{{{Il était une fois… (non, disons plutôt: recontextualisation
préalable)}}}

Un beau jour, il y a deux ans de ça, alors que j’étais tout nouveau
dans la galaxie anarchoïde/squateureuse, j’ai rencontré les questions
de genres: une série de discussions, en mixité ou non, m’ont mis sur
la voie de la remise en cause de ma vilaine masculinité, de mes
rapports affectifs hétéronormés, tout ça tout ça.

Une belle claque dans ma gueule, dois-je avouer, tant la tâche était –
et est toujours – énorme, mais aussi l’enthousiasmante perspective d’avoir tout un monde relationnel à (dé+re)construire, plus
épanouissant pour moi comme pour les gens que j’affectionne.

Plein de bonne volonté, que j’étais. Alors, de lectures en
discussions, je me suis construit mentalement une image idéale de ce
que devaient être mes désirs: plus jamais ne devaient m’atteindre
jalousie et possessivité, tout ça tout ça; je l’ai exprimé de façon
détournée, fin 2002, dans un texte d’une naïveté touchante. Dans la
foulée, j’ai passé un an, ou peu s’en faut, à tenter tant bien que mal
de faire rentrer mes désirs dans ce moule, et pour cela, à en refouler
une partie, à camoufler certains autres, et à tordre violemment ceux
qui restaient pour qu’ils correspondent à ce que je voulais qu’ils
soient.

C’était bof. Et ce fut pire encore quand je me suis rendu compte du
processus de mensonge, à moi-même et aux autres, dans lequel je
m’étais fourré. À la détresse passagère succéda la réflexion, et il en
sortit, en mai 2003, un texte intitulé « Vers des relations amoureuses
(?) plus épanouissantes », dans lequel je faisais état de la difficulté
d’assumer, de gérer le décalage entre posture politique théorique et
réalité vécue; la solution que je me proposais alors d’appliquer
consistait en une certaine formalisation de mes relations affectives,
pour « sortir de la dictature du non-dit », pour cesser de simuler mon
adéquation parfaite à un modèle théorique.

Mais la réalité fut toute autre. Car, pour ne pas devoir assumer la
complexité de ce mode relationnel, pour être sûr(?) de ne pas être
oppressant, j’ai fuit toute relation qui me semblait susceptible de
croître en intensité/diversité: plus concrètement, dès lors que je me
sentais sur le point de tomber amoureux, je me sauvais en courant;
histoire d’éviter tout chambardement interne, de ne prendre aucun
risque, le calcul permanent, en moi, était alors roi. (Et ce à une
exception près, au sein de laquelle les risques que j’ai pris étaient
somme toute limités, tant la situation était cadenassée; je ne
m’attarderai pas là dessus, mon impudeur admettant certaines limites,
les commèr-e-s en seront pour leurs frais, na.)

C’était bof aussi. La basse intensité affective de mes relations ne
pouvait pas me satisfaire éternellement, aussi ai-je fini par sonner
le glas de ma période moine-soldat. Rhâââ. Le rock’n’roll a repris le
dessus, mes désirs ont réaffirmé leur existence et, laissant quelque
peu le calcul au fossé, je me suis laissé aller à l’expérimentation, à
la prise de risques… ce fut bon; j’en fus tout étonné. Tout étonné,
je le suis aussi quand en constatant que le fameux décalage entre
posture politique et ressentis se fait plus ténu en moi, youpi, mais
je ferais p’t’être mieux d’aller tuer l’ours, d’abord. Je n’ai pas
pour autant cessé d’analyser mes désirs, de tenter de prendre
conscience de ce qu’ils peuvent avoir d’oppressant, blabla, blabla. Et
là, je me dis… merdre, les trucs spontanés, c’est frais c’est bon
c’est chaud, mais je ne fais jamais qu’y refléter ma construction
sociale, c’est über-naze.

C’est de ça que va traiter la suite de ce texte, d’ailleurs. Allez
hop.

{{{Le confort des relations institutionnalisées vs. youplaboum la
spontanéité… et leurs problèmes respectifs}}}

D’un côté, le vilain système
capitaliste-patriarcal-hétéronormé-et-tout aime que j’aie peur de
l’inconnu, de l’imprévu, et que j’enferme en conséquence mes relations
affectives dans un certain confort, que d’ailleurs je suis construit
pour apprécier; ce confort peut revêtir différents aspects, du couple
à la « relation privilégiée », qui ont tous en commun le fait qu’ils
mettent en place des rapports institutionnalisés voire figés.

Je rejette ce confort, pour un tas de raisons et de ressentis, que
voici:

– Mes désirs changent tout le temps, et je ne veux ni devoir un
certain type de rapports à quelqu’un-e, ni que quelqu’un-e me doive
quoi que ce soit (temps partagé, bidouillage physique, ou autre); je
veux vivre la non-permanence, quoi: d’une part, je ne veux ni
m’enfermer, ni enfermer; mon farouche « besoin » d’autonomie
individuelle est incompatible avec les dépendances affectives et
sexuelles; d’autre part, je ne veux pas restreindre le champ des
possibles, je veux conserver de la potentialité dans mes rapports
affectifs: je ne veux pas ranger définitivement mes relations dans
des tiroirs hiérarchisés et étiquetés « amitié », « amour », « sexe »,
etc.
– Définir une relation, lui coller une étiquette, revient à
l’institutionnaliser, à créer une représentation séparée de la
réalité vécue; cette représentation/étiquette, même si elle est, au
départ, proche de la réalité des rapports, ne le restera ni
constamment, ni indéfiniment, le problème étant qu’une étiquette, ça
ne se décolle pas si facilement que ça… et je ne compte plus
rejouer aucun rôle dans la pièce intitulée « Je fais semblant que mes
désirs correspondent toujours à l’étiquette collée il y à X mois
et/ou à la norme sociale de mon milieu ». En effet, je ne veux ni
refouler mes désirs, ni faire semblant qu’ils soient autres. Petite
précision: pour moi, que l’étiquette en question soit « relation
privilégiée non-exclusive et tout et tout » ou « couple hétéro
exclusif » ne change rien à son pouvoir adhésif, ni à son décalage
(présent ou futur) avec la réalité des rapports.
– La volonté d’introduire la continuité dans leurs relations
affectives pourrait bien être, chez les garçons en voie de
(dé+re)construction, un subtil remplacement et/ou une
pseudo-justification politique de la bonne vieille
possessivité. Chuis pas sûr, mais en tout cas, le risque est là.
Mais comprenons-nous bien: pour moi, le contraire de la « continuité »
est la « non-permanence », pas le « consumérisme affectif/sexuel »
(concept apparaissant dans la littérature populaire sous la forme
autrement moins intello de « un soir, une fille »).
– Je voudrais sortir du calcul, de la gestion économique des relations
affectives, du « retour sur investissement »; « apprendre à donner sans
attendre en retour », Florent Pagny me soutient, même. Mais ça je ne
suis pas très sûr, ça mériterait d’être approfondi dans un autre
texte, peut-être.
– Des fois, la prise de risques, l’abandon, le tourbillon de la vie,
ne plus tout contrôler, c’est si bon… merdre, je suis un sale
spontanéiste, hé hé. On aura tout vu ;)

D’un autre côté, le vilain système
capitaliste-patriarcal-hétéronormé-et-tout aime que je sois, quelque
part, spontanéiste, dans le sens où, si je ne réfléchis pas et que
j’applique mes désirs socialement construits à la lettre, je reproduis
aussi sec masse de trucs pas chouettes: par exemple, retour illico à
la case/cage « couple » (édulcoloré, il va sans dire), et/ou « dépendance
affective », et/ou « rapports institutionnalisés »; et, si ce n’est pas
le cas, à la case « libéralisme/égoïsme affectif et sexuel », « mes
désirs avant tout le reste ». Qui ne me convient pas non plus, je
crois, voilà pourquoi:

– Je voudrais n’oppresser, ne violer personne; ça implique de prendre
conscience de ce que mes désirs/actes peuvent avoir d’oppressant,
et, partant, d’analyser d’où ils proviennent (c’est-à-dire:
décrypter ma construction sociale pour pouvoir agir dessus,
(dé+re)construire, etc.).
– J’apprécie d’apprendre, sur le long terme, à connaître et aimer des
gens, et ne pas en rester systématiquement à des relations brèves,
superficielles dans un sens, quand bien même elles sont intenses.
– J’ai envie de construire des rapports sociaux au sein desquels on
prendrait soin les un-e-s des autres, au sein de projets collectifs
à long terme. D’où la nécessité d’une écoute, de ma part, qui ne se
limite pas à celle de mes propres désirs/peurs. Et ça, c’est l’exact
contraire du libéralisme. Je précise tout de même que ce n’est pas
par pitié/culpabilité chrétienne, hein: j’y trouve mon compte aussi,
en termes de confort de vie, lorsque je sais que mes peurs/désirs
peuvent être entendus et pris en considération au sein d’un
collectif (de deux personnes ou plus).

En guise de synthèse, quelques pistes

Ça fait un tas d’envies et d’idées à concilier, tout ça. Même, ça me
fait toujours autant peur, mais à la fois j’aime bien les défis,
l’inaccessible étoile et tout le tintouin, on m’a élevé pour,
d’ailleurs. Alors, au menu, ce coup-ci, je me sers quelques pistes qui
pourraient m’aider dans mon louvoiement à travers le terrrrible
univers des rapports affectifs; et comme chuis pas bégueule, allez,
les voici:

– Écouter, assumer mes désirs/peurs, tout en les jaugeant à l’aune de
leur pertinence politique, c’est-à-dire de leur potentiel à
accroître ma puissance et ma joie, ainsi que celle des gens que
j’aime, ou, au contraire, à y amener de la tristesse, à
créer/perpétuer de l’oppression. Ça, j’ai commencé, ça peut
m’amener à prendre des risques, en étant conscient que j’en
prends. Ça peut aussi m’amener à obéir ou à désobéir à mes désirs,
mais l’important, dans l’histoire, c’est peut-être que je soit
conscient que je leur obéis ou désobéis, et plouf. C’est ce que
j’appelle « la conscience sans le calcul ».
– Créer des relations de confiance au sein desquelles je puisse me
sentir à l’aise pour exprimer mes désirs et mes peurs, quitte à ce
que « on » me réponde « non », et que ce soit réciproque. Des relations
souples & flexibles, sans engagement autre que la franchise
réciproque. Au boulot. C’est ce que j’appelle « formaliser le
spontanéisme », hi hi.
– Faire particulièrement gaffe aux habitudes, aux présupposés (« ille a
envie de ça »), histoire d’éviter l’écueil de l’institutionnalisation
et celui du viol, à quelque degré que ce soit. Symétriquement, ça
peut aussi m’aider à ne pas limiter telle ou telle relation à un
certain type d’échanges, c’est-à-dire laisser de la marge pour des
possibles non encore vécus, une potentielle
intensification/diversification des rapports que j’ai avec des gens
(et en particulier dans deux cas: d’une part, avec des garçons que
j’affectionne mais… on reste des hétéros débiles alors on ne se
touche pas; et d’autre part, avec des filles que j’affectionne tout
autant, mais… les horribles normes de beauté, que j’ai en partie
intériorisées, me rendent distant).
– Le « confort », que je déteste quand il a pour support une relation
institutionnalisée à deux, et bien, je l’apprécie carrément quand il
provient du fait que, ayant de l’affection pour de nombreuses
personnes -et réciproquement-, je ne me sens pas dépendant d’une
seule. Vive la répartition de charge, dirait un-e geek-e, mais je
m’égare.

NB: ce n’est pas une liste de règles que je me fixe, ça, j’ai déjà
donné; seulement quelques pistes, issues de ce que j’ai vécu jusqu’à
présent, et que j’analyse aujourd’hui en fonction du plaisir que j’y
ai pris (et/ou donné, mais ça, je suis moins sûr, forcément); ou pas,
d’ailleurs.

Quelques limites dont je suis déjà conscient… en attendant le prochain épisode de ce chantier permanent ;)

Évidemment, reste à voir, dans la vraie vie, comment ça s’accorde avec
les désirs/peurs des gens pour lesquel-le-s j’ai de l’affection. C’te
blague. Mais comme faut en parler, et donc aborder le sujet, c’est
pas si simple, tiens. Et merde, v’la que ça se complique, déjà.

Il y a une embrouille au niveau du truc « exprimer mes
désirs ». Plusieurs embrouilles, même:
– Depuis que j’ai commencé à prendre conscience de l’oppression que je
véhicule en tant que garçon, je fais un blocage sur la question de
« prendre l’initiative ». Remarque, je le faisais déjà un peu avant,
surtout dans les phases précédant les premiers contacts physiques,
mais on ne peut pas dire que ça ait arrangé les choses. Après, vu
que la prise d’initiative est une des facettes de la domination
masculine, peut-être que ce n’est pas vraiment un
problème. Hmmm… t’en penses quoi, toi? Parce que rééquilibrer,
c’est chouette, mais déséquilibrer dans l’autre sens, c’est un peu
naze, je trouve.
– Du peu que j’en sais, un grand nombre de femmes sont lassées de
devoir dire « non » une douzaine de fois la semaine; ça implique que,
des fois, le fait d’exprimer mes désirs peut être oppressant en
soi. Et ça, ça complique méchamment mon envie d’avoir des relations
basées sur la franchise, cette histoire de « spontanéisme formalisé »,
tout ça; bon, je suis bête, je ferais mieux de leur en causer
directement.
– Tout ça suppose que les deux (oui, c’est réducteur, mais je raisonne
à l’échelle de ma vie, pas sur la comète) parties soient capables
non seulement de dire « non », ce qui n’est déjà pas forcément facile,
mais aussi d’entendre un « non »… sinon, retour à la case « rapports
de domination », viol, entre autres horreurs.

Des processus, inconscients ou non, font qu’on (que j’) adapte nos
(mes) actes pour qu’ils soient conformes à des normes en vigueur au
sein du collectif, ce qui est d’autant plus malsain que les normes en
question n’ont bien souvent jamais été énoncées formellement; c’est
naze. Le fait d’avoir des relations affectives fortes mais de le
dissimuler, même si ça ne trompe personne, en est un exemple
probant. Encore un truc à approfondir, tiens.

Conclusion pourrie, j’aurais mieux fait de me barrer en loucedé

Le sujet est loin d’être clos, reste des milliards de trucs à vivre, à
réfléchir, à expérimenter, à (dé+re)construire. (Par exemple,
éradiquer définitivement les phrases contenant autant de banalités,
ouais.)

Et comme je ne vais pas y arriver tout seul, envoie-moi, si l’envie
t’en vient, des remarques gentilles ou non, un témoignage, des
réflexions sur la question, des réponses à mes questions, des
questions indiscrètes, un gode en forme de gnou, ou que sais-je
encore.