remplir au moment pourtant où est proclamée la volonté de diminuer l’incarcération des mineurs. Et nous pouvons légitimement craindre que l’existence de ces prisons « modernes » avec des services éducatifs de la PJJ à l’intérieur lève le tabou de l’emprisonnement des mineurs, et constitue un appel d’air pour plus de condamnations à des peines de prison ferme, d’autant plus que la PJJ sera chargée d’aménager ces peines.
Mais la Direction affirme que l’objectif principal de ces orientations, c’est d’améliorer les conditions de détention des mineurs, de renforcer la spécialisation de la PJJ et de la justice des mineurs et de garantir la continuité de l’action éducative. Ce discours a toutes les allures d’un discours alibi, car alors que les professionnels dénoncent depuis longtemps les conditions scandaleuses de détention des mineurs ainsi que la pénurie de moyens et le manque de formation des personnels de l’Administration Pénitentiaire, aujourd’hui on semble avoir trouvé la solution miracle : le retour de la PJJ au sein de l’A.P au prétexte de sa spécialisation à l’égard des mineurs.
C’est un discours à la fois démagogique et dangereux. Il nie l’expérience positive de certains quartiers pour mineurs où les SPIP, depuis déjà plusieurs années, ont construit des projets pertinents en direction des mineurs et mis en place une complémentarité dans le suivi des jeunes incarcérés avec les services de milieu ouvert de la PJJ.

Spécificité spécieuse

Discours dangereux également que celui de la spécialisation de la PJJ lorsqu’il est à ce point vidé de son sens. En effet, en ce qui nous concerne, nous défendons la spécificité de la justice des mineurs et son corollaire, la spécialisation des juges des enfants et de la PJJ. Mais pour nous, cette spécialisation renvoie à une connaissance fine des problèmes de l’adolescence et du passage à l’acte délinquant comme étant le signe de difficultés à réinscrire comme tel dans le parcours du jeune afin de lui donner un sens. Notre spécialisation renvoie également à la spécificité de notre cadre de travail constitué par l’articulation étroite entre le judiciaire et l’éducatif permettant l’élaboration de réponses éducatives qui ne sauraient être amalgamées aux sanctions pénales.
Aujourd’hui, cette spécialisation est détournée.
Pour l’Administration, il s’agirait de faire valoir notre savoir sur les adolescents à une administration pénitentiaire baignée dans une tout autre culture ; il s’agirait aussi, grâce à nos savoirs-faire spécialisés d’aider les jeunes à respecter les obligations des mesures de probation. C’est ainsi que notre spécialisation est mise au service de la peine et de l’incarcération ; les professionnels de la PJJ alors garants de l’aspect éducatif de telles mesures, il n’y a plus lieu de s’interroger sur leur généralisation. Et logiquement, la peine devenant éducative, on peut, par exemple, incarcérer à cause d’un manquement au règlement intérieur d’un CEF ou à cause d’une fugue. L’incarcération devient la sanction de référence et l’essentiel des réponses à la délinquance des mineurs se construit autour de l’enfermement ou de l’alternative à l’enfermement.

Déterminisme pénal

Même si un palier supplémentaire a été franchi avec les récentes orientations, la mise en place des CER, des CPI et l’augmentation constante ces dernières années des SME, des TIG et des CJ avaient contribué à créer une véritable filière pour les jeunes pris en charge par la PJJ. Marqués par la sanction pénale et donc regardés uniquement à travers leurs passages à l’acte délinquants, il est devenu de plus en plus difficile de travailler en réseau, de trouver des réponses diversifiées et de permettre aux jeunes d’accéder aux dispositifs de droit commun. Étiquetés et stigmatisés, ils provoquent et subissent le rejet institutionnel. Aujourd’hui, cette « ghettoïsation » des jeunes en difficulté ne peut que s’aggraver avec les nouvelles orientations.
Mais la direction persiste et signe : constatant qu’au bout de ces prises en charge séquentielles et en vase clos, toutes sources de ruptures, les jeunes ont bien du mal à trouver une place dans les structures traditionnelles ou tout simplement dans leur milieu de vie habituel, elle met en avant la nécessaire continuité éducative. Elle oublie ainsi au passage que ce sont ces orientations et l’inflation des procédures pénales qui génèrent le morcellement et la discontinuité dans les prises en charge.
Or, c’est en tenant le fil de l’accompagnement éducatif dans la durée, dans les échecs et dans les réussites du jeune, en favorisant les liens avec son environnement, que l’on peut inscrire de la continuité éducative. Loin d’une volonté d’emprise sur le parcours du jeune afin de le « caser » ou de le faire taire, il s’agit plutôt de l’aider à lire lui-même son parcours pour qu’il puisse se l’approprier et ainsi s’affranchir de la répétition.
Cette conception de l’action éducative nécessite des services et des équipes dotés en moyens pluridisciplinaires suffisants, elle nécessite aussi la reconnaissance de la parole des professionnels et celle de l’apport des sciences humaines, sur les problématiques adolescentes. Enfin, elle nécessite la prise en compte du risque éducatif.
Paul LUTZ, sous-directeur de l’Education Surveillée en 1951, écrivait en 1947 :
« Il n’y a pas d’éducation à coup sûr, encore moins de rééducation. L’éducateur assiste toujours à une sorte de lutte entre le mineur et le monde extérieur fait de choses et d’êtres. Cette adaptation progressive aux diverses réalités… se poursuit à travers des échecs et des succès. Une attitude simple consiste à réduire fictivement les difficultés : avoir peu d’exigences, rendre impossible l’évasion en utilisant des murs, des barreaux… On pense diminuer les risques de rébellion, les risques d’évasion, les risques de désobéissance… Et peut-être l’enfant et l’adolescent s’adapteront-ils à cette vie de risques diminués, à cette vie fictive. On en aura fait de bons pensionnaires d’internat. Or, cela importe peu. La seule chose qui compte est de savoir si l’élève a été préparé à affronter les risques normaux de la vie ». (Extrait de l’article de P. LUTZ, publié dans la revue « Pour l’Histoire » de l’AHES-PJM).

CEF : un élément de la banalisation de l’enfermement

Le programme CEF contribue largement à la généralisation de l’éducation sous la contrainte et à faire de la PJJ un maillon de la chaîne pénitentiaire. Loin de favoriser une baisse de l’incarcération des mineurs, comme s’en vantait le ministre de la justice lors de sa visite du CEF de Mont-de-Marsan, il contribue au contraire à l’alimenter. On en veut pour preuve le rapport d’évaluation des CEF qui, malgré le souci constant de positiver, voire d’encenser ce type de prise en charge, ne peut masquer un bilan plus que problématique. En effet, selon les rapporteurs du comité d’évaluation, 33 % des mineurs placés ont été incarcérés durant leur placement au CEF, dont bon nombre sans avoir commis de nouveaux délits mais en raison de fugues ou du non-respect du fonctionnement de l’établissement. La fugue est donc assimilée à un délit de même que le défaut d’adhésion à un placement. Alarmé par cette dérive induite par le cahier des charges des CEF, le comité d’évaluation souhaite voir éviter « deux écueils pour ne pas faire du CEF une structure carcérale : »
« Le premier serait de traiter les fugues comme des évasions. Cette dérive n’a pas toujours été évitée… » et rappelant l’agitation de la PJJ et des médias autour de la question des fugues, ils ajoutent ‘ elle a fini par induire l’idée que les CEF étaient investis d’une obligation de résultat dans la prévention et le traitement des fugues. La rédaction d’un additif au cahier des charges, qui a accru de façon excessive et coûteuse les dispositifs de contrôle, a participé de cette agitation. »
« Le second serait de rendre automatique l’incarcération après tout manquement aux obligations du placement, ce qui reviendrait à faire des CEF, une antichambre ou une annexe de la prison et non une alternative à l’incarcération. »

Le fantasme du redressement et de la surveillance constante

Cependant, le comité d’évaluation omet d’analyser que c’est la philosophie même du programme CEF qui est à l’origine de ces dérives. Avec pour seul credo l’éducation sous la contrainte, le cahier des charges des CEF répond en tout point à la commande sécuritaire qui en est à l’origine. Le fantasme de la surveillance constante est placé au cœur de la prise en charge et revisite le principe du panoptique : les prisons, les bagnes pour enfants, les internats de l’Education Surveillée étaient autrefois construits selon cette conception architecturale qui permettait au gardien, au surveillant ou à l’éducateur de pouvoir observer de son bureau le comportement et le moindre geste du détenu ou du jeune. Aujourd’hui, bien que les personnels des CEF « ne voient pas très bien l’utilité de tous les dispositifs sophistiqués de fermeture » et qu’ils contestent comme à Ste Eulalie et St Denis le Thiboult « la présence et l’efficacité des barbelés » qui ne font qu’alimenter l’esprit frondeur des adolescents, « la hiérarchie des CEF » est là pour rappeler « régulièrement l’obligation de vigilance et les exigences du CEF » en matière de surveillance des mineurs. Or, si les adolescents ont besoin de se confronter à un cadre, à des limites, ils ne peuvent se construire en tant que futurs adultes que s’ils échappent, par moments, au regard et au contrôle des parents, des éducateurs, de la loi et de la société. Le désir des institutions de vouloir tout contrôler, de ne plus accepter le risque comme un élément intrinsèque de la fonction éducative et d’enfermer les jeunes délinquants dans des cases hermétiques ne peut qu’être source de violence et de rébellion. Les théories comportementalistes inspirent largement ce type de projet et entretiennent le mythe de l’éducation renforcée (et ses programmes intensifs de rupture, là où il devrait y avoir un travail sur la « séparation ») et le fantasme d’une intégration des règles par la force et la contrainte. Elles induisent également l’idée pernicieuse, mais au combien confortable, que l’on pourrait « réparer », « redresser » en 3 mois, des enfances fracassées, des carences affectives, éducatives, cognitives, fruits d’un parcours de vie parfois chaotique !

La machine à fabriquer de l’exclusion

De même que la peur du gendarme ou de la potence n’a jamais influé sur le niveau de la délinquance, la menace et l’enfermement ne peuvent être opérants avec des ados dont la problématique n’a rien à voir avec une simple méconnaissance de la loi. Le bilan des CEF est à cet égard éloquent : sur 56 mineurs sortis du dispositif au 30 avril 2004, deux tiers ont été incarcérés pendant et/ou après leur placement. Le comité d’évaluation est donc obligé de reconnaître que « le nombre de mineurs incarcérés ne permet pas aujourd’hui de considérer que le programme parvient à créer durablement les conditions d’une alternative à l’incarcération ». Mais, commande politique oblige, il n’est pas question de tirer les conséquences de cet échec et, s’appuyant largement sur les conclusions du rapport CIRESE sur les CER, le comité d’évaluation identifie les responsables. Ainsi, la PJJ ne serait pas à même de fournir des relais de prise en charge à la sortie du dispositif. C’est oublier un peu vite, rappelons-le, que depuis des années, la PJJ est engagée dans un recentrage de son intervention sur des prises en charge de courte durée et qu’en multipliant les dispositifs de contention, elle participe à l’exclusion de ces jeunes. Les prises en charge éducatives à moyen terme en FAE cèdent le pas progressivement à des accueils sur 3 mois en CPI auxquels peuvent s’ajouter un « dépaysement » de quelques semaines en CER. Faute de moyens, l’hébergement « classique » n’a plus la capacité de répondre à l’ensemble des sollicitations. Et le secteur associatif habilité répugne de plus en plus à la prise en charge des mineurs « étiquetés PJJ », d’autant plus lorsqu’ils sortent d’un CER ou d’un CEF. Nombre de placements en CER se réalisent par défaut, faute de places d’accueil dans les structures d’hébergement classique. Les mêmes dérives sont en train d’apparaître pour les CEF, la question de la place occultant les indications d’orientation éducative.

Contention et contrainte comme seules références pédagogiques

Sans céder aux sirènes de la théorie du complot, on peut considérer que l’administration organise sciemment la pénurie des solutions éducatives pour justifier et imposer la transformation de nos missions. D’ailleurs, le comité d’évaluation des CEF n’hésite pas à considérer que « les contenus de prise en charge mis en œuvre dans les FAE et les CPI continuent globalement d’être inadaptés à la prise en charge des délinquants ». Il met en cause également la formation des éducateurs et l’influence de la psychanalyse sur les courants éducatifs, sous-entendu, la formation des éducateurs est trop portée sur l’analyse au détriment de la capacité à contenir les jeunes dans le cadre de l’enfermement. Pour preuve, le comité d’évaluation relève que les personnels des CEF associatifs sont majoritairement des hommes (70 %), tendance qui contredit « celle observée dans les internats socio-éducatifs », sous entendu encore : l’accent a été mis sur l’autorité, forcément liée à la référence masculine, au contraire du secteur éducatif dont la féminisation constitue un handicap pour la contention physique des jeunes délinquants ! Le principe de la baffe éducative et les mécanismes de la violence institutionnalisée ont encore un bel avenir…
N’en doutons pas, l’orientation sécuritaire de la PJJ est loin d’avoir produit tous ses effets puisque d’ores et déjà, malgré le bilan négatif des CEF, le comité d’évaluation propose de « repenser les cadres et les contenus de l’ensemble des établissements et services concourant à la prise en charge des mineurs délinquants ». Pour cela, « les principes éducatifs qui régissent les prises en charge renforcées, contenantes et contraignantes… doivent être à l’œuvre dans les pratiques des autres dispositifs d’hébergement : FAE ou CPI. » Ces propositions, si elles étaient suivies d’effet, conduiraient à banaliser encore un peu plus l’enfermement des mineurs et à transformer la PJJ en un simple maillon de la chaîne pénitentiaire. L’audit en cours sur les CPI sera sans doute l’occasion pour l’administration de renforcer cette tendance.

Spécialisation et décentralisation :

Annoncée par le programme de travail 2004-2007, puis mis un temps en sommeil, la création de services territoriaux spécialisés d’investigation et d’orientation éducative (STIOE) est de nouveau mise en chantier par l’administration. Outre qu’elle réduirait la mesure d’IOE à une simple fonction de diagnostic et d’aide à la décision du magistrat, la création de ce type de structure conduirait à une disparition à terme de l’approche pluridisciplinaire dans les autres mesures puisque les psychologues et assistants sociaux, en nombre déjà insuffisant, seraient entièrement absorbés par ces services. D’autres parts, la création de services spécialisés introduirait de la discontinuité dans la prise en charge éducative (changement de service attributaire de la mesure préconisée dans l’IOE et rupture des actions et de la relation engagées durant l’investigation) et amènerait un cloisonnement des services et un appauvrissement de la réflexion des professionnels.
Ce projet renvoie encore un peu plus la PJJ à un recentrage de ses missions qui abandonne progressivement le champ éducatif au profit des champs judiciaire et pénitentiaire. Auxiliaire de justice d’un côté et agent de probation de l’autre, la vocation éducative de la PJJ sera vidée de son contenu ! Le transfert de l’assistance éducative aux conseils généraux dont l’expérimentation devrait commencer sous peu dans 5 départements, sépare artificiellement l’enfance en danger de l’enfance délinquante. Elle parachèvera ce mouvement de transformation de la PJJ en institution de suivi uniquement pénal des mineurs, sans compter ses incidences sur la justice des mineurs et sur la fonction de JE.

Pour en finir avec les faux-semblants

Dans la lettre de la PJJ de janvier/février 2005, le Garde des Sceaux reprend à son compte la philosophie de l’ordonnance de 45. Il en défend les valeurs et rappelle que les adolescents « sont d’abord des enfants ».

Dans le contexte de la société contemporaine où les valeurs d’humanisme sont consensuelles, on voit mal comment un ministre de la république pourrait ouvertement prôner des valeurs de coercition sur les jeunes. Mais les faits sont têtus et les bonnes paroles ne suffisent pas à cacher la vérité.
Avec les nouvelles dispositions législatives, la philosophie de l’ordonnance de 45 est totalement renversée. La PJJ est positionnée de façon centrale comme institution de suivi des peines que celles-ci s’exécutent en milieu ouvert ou en milieu fermé ; c’est donc la voie répressive qui est choisie pour les mineurs et « mettre de l’éducatif » dans ces mesures n’en change ni la nature, ni la perception que le jeune en a. S’il fallait une preuve supplémentaire que les paroles du ministre sonnent creux, surtout lorsqu’il fait appel à la notion d’enfance, nous pourrions citer toutes les dispositions qui rapprochent de plus en plus la justice des mineurs de celle des majeurs.

Rappelons donc :
que les mesures de probation sont issues du droit pénal des majeurs
que la première loi Perben a abaissé l’âge de la majorité pénale à 10 ans et introduit pour cela la notion de discernement
que, par le biais de la révocation du Contrôle Judiciaire imposant un placement en CEF, l’incarcération préventive dès 13 ans en matière correctionnelle est maintenant possible
que la deuxième loi Perben organise le quasi-alignement des règles du casier judiciaire des mineurs sur celle des majeurs et l’inscription possible des mineurs sur différents fichiers
que la comparution à délai rapproché est une copie de la comparution immédiate pour les majeurs ; elle met fin à la possibilité de prendre des mesures d’investigation, de placement d’accueil et d’orientation ou de Liberté Surveillée Préjudicielle ; c’est la mise en place de procédures rapides qui ne permettent plus les réponses éducatives.

Et maintenant, ce sont de nouvelles prisons pour des adolescents de 13 à 18 ans que l’on va construire. Les moyens alloués pour l’édification de ces prisons (90 millions d’€ !) sont autant de moyens qui n’iront pas à la prévention, aux foyers, aux services de milieu ouvert et d’insertion de la PJJ. Il s’agit là d’un véritable choix de société : enfermer les jeunes en difficulté et les éduquer au moyen de la contrainte (fixée par les obligations de la peine ou les murs de la prison), comme s’il existait un noyau dur de la jeunesse de ce pays pour qui l’éducation devait être un dressage.

C’est parce que nous refusons cette approche de la jeunesse en difficulté, son enfermement et sa pénalisation croissante que nous appelons à combattre ces orientations et à lutter pied à pied dans les départements et avec nos partenaires au sein des collectifs anti-EPM, pour que la PJJ reste une administration éducative séparée de l’administration pénitentiaire.

Avril 2005