Nous sommes des participantEs de cette manifestation comme de son processus d’organisation en assemblée. Nous n’acceptons pas que les mots prémâchés des médias nous volent la mémoire de cette journée. Nous ne succomberons pas aux pressions, chantages et envolées dramatiques de politiciens qui veulent nous diviser et nous voir disparaître. A nous d’écrire notre histoire.
Voici un récit de cette journée.
Espérons que milles autres recouvrent les murs de la métropole nantaise.

Ce 22 février, la journée commence fort tôt pour pas mal d’entre nous : pour ceux et celles venues de partout dans une soixantaine de bus, pour les tracteurs qui convergent lentement vers la ville.
Dès midi, des cantines accueillent les premières arrivées pont Morand. Depuis la veille la préfecture met en place des grilles anti-émeutes partout autour du centre-ville qu’elle a choisit d’interdire aux anti-aéroports. L’hélico survole.
Des nantais nous témoignent qu’il leur est interdit de rentrer chez eux. Il y a des contrôles et fouilles un peu partout. Au coin d ‘ une rue, une personne se fait piquer la binette avec laquelle elle est venue défiler.

13H. C’est l’heure du rendez vous. Les tracteurs venus en 5 convois immenses se garent square Daviais, après avoir fait un tour sur le périph’ et devant l’aéroport de Nantes Atlantique. Ils sont trop nombreux pour suivre la manif : 520 tracteurs, une file de plus de 3,5 kilomètres, c’est une mobilisation paysanne sans précédent dans cette lutte.
On peut lire « tracteur vigilant » sur pas mal d’entre eux : c’est le signe qu’ils sont prêts à revenir sur la ZAD pour empêcher des travaux, pour défendre les maisons et les champs.

Face à la préfecture, les personnes affluent. Un groupe vient par l’Erdre sur un radeau affublé d’une banderole « résistance et sabordage ! », il dispose des drapeaux sur flotteurs au beau milieu du cours d’eau. Une personne grimpe dans un arbre, sous le nez de la pref et commence à y construire une cabane, chantier qui se poursuivra pendant quelques heures. On voit arriver des chars : une salamandre de 15m, un tracto-triton géant, une énorme marionette… Et encore des tracteurs et puis de très nombreux masques d’animaux, marquants le refus de la destruction des espèces et des « mesures de compensation ». On se délecte des centaines de panneaux faits main avec des slogans aussi drôles qu’imaginatifs. Une immense banderole dénonce les « GPII » : les grands projets inutiles et imposés et certainEs tournent désespérément pour trouver un endroit ou poser leur banderole. Rares sont les manifs rassemblant autant de monde et autant d’initiatives si créatives et variées.

Une prise de parole rapide annonce que même si le préfet a l’air d’avoir peur de nous, « ça ne va pas nous empêcher de manifester », et c’est le départ.
Nous sommes des dizaines de milliers, c’est la plus grosse manif anti aéroport à ce jour et personne dans la ville ne peut ignorer sa présence. Et ça fait du bruit : batukada, groupe de rap, fanfare, techno et musique traditionnelle, prises de paroles…
Au square Daviais une centaine de tracteurs redémarrent et s’improvisent un parcours à l’ouest et au nord de la zone que le préfet nous a interdite.

Côté piéton, tout au long du défilé, pas mal de monde s’emploie à donner une autre couleur à la ville : du marqueur à l’extincteur rempli de peinture, en passant par les oeufs de couleurs, affiches, sprays et pochoirs. La mairie, un tribunal, un commissariat, des caméras de vidéosurveillance, les grilles anti-émeute et les flics qui les accompagnent sont ainsi redécorés. Rue de Strasbourg, entre 2 échafaudages, une banderole géante se déploie, en solidarité avec la lutte « no TAV » du Val de Suza, en solidarité avec Chiara, Matteo, Claudio et Niccolo incarcérés suite à une attaque du mouvement contre le chantier de ligne TGV Lyon-Turin.

Sans surprise, le commerce Vinci immobilier focalise la colère et ne survit pas au passage de la manif. Au fil du défilé, l’enseigne se fait peindre, puis ouvrir, puis repeindre, puis casser, puis vider de son mobilier. Elle servira à la fin de la journée de décor pour photo de manifestantEs en famille avec panneaux et caliquots.

Plus loin, des machines d’un chantier Vinci sont incendiées. Face aux flammes, les réactions sont diverses : certainEs désapprouvent et on entend aussi des « bien fait pour eux ! »

Les trains sont bloqués par des chaussures balancées sur les caténaires pour dénoncer le rôle de la SNCF dans la construction de la ligne LGV en Val Suza.

Le cortège continue, et ne s’arrête pas square Daviais, comme pouvait s’y attendre la préfecture. Tracteurs en tête, direction : l’île Baulieu ! Sur le pont, les flics n’insistent pas face à notre détermination et libèrent le passage. À ce moment, la queue du cortège n’a toujours pas décollé de la pref. Au milieu, des gens s’arrêtent devant les grilles anti émeutes qui bloquent les 50 otages (parcours initialement prévu) et frappent sur ces grilles. Rapidement, on en vient aux projectiles divers contre lacrymos et canons à eau. La manif s’immobilise l’espace d’un instant, léger flottement face au dispositif policier, vapeurs de lacrymos et interrogations diverses.
Quelques paysans prennent leur courage à deux main afin d’aller chercher les tracteurs garés face aux grilles, entre caillasses et lacrymos. Le cortège se divise spontanément en deux, une partie passe face aux grilles, l’autre emprunte une rue adjacente.

Entre commerce et square Daviais cohabitent une ambiance de guérilla urbaine et un joyeux rassemblement festif : bars, bouffes, concerts, prises de paroles…
Différents groupes affirment, chacun à leur manière, leur détermination. Des paysanNEs qui creusent une mare, aux cagoulés qui jettent des pavés en passant par les clowns qui miment des mouvements d’avion devant les lignes de CRS. Il y a entre nous des débats, parce que les affrontements se poursuivent à quelques centaines de mètres, ce qui nourrit de passionnantes discussions, ponctuées par les détonations de grenades assourdissantes…

Côté affrontements, plusieurs routes sont prises par des barricades. À quelques dizaines de mètres de celleux qui dépavent ou lancent des projectiles sur les flics, des centaines de personnes regardent, discutent, applaudissent ou crient, reculent lorsqu’il y a trop de gaz et reviennent aussitôt. Des vitrines et du mobilier sont pétés. À 18H, la fin du rassemblement est annoncée, les derniers tracteurs plient bagage, les installations diverses sont démontées. Les flics avancent, repoussant les quelques milliers de personnes qui trainent la patte pour dégager la place.

Ce que nous voulons dire de cette journée, c’est que tout ce qui s’est produit pendant cette manifestation n’a pas été consensuel. Cette manif peut soulever des malaises ou désaccords autant qu’un enthousiasme débordant. Pour autant, nous n’avons senti à aucun moment une foule paniquée ou divisée, mais bel et bien un mouvement commun. Un mouvement fait de diverses manières, diverses pratiques, diverses croyances, où la colère prend des formes variées, où les débats ne cessent jamais, où les idées se confrontent et se façonnent.

Une telle démonstration de force n’a évidemment rien pour plaire au gouvernement ni à la préfecture, qui mènent la guerre sur le terrain de l’information, agitant l’épouvantail des « violents casseurs » et de « l’ultra gauche », cherchant à fracturer le mouvement, à attiser la peur. Ce n’est pas la première fois dans notre histoire. Cela ne nous a jamais empêchéEs de rebondir et de nous renforcer.

La chape de plomb que le pouvoir essaie de faire tomber ne nous fera pas oublier la force de cette journée, la joie et la colère partagées, l’expression de la diversité du mouvement, la présence de tant de monde, le fourmillement des initiatives, qui ont rendu ce moment tellement vivant et intense.