Dominique Lalanne : « DES MANQUES, MAIS DES AVANCEES AUSSI. POURQUOI JE VOTE OUI. »

La préoccupation de la paix arrive dans l’article I-3 dans les « objectifs » de l’Union européenne (UE) : « l’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples ». On voit que la paix est le premier objectif de cette liste.

Au quatrième paragraphe de cet article, il est précisé : « l’Union contribue à la paix, à la sécurité, (…), à la solidarité et au respect mutuel entre ses peuples, (…) ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies ».

Cette référence à l’ONU revient à plusieurs reprises. Une des critiques des pacifistes est l’absence d’interdiction de la guerre comme moyen de régler les conflits, c’est en particulier la grande déception des pacifistes italiens qui proposaient un article premier dans le traité spécifiant le refus de la guerre…

Au niveau des « compétences » de l’Union, une possibilité nouvelle (par rapportaux traités actuellement en vigueur, Maastricht, Amsterdam et Nice) est offertepour « définir et mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune.

C’est très nouveau. C’est le premier pas vers une autonomie par rapport aux alliances militaires, en particulier l’OTAN dont certains articles abordés au chapitre II parlent plus précisément.

C’est donc un signal clair pour la communauté internationale d’une volonté européenne pour une politique étrangère cohérente et indépendante.

Dans l’article I-16 ces notions sont précisées : « La compétence de l’Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune couvre tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ».

Le deuxième paragraphe de cet article prévoit que certains Etats ne partageant pas la position adoptée devront « respecter l’action de l’Union dans ce domaine » et« s’abstenir de toute action contraire aux intérêts de l’Union ou susceptibles de nuire à son efficacité ». On peut se demander comment aurait été gérée la division d’appréciation de la décision de déclarer la guerre à l’Irak, en particulier le soutien apporté à l’administration Bush par certains chefs d’Etats aurait du être impossible si l’on voulait respecter les principes précédents.

Encore une fois, les pacifistes resteront sur leur faim car rien n’est dit dans ces premiers articles sur la prévention des conflits (qui sera toutefois introduite plus tard à l’article I-41), sur la non-violence,la culture de la paix (pourtant à l’ordre du jour avec la décennie de la paix décidée parl’ONU).

Sur l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe)rien non plus, mais les optimistes diront que le respect des traités internationaux signés va sans dire…

– Les personnalités représentants l’Union

En politique étrangère et de défense, un représentant unique vis-à-vis de lacommunauté internationale est le plus gros manque actuel des traités Maastricht-Amsterdam-Nice.

Ainsi on l’a vu lors de la récente crise d’Irak où la cacophonie de Etats européens laissait penser que l’Europe n’avait pas d’alternative à l’invasion US.

L’article I-27 précise qu’il y a élection par le Conseil et à la majorité qualifiée d’un président et sur sa proposition d’un ministre des affaires étrangères pour mener la « politique de sécurité et de défense commune ».

L’Union devient donc un réel interlocuteur international en ces domaines.

-Les dispositions particulières sur la défense

Il s’agit des articles I-40 à I-44. Après le rappel des idées déjà développées,l’article I-40 paragraphe 6 précise que le Conseil adopte les décisionseuropéennes à l’unanimité.
On risque de tomber dans un cas de blocage si un Etat membre est en franc désaccord avec les autres. C’est le cas actuellement avec les traités de Maastricht-Amsterdam-Nice. Mais compte tenu des Etats européens tels qu’ils sont, il est difficile de croire qu’une décision contraignante serait acceptée.

Imaginons la France seule contre tous sur un point concernant sa défense (au hasard, la force nucléaire par exemple…), comment l’opinion française réagirait-elle si l’Europe décidait sans elle l’abolition des armes nucléaires ! ! !

Nous sommes encore loin d’une acceptation de décisions de ce type dans le domaine de la sécurité et de la défense. Une porte de sortie est ouverte avec l’article suivant : « le Conseil peut à l’unanimité, adopter une décision européenne autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans les cas autres que ceux visés à la partie III ».

Mais cette partie III contient précisément les sujets de sécurité et de défense, le blocage est donc possible stricto sensu.

L’article I-41 est l’un des articles principaux en matière de défense. « La politique de sécurité et de défense commune (…) assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintient de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies ».

Cet article impliquerait une impossibilité de participer à une guerre comme la récente guerre d’Irak, puisqu’il n’y avait pas accord de l’ONU. Il deviendrait difficile pour un des Etats de l’Union de passer outre aux principes de l’Union.

On notera aussi avec satisfaction qu’il n’est pas mentionné la défense des intérêts de l’Union (comme officiellement se justifie la force de frappe nucléaire française pour les « intérêts vitaux » de la France). Les seuls motifs d’intervention sont la paix, la prévention des conflits et la sécurité internationale.

Parfois les manques ne sont pas anodins.

Le deuxième paragraphe de l’article I-41 est aussi à analyser attentivement. Cet article met en parallèle une politique de défense commune et les « obligations de certains Etats membres découlant du traité de l’Atlantique Nord ». C’est évidemment une des réelles difficultés de l’Union nouvellement construite car quatre de ses Etats ne font pas partie de l’OTAN (Autriche, Finlande, Irlande, Suède) et ceux qui en font partie ne peuvent renier ce traité signé antérieurement.

Dans les traités précédents (Maastricht, Amsterdam et Nice) ces sujets n’étaient pas abordés du tout. En fait, il est impossible de remettre en cause l’appartenance à l’OTAN des 21 dans un traité constitutionnel de ce type et donc la meilleure alternative possible actuellement est de créer une structure européenne à mettre en vis-à-vis.

Dans le paragraphe 7 où l’OTAN est à nouveau mentionné, le parallèle est encore souligné : « au cas où un Etat membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies ».

L’OTAN devient donc inutile pour les pays de l’UE qui n’en sont pas membres. Les pacifistes pourront s’indigner de la mention de l’OTAN mais d’autres pourront y voir la mise à jour du réel problème soulevé par une nouvelle entité de défense commune concurrente, la « défense européenne ».

Préciser les contradictions et choisir l’option d’une défense commune européenne indépendante de l’OTAN est un premier pas dans la bonne direction.

A terme, il n’est pas inimaginable que cette structure de défense commune puisse amener à une remise en cause de l’OTAN elle-même, devenue obsolète.

Pour faciliter la mise en place d’une telle structure commune de défense, le paragraphe 6 précise que « les Etats membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires (…) établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l’Union ». Car il est évident que certains opposants à une alternative à l’OTAN essayeront de faire traîner les choses.

Et donc les Etats les plus décidés pourront néanmoins aller de l’avant. Les possibilités de blocages sont, d’une certaine façon, contournées.

Un autre type de structure est aussi proposée, les « coopérations renforcées » qui doivent être cohérentes avec la politique étrangère et de sécurité de l’Union (articleIII-419).

Le paragraphe 3 de l’article I-41 est aussi sujet à controverse, car il stipule que les « Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires ».

Les pacifistes sont choqués car l’interprétation immédiate en est une Europe se militarisant de plus en plus. La phrase suivante montre que l’interprétation doit être toute autre : « il est institué une Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement ».

Une Agence n’est pas à proprement parler un moyen pour militariser plus mais plutôt pour mieux gérer des difficultés.

L’article III-311 précise clairement les missions de l’Agence :

1- identifier les objectifs de capacités militaires, 2- promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels, 3- coordonner les programmes, 4 – planifier les activités de recherches conjointes, 5 – identifier des mesures utiles pour renforcer la base industrielle et améliorer l’efficacité des dépenses militaires.

En gros, comment faire mieux avec moins d’argent ! ! !En fait, les pays de l’Union ont actuellement des politiques d’équipement parfaitement incohérentes. Pour les pacifistes, cela n’est pas de leurs préoccupations (heureusement !) mais mieux gérer les budgets de défense n’est pas forcement assimilable à une militarisation accrue.

Une politique industrielle concernant l’armement peut signifier des économies d’échelle et des gains d’efficacité, et pourquoi pas des remises en cause de certains types d’armement ?

Pour les armesà uranium appauvri l’espoir n’est pas irréaliste.

Ce Traité constitutionnel n’aborde pas le problème de l’armement nucléaire. Ni du Traité de non prolifération (TNP). Ni des armes nucléaires de l’OTAN ou des Etats-Unis en Europe. Encore une fois les pacifistes resteront insatisfaits.

Mais le problème majeur est plus profond : il n’y a pas accord entre les Etats européens sur ce sujet. La France veut garder son arme nucléaire, la Grande Bretagne veut conserver ses liens privilégiés avec les Etats-Unis, trois pays,la Suède, l’Irlande et l’Autriche veulent un abandon immédiat des armes nucléaires et d’autres Etats, comme la Pologne, pensent que leur sécurité est assurée grâce à l’arme nucléaire américaine. Une telle diversité empêche toute vue commune sur ce sujet.

Mais pour les pacifistes, seule l’obligation du respect de la loi internationale, en l’occurrence le TNP, doit être important. Il est difficile d’imaginer quel’Union européenne adopte une attitude d’opposition au TNP alors que le parlement européen a récemment adopté (10 mars 2005) une délibération d’opposition à l’arme nucléaire et de proposition pour un désarmement nucléaire d’ici 2020.

Dans le cadre des traités actuels Maastricht-Amsterdam-Nice, le parlement n’a pas la possibilité de faire plus.

Ce traité constitutionnel lui donnera un peu plus de pouvoir, le parlement aura ainsi droit à la co-décision sur le budget.

Les citoyens aussi, avec un million de signatures, ont une nouvelle possibilité d’initiative politique.

Ce traité constitutionnel comporte donc une dynamique interne de révision par amendements, ce qui permettra de faire des « petits pas » sans attendre de nouveaux « grands bonds ». L’unanimité n’est plus la seule solution comme avec Maastricht-Amsterdam-Nice puisqu’il existe une procédure simplifiée et une autre super-simplifiée.

Les pacifistes ne sont pas au bout de leur peine pour une abolition de l’arme nucléaire, ni pour une abolition de la guerre, mais ce nouveau traité international leur donne un peu plus de moyens et surtout pose le sujet de la défense au niveau de l’ensemble de l’Union européenne.

CONCLUSIONS

Les traités actuellement en vigueur, Maastricht, Amsterdam et Nice, n’abordent aucun des thèmes pour lesquels les pacifistes se mobilisent depuis longtemps. Ce traité constitutionnel propose enfin à l’Union européenne d’œuvrer pour la paix et la résolution des conflits dans le cadre de l’ONU.

Dans ce traité,l’Union européenne crée une défense européenne indépendante de l’OTAN sans accepter aucune contrainte d’adhésion à l’OTAN. Contre les armes nucléaires, les quatre Etats membres Autriche, Finlande, Irlande et Suède, non membres de l’OTAN, feront certainement entendre leurs voix comme ils le font régulièrement à la tribune de l’ONU.

Ce traité constitutionnel donne aux pacifistes un nouvel outil pour leurs luttes, il serait dommage de ne pas s’en saisir.

Lettre publiée par Dominique Lalanne qui milite à « Stop essai », organisation qui lutte contre les essais nucléaires . le 3 avril 2005