Je ne me rappelle pas bien de toutes nos échanges verbales, mais il y en avait pas mal. Je suis restée très sereine. J’ai même gardée beaucoup d’humour à partir du moment que j’avais réussi à rester là où j’étais et ne pas être emmenée de force. Je leur ai rappelé mon prénom plusieurs fois. Pour qu’ils sachent que je suis un être humain et peut-être qu’on peut me respecter comme tel. Je me suis moquée de leurs chefs qui changeaient leurs ordres toutes les deux secondes dans les talkies. Je leur ai demandé s’ils m’arrêtaient, si j’étais en garde à vue et si je pouvais récupérer mes papiers à plusieurs reprises. Toujours la même réponse : « NON ». Les passants les emmerdaient un peu. Surtout les vélos qui demandaient à passer sur la voie désignée pour eux. Un policier à poussé le vélo d’une femme quand elle restait à côté de nous. Savoir que les gens n’étaient pas indifférents ma donné du courage.
Puis les ordres étaient de m’amener à l’Hôtel de Police. « HP » dans leur langage. Ils m’ont emmené vers leurs fourgons. Je n’ai pas résisté, j’ai suivi, obéi. J’avais bien refermé la veste de moto pour me protéger. Je n’avais pas peur. Ni de coups, ni d’une condamnation. Si je dois faire face à la douleur, l’enfermement, le harcèlement, un jour, j’encaisserai. Je ferai savoir à la personne qui me fait mal que c’est elle qui doit regarder ça dans la glace tous les jours. J’ai bonne conscience avec moi-même.

Jusque-là, à part la privation de mon droit de circuler et de disposer de mon temps comme j’en ai envie ; j’ai surtout subi des réflexions sur le fait que je ne suis pas Française et que je ne connaitrai pas la biens éance du pays. J’ai aussi eu droit à une menace camouflée. Un policier avait compris la raison pour laquelle j’avais bien refermé ma veste, que je rappelai régulièrement mon prénom et que j’étais réticente à me retrouver seule avec eux. Il m’a dit : « On ne va pas te frapper ». Un autre a dit : « Pour l’instant ».
La personne qui m’accompagnait avant que les flics nous arrêtent était toujours là, et m’a demandé ce que je faisais. J’ai dit que j’ai cru comprendre qu’ils m’embarquaient dans leur fourgon. La personne est allée prévenir les personnes qui restaient de la manifestation à quelques dizaines de mètres de là. Les policiers ont enlevé une partie des armes qui trainaient à l’arrière du fourgon avant de me faire monter. Un policier est resté à l’arrière avec moi. Un autre à pris le volant. Un autre est d’abord monté puis descendu, quelqu’un a décidé qu’il valait mieux être plus sur place que de me sécuriser moi. Le conducteur est parti à toute vitesse, il freinait brusquement. Il y avait beaucoup de circulation. L’autre, à côté de moi, lui disait « met ton pimpon ». Le fourgon a raclé une voiture qui s’est mise de côté, rue Châteaubriand, pour nous laisser passer (mais pas assez !). On ne s’est pas arrêté ; même si forcer le passage dans cette ruelle à sens unique rempli de voitures était lent.
Je pense que le policier-conducteur avait peur que des manifestant-e-s pourchassent notre fourgon. Ils n’étaient que deux. C’est vrai que ça n’est sûrement pas rassurant. Je n’avais pas de ceinture de tout le voyage. Je suis restée tranquille tout en m’accrochant. J’ai signalé qu’on avait touché la voiture au cas où le stress l’avait empêché de s’en rendre compte.

Nous sommes finalement arrivés à l’Hôtel de Police Waldeck, nous sommes rentrés dans un parking souterrain. Sur leur radio en descendant on entend qu’un groupe de personnes est arrivé aussi. Pour protester contre le fait qu’on m’ai embarqué. Celui qui était resté à côté de moi dit que c’est « grâce à nous ça ». Je leur ai dit que je trouvait ça intéressant qu’ils illustrent cette répression que nous étions venu-e-s dénoncer ce jour là. Je crois que lui pensait que peut-être ça déborderai, et que ces copains et lui auront l’occasion de nous taper dessus. De faire joujou avec leurs armes.
Ils m’ont dit de les suivre et, une fois dans l’ascenseur, il fallait que j’enlève mon chapeau. Après un désaccord qu’ils se renvoyaient sur le fait de prendre la porte à l’est ou à l’ouest, on a pris la porte de l ‘est, puis à droite et à gauche dans les couloirs. Ils étaient d’accord avec moi que c’est un vrai labyrinthe là-dedans. Ils m’ont fait asseoir sur un banc. Sur le sol devant moi, était fixée une chaine pour pouvoir immobiliser les gens menottés. Sur la porte en face de moi, il était écrit « Renseignements – Écrivez lisiblement et prendre aussi le nom de jeunesse du conjoint ». Je sais que je ne suis tenue par la loi que de donner MON nom, date et lieu de naissance. Je leur avais déjà donné bien plus que ça. Un de ceux qui m’avait amené là a commencé à remplir une fiche sur moi. Il a dit aux policiers du bureau que, quand j’avais enlevé mon chapeau, il a cru me reconnaître de la manifestation du 22 février. Je prend ça pour des aveux que lui au moins y était.

Un, qui passait par là, a pointé son téléphone avec caméra sur moi. J’ai monté mon chapeau pour cacher ma tête et regardé dans l’autre sens. On m’a dit de baisser mon chapeau. J’ai obéi et j’ai baissé la tête entre les genoux, les avant-bras appuyés sur les genoux. Comme ça personne n’aura une photo de moi contre mon gré pendant que je suis détenue contre mon gré.
J’ai échangé des réflexions avec ceux et celles qui trainaient dans le couloir. On disait de moi que j’étais « NDDL ». Ils étaient curieux de mon déguisement. J’ai expliqué que c’était une dénonciation de la répression face à laquelle des gens qui s’expriment contre un projet du gouvernement se retrouvent actuellement. Que si on ne se protège pas physiquement, on se retrouve possiblement mutilé-e, handicapé-e ou mort-e ; et si on ne dissimule pas notre visage, on se retrouve dans leurs fichiers et tôt ou tard condamné-es. J’ai dit que je ne pensais pas que c’était leur fonction de fonctionnaire le fond du problème, mais plutôt le pouvoir et l’argent dans le monde. J’ai dit que je vivais des expériences riches et que j’étais plutôt satisfaite de la vie que je choisis de mener. Ils étaient curieux de savoir ce que je fais de ma vie. J’ai répondu vaguement : « plein de choses ».
Un de leurs portables a sonné. J’ai cru reconnaître une chanson de Céline Dion. J’ai chantonné la partie dont je me rappelle : « Je sais les hivers, Je sais le froid, Mais la vie sans toi, Je sais pas ». Il y a un homme qui a été arrêté pour alcoolémie. Ils lui posaient des questions. Il obtempérait. Quand ils l’amenaient plus loin dans les couloirs, je lui a dit : « bon courage ». Il ma mis la main sur l’épaule. Ça m’a réconforté. Merci !

Je ne suis tombée dans aucun de leurs pièges de discours pour me réduire en ennemie manifestante, parasite, pas humaine, pas bienveillante, pas sensible, pas consciente… J’ai gardé l’humour et je savais qu’ils ne pouvaient pas trop abuser puisque les manifestant-e-s étaient venu-e-s devant l’Hôtel de police pour me soutenir. Enfin un des policiers du bureau en face est sorti avec des photos de tags fraîchement imprimées. Il y en avait plusieurs, tous rouges comme le marqueur qu’ils avaient gardé. Le policier m’a dit : « C’est toi qui a fait ça, est-ce que tu comprends ce que je te dis ? ». J’ai failli tomber dans le piège. J’ai dit « oui », mais j’ai vite rajouté « je comprends ce que tu dis ». Ensuite j’ai décidé de ne plus échanger avec eux. J’ai fais un monologue listant les chanteurs francophones que j’aime. « J’aime Céline Dion. J’aime Michel Sardou… » Je disais. Ils aimaient moins Michel, mais peut-être ont-ils raté son plus grand époque. Le policier qui tentait de m’interroger essayait de me persuader qu’il fallait que je dise que j’ai fais les tags pour que je soit traitée. Et comme ça je retrouverai ma « liberté » plus rapidement. Je n’y ai pas cru. J’ai continué à lister. Un autre est sorti du bureau en me demandant : « Tu ne veux pas parler avec nous c’est ça ? » Là, j’ai répondu : « Non ». Ils sont tous les deux ré-rentrés dans le bureau. J’ai rechanté Céline Dion. Le policier qui était resté tout ce temps à me surveiller a sorti son téléphone -caméra. Je lui ai dit que ce n’était pas un spectacle et j’ai arrêté de chanter. Puis un policier est ressorti du bureau pour me dire que je partais. J’ai redemandé une énième fois si j’étais en garde à vue, s’ils me rendaient ma pièce d’identité… Ils m’a dit qu’il m’accompagnait dehors et qu’il m’y rendrait mes papiers. Je l’ai suivi. Il m’a accompagné en dehors du dispositif policier protégeant le bâtiment. J’ai revu un des flics qui m’avait arrêté dans la rue. Je leur ai tou-te-s dit à bientôt. Des amis m’attendaient là…

On ne m’a rien fait signer et je n’ai aucune trace écrite de leur part de ce garde à vue in-officiel. C’était purement du harcèlement et une tentative pitoyable d’en rajouter dans leur paperasse et faire une condamnation gratuite. Je regrette de ne pas avoir demandé un procès verbal de leur part. Je voudrais voir le dossier qu’ils ont commencé, ce jour là, sur moi… Ce n’était pas grand chose, pas bien méchant ; mais je garde cette expérience. Ça ne m’aide pas à dormir tranquille. Et j’ai d’autant plus de raison de ne vraiment pas montrer ma tête en manifestation. Il y en a qui l’ont bien vu, et, le jour où ils-elles ont l’occasion (sans prendre trop de risques bien sûr, et bien caché-e-s derrière leurs uniformes et leurs armes), ils-elles se feront un plaisir de l’amocher.