Il est là depuis déjà plus de deux semaines
P’tit bonhomme bedonnant qui se voudrait débonnaire
Fausse bonhommie…
De celle qui vous dit avec un clignement d’œil :
Quand même faut bien l’avouer, ces noirs, ils sont bien plus lents que nous !

Quand même, y’a rien de tel qu’une bonne partie de chasse quand on aime la nature !

Oui : …

J’ai essayé de discuter, d’argumenter, de m’adresser à la “bonté humaine” que je me persuade de trouver dans chaque être.
Mais il était sur le rebord de la fenêtre, à cheval sur son destrier d’homme-qui-sait
(non, je n’ai pas songé à le pousser, paire d’yeux malicieux qui passe par là, je n’ai même pas cette satisfaction là !)

Il était sur le rebord de ma fenêtre à débiter ses amoures nauséeuses, de chasse, de tauromachie, à asséner sa virilité en s’amusant de l’effet produit sur la femme assise derrière lui.
Il travaillait à ma fenêtre, dans ma caverne précieuse, dans cet antre où je ne tolère que très peu de visites, dans ce drôle de foutoir totalement intime…
Il changeait ma fenêtre et contrôlait mon univers.
Le deuxième jour je me suis enfuie.

Le temps a passé et je me suis énormément questionnée sur ma capacité à vivre à côté de l’Autre, le différent, l’extrémiste qui provoque en moi un rejet extrême.
Sur ma capacité à supporter l’invasion, aussi.

Il est revenu :
Il est là depuis déjà plus de deux semaines.

Là il refait tout l’immeuble, à lui tout seul. Avec sa suffisance, il attaque de tous côtés, impose sa présence et son rythme.
Il repeint, cache la misère. Rien n’est fait pour traiter en profondeur. Il bâcle les finitions et s’en moque allègrement.
Si je faisais trop bien mon travail, je n’aurai pas à repasser ! C’est que je dois penser à mon avenir ! Qu’est-ce que vous croyez ! Il m’avait dit. 
Mais alors, la mamie qui vous embauche, vous l’arnaquez ? J’avais répondu.
Oh vous savez, elle, elle s’en moque, elle vérifie pas !
Nausée…

Il est revenu.
Avec la toute puissance de ses outils et de ses clefs plein les poches et de ses pognes serrées par dessus.
Il a surement un pass. Coup au coeur.
Il envahi tout l’espace, le sonore, le visuel.
Il a même, histoire de bien marquer son territoire, donné un grand coup de rouleau sur le visage, lumineux, que j’avais laissé dans le hall.
Sur la douceur de Nadège…
Place au bonheur, qu’elle s’appelait, cette affiche.
Place à la désolation en la trouvant, gisant au sol.
Il a peint par dessus mon nom et mon non à l’envahissement de la publicité.
Il a débordé sur mon identité à ma porte.
Il abîme tout. Normalise tout.
Tue tout.

Oui, c’est lui qui vient aussi, deux fois, l’an, passer un produit qui décime les herbes et les escargots de la cours.
Il est là depuis déjà plus de deux semaines…

On frappe à ma porte.
Panique.
La rythmique de mon cœur, qui déjà vacille à chaque fois que j’entends sont travail, s’emballe dans tous les sens.
Frappe encore.
Je ne veux pas lui ouvrir, je ne veux pas le voir, l’entendre.
Hors de question d’entrebâiller la porte de mon intimité.

Bruit de métal sur les graviers.
Non, il ne va pas ?
Voix masculines qui se répondent…
Et là, surgit à ma fenêtre un autre homme.
Juste le temps de me planquer derrière mon bureau et mon salvateur tas de fringues que je devais ranger justement aujourd’hui !
Il reste la lumière, au dessus de ma tête, qui ne lui échappe pas.
C’est GdF, madame, ouvrez, je sais que vous êtes là !

Oh mon cœur, tais-toi, ils vont t’entendre. Tu me fais mal à chamader comme ça.

Madame, ouvrez, on vous voit !
Non, tu ne peux pas me voir puisque je te refuse.
Tu n’entreras pas faire ton relevé, ni changer mon compteur. Il marche très bien mon compteur.
Tu n’entreras pas couper l’énergie que je n’arrive pas à payer mais dont j’ai besoin pour me chauffer et me laver…
Tu n’entreras pas parce qu’il est là, parce que vous êtes deux hommes, parce que vous prenez une échelle pour tenter de pénétrer chez moi.
 
L’homme de GdF est reparti.

Lui il est encore là.
J’ai peur à chaque bruit.
Depuis plus de deux semaines.

C’est le printemps.
Les oiseaux chantent.
La trêve hivernale est finie.
Ils vont frapper à combien de portes ?