Lorsque cette brochure a été rendue publique, il y a 5 ans, j’avais écrit un premier texte, sous le coup de l’émotion. Probablement maladroit, sûrement incomplet, il a depuis disparu dans les limbes du net. On m’a ensuite conseillé de laisser l’histoire suivre son cours. Le fait est que je reconnais que le déroulement de la soirée et de notre rapport est plutôt honnêtement relaté. Ensuite, les conclusions ou le reste de l’analyse étaient pour moi assez claires. Je pensais sincèrement que les gens pouvaient se faire leur idée en la lisant. Et c’est ce que je conseillais à tous les gens qui venaient me demander des informations ou qui voulaient entendre ma version des faits. « Lisez la brochure et dites-moi ce que vous en pensez ».

Dans sa brochure elle relate les faits ainsi :

« On y va. J’avais un peu la pression mais je le trouvais beau et marrant. Et puis chez moi, on s’est déshabillés, tripotés, je n’osais pas lui dire que j’avais un peu peur ; je voulais que la « première fois » se passe vite, sans chichi, parce que beaucoup de mecs tirent une gloire ou une fierté de dépuceler une fille. Et je ne voulais pas ça. J’étais angoissée, et puis à cette époque je connaissais très mal mon corps, surtout mon vagin, j’étais incapable de me détendre. Il met une capote. Elle était mal lubrifiée et ça me faisait mal avant même qu’il rentre. Je lui ai demandé d’enlever la capote, ça m’irritait trop. Il l’a fait.

On s’est frottés un peu, lui me serrait (j’étais écrasée sous lui), je ne savais pas trop quoi faire, je lui disais d’aller doucement, je gémissais pas mal, le repoussais mais l’embrassais. J’attendais que ça arrive. Mais quand j’ai senti que ça allait arriver, j’ai eu très peur, je ne voulais plus, j’aurais voulu qu’il s’arrête. J’ai dit non, sans grande conviction, mais je l’ai dit. Pas très fort, mais plusieurs fois.

Et puis il m’a pénétrée, sans que je m’y attende, un peu comme quand un médecin fait une piqûre en disant « tu vas voir, tu vas rien sentir » ; j’ai eu assez mal. Je crois qu’il a joui pas très longtemps après. Je crois qu’après on s’est endormis. J’étais soulagée, enfin dépucelée ! On s’est réveillés, j’aurait voulu qu’on discute, qu’on soit peut être potes…

Il est parti après avoir mangé un yaourt, m’a dit un truc genre « salut c’était sympa, à la prochaine ». Je l’ai vu se barrer dans les escaliers, me laissant toute seule comme une conne, dégoûtée de me faire planter si vite…
J’ai été au toilettes pisser, j’avais trop mal, comme si j’avais eu des bleus autour du vagin. Je me suis sentie trop nulle et trop seule. L’idée que j’avais été violée m’a traversé l’esprit, mais je me disais que ce genre de chose ne pouvais pas m’arriver, moi si forte et grande gueule et vigilante. Et puis lui était cool et anti sexiste et végan, alors… »

Plus loin dans la brochure elle revient sur ce moment et écrit :

« Ce garçon, je l’ai dragué, je l’ai ramené chez moi, et je me suis mise au lit avec lui. Oui j’avais envie, mais « je ne l’avais jamais fait », bref j’étais vierge et je lui ai dit. J’avais pas envie d’en faire un tout un plat, parce que je n’ai jamais cru dans une histoire de prince charmant, qui vient cueillir ma fleur, mais j’avais un peu peur que ça me fasse mal. Bon, il met une capote, et je ne sais pas si elle était pas assez lubrifiée, ou si c’était moi, mais ça me faisait mal. Genre ça chauffait. Je lui dis de l’enlever. Ce qu’il a fait. En y repensant, je me dis que je n’ai même pas osé dire : j’ai mal, on arrête ; j’avais mal mais je ne voulais pas me dégonfler, j’ai préféré me mettre en danger. Finalement, il m’a pénétrée, sans la capote, alors que j’étais sous lui et que je lui disais « attend, attend, aïe, aïe ». Je ne sais plus si je lui ai dit non, mais j’étais assez paniquée, et ça m’a fait très mal quand il est entré. Heureusement ça n’a pas duré très longtemps, il s’est très vite retiré, juste avant d’éjaculer. Je crois qu’on a du s’endormir juste après, vu qu’on était bourrés. » 

Ma version des faits est relativement similaire. Cette jeune fille m’a dragué à un concert, que je venais de faire avec mon groupe, puis m’a ramené chez elle. Nous nous sommes mis au lit, nous nous sommes enlacés, nous nous sommes frottés. Elle m’embrassait et m’a dit qu’elle préférait que je la pénètre sans capote. Nous avons donc couché ensemble. C’était maladroit, mais à aucun moment je n’ai entendu « non ». A aucun moment cette personne m’a fait comprendre ce qu’elle ressentait, son angoisse et son désir de ne pas aller plus loin.

Je ne vais pas faire d’analyse personnelle, je vais simplement reprendre ses termes, elle a voulu « se mettre en danger » et a fait quelque chose qu’elle ne voulait pas faire.  Ou, du moins, qu’elle a amèrement regretté ensuite.

En prenant ça en compte je peux entendre qu’elle se soit sentie violée. Comme elle l’explique, elle s’est forcée à faire quelque chose qu’elle ne voulait pas faire, elle s’est mise « la pression » parce qu’elle voulait être « à la hauteur »… Le reste du texte, finalement, n’est qu’une succession de digressions sur le sexisme ambiant ressenti par une jeune fille. Un sentiment visiblement alimenté par mon attitude. Je passerai sur les commentaires sur le fait que je me sois sauvé le lendemain matin, après mangé un yaourt. Elle savait pourtant que j’allais rejoindre mes camarades quelque part dans Paris et qui m’attendaient pour que nous puissions rentrer à Pau, à plus de 800 km de là alors que plusieurs embauchaient le lundi matin. Je passe également sur le fait que je ne l’ai pas, ensuite, accueillie chez moi comme elle l’espérait. A ce moment-là j’avais du travail, j’allais recevoir des gens et j’étais occupé lorsqu’elle débarqua sans prévenir, avec armes et bagages pour s’installer chez moi. Je n’ai jamais considéré qu’il s’agissait d’un vulgaire « trou », mais il était évident dès le départ qu’ils s’agissait d’une relation sans lendemain. J’ai été aussi agacé par le fait qu’elle ait contacté l’autre chanteur du groupe qu’elle avait rencontré au concert et qu’elle ne connaissait pas pour se faire emmener chez moi et me mettre devant le fait accompli.

Je sais que parfois on n’est pas forcément très élégant, et qu’il arrive que certains gestes soient vexants. Ce débarquement chez moi et mon refus de l’accueillir sont une chose. Le sexisme et le patriarcat en sont une autre. Je ne vais pas porter tout le poids du sexisme de notre société sur mes épaules pour cette raison bien que certainEs peuvent penser qu’en tant que garçon, je suis forcément coupable…

« En y repensant, je me dis que je n’ai même pas osé dire : j’ai mal, on arrête »

Lorsque je lis ça, je me demande comment j’aurais pu comprendre ce qui était visiblement encore très confus pour elle à ce moment-là. Si j’entends l’expression d’un traumatisme qui se dégage de cette histoire, je me pose une question sincèrement : qu’aurais-je dû faire ? Comment aurais-je pu comprendre ce qui se passait ? Je ne l’ai pas agressé, mais je lis qu’en se laissant faire, elle se serait laissé agresser. Pourtant je n’ai pas forcé le rapport, je me suis retrouvé au lit avec une jeune fille qui souhaitait coucher et qui a couché avec moi. Qui m’a dit « j’ai mal » et qui en lieu et place d’un « arrête » m’a dit « enlève la capote », tout en continuant à m’embrasser. Alors, est-ce que j’ai manqué d’attention à ce point pour ne pas comprendre que cette fille, finalement, sans me le dire et au-delà de son attitude, était en train de paniquer ?

La situation est compliquée. Je pense à ces gens qui sans vraiment connaître la situation me pointent du doigt et m’accusent d’être un monstre. Ont-ils seulement conscience de la complexité de la situation ? Cette fille décrit le poids du patriarcat et du sexisme ambiant qui l’a amenée à se comporter ainsi pour suivre ces schémas. Faire ce qu’au final la société patriarcale attendait d’elle. Est-ce que je dois endosser cette responsabilité ?

Si sur la première partie de la brochure, en tant que lecteur, je suis le témoin impuissant de la narration d’un trauma, rapidement le ton change. Il devient une charge contre la société et contre le sexisme dans les milieux militants. A partir de ce moment-là, on quitte le ressenti personnel pour verser dans la généralisation et la banalisation d’une accusation aussi grave que sans aucun fondement : « M. Le punk violeur »

Elle explique : « Je me rappelle très très vaguement d’une discussion, une fois. Une copine parle de M., le punk qui m’a violée quand j’avais 18 ans. Elle raconte qu’il a été limite avec sa copine, qu’il est pas clair avec les filles. Je crois qu’elle prononce le mot viol. Je ne me rappelle plus exactement ce qu’elle a dit. Ce que je me rappelle très précisément, c’est d’avoir pensé très fort « ce mec est un violeur, et il m’a violée moi aussi », et juste l’instant d’après « mais non enfin, tu tripe ». Et j’ai fini par lâcher, en me sentant totalement conne : « oh ça craint, t’es sûre que t’es un violeur… c’est le premier mec avec qui j’ai couché ». Point. »

Elle se rappelle très très vaguement une discussion où peut être le mot viol a été prononcé ? Ce que j’ai fait à elle, je l’aurai donc fait à d’autres ? Ce n’est plus « je me suis mise en danger » en couchant avec lui, c’est « je suis victime d’un agresseur, d’un prédateur sexuel qui passe de victime en victime ».

Mais sur quels fondements ? Aucun. Rien. Du vent. Il n’y a strictement rien du tout. Et sur ce rien, on construit une accusation : violeur en série. Le pire ? C’est que je serais, comme elle dit, très bien vu dans les milieux squats et punks… Pire que si j’avais été mal vu ?  Non, bien sûr. Ce que ça veut dire c’est qu’une fois entendu le fait que je sois un violeur en série, l’accusation se projette sur la scène. Sur mes proches et mes amis. Ils soutiennent et protègent un violeur en série. Ils protègent l’infâme bras armé du patriarcat.

Depuis quelques années c’est ce que je subis. La plupart des gens que je connais ont lu la brochure et ont tiré leurs propres conclusions. Et ils sont restés mes amis.

Aujourd’hui j’entends des choses un peu partout : à Lyon on explique aux gens pour qui je viens de dessiner une affiche que j’ai violé des filles à Lille, en Rhône Alpes… Avant que la personne ne se rende compte que « oups », elle a confondu avec quelqu’un d’autre. Je me renseigne, je me rends compte que c’est pas la première fois que cette « méprise » arrive. Les gens confondraient les histoires. Je ne vais pas resortir de vieilles histoires, mais certainEs doivent se souvenir qu’à Lyon, il y a déjà eu des précédent à ce niveau là. Il semble qu’aucune leçon n’en ait été tiré.

Mais c’est pas grave, l’idée est là. Je suis un prédateur sexuel, comme si ça avait été démontré, sur des faits précis, clairs. Irréfutables. Bien qu’elle soit complètement infondée, cette assertion veut faire de moi une menace, une ordure finie. Le problème dépasse la soirée racontée au début de la brochure, il devient la préservation du milieu contre les agresseurs. Lorsqu’au CCL à Lille on m’a refusé l’entrée alors que j’étais le chauffeur de la Fraction qui devait jouer ce soir-là, c’est ce qu’une personne m’a dit. « Tu sais, il y a des filles au CCL, on ne peut pas te laisser entrer ».

Pour ceux ou celles qui seraient perdus, je vous invite à revenir au début de ce texte pour vous remettre en tête de quoi on parle et ce qu’on me reproche.

Lorsque cette brochure est sortie, j’avais écrit un texte, peut être maladroit, mais écrit sous le coup de la panique, ne sachant pas vraiment comment réagir devant la détresse et l’animosité de la personne qui m’accusait. Et puis je me suis dit que le mieux c’était peut-être de rester discret. La brochure, finalement, exprimait son ressenti. Même si j’étais outré par certaines conclusions issues d’un cheminement intellectuel que je trouvais plus que discutable, c’était sa parole. Lorsque des gens me demandaient des explications à ce sujet, je les renvoyais donc vers cette brochure. Lis, tu te feras ta propre idée.

Puis j’ai commencé à deviner ici ou là une sorte de gêne. Prendre position contre ce texte, ou me soutenir, ou travailler avec moi, n’est-ce pas aller contre la voix des victimes ? Dans un cas comme un viol, la parole de la victime est sacrée. Elle doit être reconnue, protégée. J’ai eu des amies très proches qui ont subit des violences sexuelles, j’ai vu ce que le déni, l’absence de formulation, la pression familiale ou autres pouvaient provoquer. J’en ai été témoin. Mais là, en l’occurrence, en temps qu’accusé « agresseur », je n’arrive pas à me reconnaître comme un agresseur. Et ce n’est pas ma parole contre la sienne. Car ma parole, dans la description de l’acte, rejoint la sienne.

 

Depuis que cette brochure a commencé à circuler, je pense que tous les gens avec qui je bossais ou avec qui j’étais en contact en ont pris connaissance. Ils l’ont lu, et ils se sont fait un avis.

Lorsqu’on m’a contacté pour réaliser une affiche pour un festoche antifa à Lyon, j’ai expliqué directement la situation, en renvoyant les organisateurs vers la brochure. C’était trois mois avant le festival, le premier Septembre, contrairement à ce que dit leur texte« d’excuse » publié suite aux pressions qu’ils ont reçus. Les lyonnais se sont concertés, ont contacté des gens ici et là et ont à l’unanimité décidé de garder l’affiche. En pleine connaissance des faits. Aujourd’hui, suite aux pressions qu’ils ont reçues, ils ont dû abandonner le visuel, contraints d’avouer dans un texte qu’ils avaient fait « une erreur politique ». Une fois de plus, je ne peux que constater l’hypocrisie d’une partie de la scène qui en privé m’assure de son soutien et de son amitié, mais qui n’ose affronter en public les invectives de certainEs, de peur de rejoindre le camp du bras armé du patriarcat. Je n’ai pas besoin d’expliquer pourquoi ce double discours est gênant pour tout le monde.

« Une erreur politique »… Depuis 2008 j’ai dessiné pour les derniers numéros de Barricata, j’ai fait des affiches pour les antifas rennais (Skuds), brestois (pour qui j’ai réalisé l’affiche d’un festival, une pochette de disque), marseillais (O’bundies), pour General Strike, pour l’orga anarchiste La Digne Rage ou pour des assos normandes comme Punk Shadow. Je m’occupe du site internet de La Fraction, Tapage m’a dessiné dans une BD de Peutit Keupon pour illustrer le journal militant A bloc ! J’ai été invité à faire une fresque aux Tanneries pour Maloka, sans compter les gens que j’ai reçu chez moi ou les groupes pour lesquels j’ai dessiné ou travaillé d’une manière ou d’une autre (Heyoka, Pizzza…)

Tous ces gens, je leur demande sincèrement, vous aussi vous avez fait des erreurs politiques ? Comment vous situez vous lorsqu’on parle de vous dans ces termes : « Laisser un agresseur libre de s’exprimer, dans un contexte patriarcal, équivaut à une caution morale que nous condamnons. Dans les faits, cette liberté d’expression n’encourage pas les agresseurs à se remettre en question et dissuade les victimes de parler. Ce schéma, que nous combattons, reproduit parfaitement celui véhiculé par le système patriarcal actuel et par les projets de société prônés par les fascismes. » Comme des « féministes atterrées » l’ont diffusé récemment sur indymédia ? Vous êtes le bras armé du patriarcat, et défendez-vous, vous aussi, un projet de société prôné par tous les fascismes ?

Si je gueule et nie les accusations, c’est la parole de l’agresseur qui tente d’étouffer celle de la victime. C’est forcément odieux. Si je dis rien et que je laisse couler, j’ai vu que je devenais le bouc émissaire d’une lutte qui visiblement cherche des cibles. Lorsqu’on me raconte que des anarchistes lyonnais expliquent que dans cette situation, coupable ou pas, je dois me taire et disparaître parce que sinon ça reviendrait à mettre en cause la parole de la victime, et que c’est impossible dans une histoire de viol. Est-ce que les gens se rendent compte de ce que ça sous-entend ? Retournez au début de ce texte,  relisez ce qu’on me reproche, et posez-vous la question. 
De nombreuses personnes m’ont répété la même chose « On comprend, tu n’as pas violé cette fille, mais tu ne peux pas l’empêcher de le dire, il n’y a pas de solution ». Ou alors un jour quelqu’un me dit « on reste des amis, mais tu comprendras que je ne te salue pas en public »… 

C’est ça que la scène à a proposer contre le système judiciaire bourgeois ? Après 20 ans à bosser dans la scène, à être ce que je suis, tout est balayé à cause de cette histoire.  Le texte d’indymedia explique que je suis forcément un sexiste, je l’ai été, je le suis, je le resterai à vie. Déterminé, condamné à ne vivre qu’avec cette étiquette… Une poignée de personnes décident ainsi qui est coupable, qui doit être banni. De mon point de vue, j’ai du mal à y voir autre chose qu’une idée étrange de la justice et des rapports entre les gens dans un milieu libertaire.

Lorsque je fréquente une fille, c’est pour un échange sincère, honnête. Alors si, il y a 14 ans, quelque chose à dérapé d’une manière ou d’une autre, si je n’ai pas été capable de comprendre la situation ou de voir ce qu’il se passait, et même si j’ai du mal à imaginer comment j’aurais pu le voir, le savoir ou le comprendre, j’en suis sincèrement désolé. Mais je ne peux me résoudre à la contrition que certainEs demandent. Pas lorsque cette histoire dans ses détails et ses doutes laisse place à la figure monstrueuse du violeur en série.

Les gens que je connais, à Paris, Lyon, Marseille, St Etienne, Dijon, Lille, Bayonne, Rennes… ne m’ont jamais regardé comme un violeur. J’ai eu de nombreuses discussions avec beaucoup de gens, filles ou garçons. Des discussions intéressantes, sur l’acte en lui-même, mais aussi et surtout sur cette brochure et sur ce que ça a provoqué. Ce que ça dit pour notre milieu… Est-ce qu’on n’y gagnerait pas tous à rester sur ce terrain, plutôt que de verser dans la menace, ou l’invective ?

L’année dernière, en allant à un concert au CICP, cette personne et trois amies à elle m’ont sauté dessus par derrière pour me chiper ma casquette en hurlant « A l’agression ! » C’est comme ça que ce genre de problèmes doit se régler ? Cette fille ne veut pas me croiser, fort bien, je comprends. Et j’ai pris mes dispositions. On ne se croise pas, plus… Mais je ne peux pas disparaître purement et simplement.

Lorsqu’est sortie cette brochure, je lui ai envoyé un mail pour lui proposer de se rencontrer [1], d’en discuter. C’était peut-être maladroit, mais j’ai cru que ça pourrait être possible… Je ne sais pas, peut-être par l’intermédiaire d’un ami commun.  J’ai peut-être sous-estimé la portée du traumatisme qu’une fille peut vivre lorsqu’elle s’impose elle même un rapport, alors qu’en fait elle n’en voulait tout simplement pas. Je n’ai jamais eu de réponse. Des gens qui parlent beaucoup, qui m’accusent, jamais personne n’a cherché à m’en parler directement, à me demander comment je voyais les choses, est ce que je reconnaissais les faits… Est-ce que je reconnaissais la douleur ? Est-ce que ça voulait dire quelque chose pour moi ? Les relations entre les gens devraient être basées sur des choses positives. Parfois, ça rate. Mais l’intention de nuire c’est autre chose. Sans intention de nuire, ai-je fait du mal à cette fille ? Si j’écoute ce qu’elle dit ça me semble évident. Pourtant il m’est impossible de repenser à cette histoire comme une agression. J’ai rencontré une fille, elle avait l’air sympathique, on a discuté. Puis on est allé plus loin, on s’est embrassé. Elle m’a ramené chez elle, on s’est déshabillé, elle m’a emmené dans son lit, caressé, embrassé. Lorsque le rapport a eu lieu, elle ne m’a pas dit qu’elle voulait qu’on s’arrête, relisez ce qu’elle dit, elle a eu mal et m’a demandé d’enlever la capote…

Comment dans ces conditions me situer vis-à-vis du traumatisme raconté dans cette brochure ? Comment comprendre mon attitude pour travailler dessus et tout faire pour que jamais ça ne se reproduise ? Comment faire ça lorsque des anonymes me traitent de violeur en série. Quand je suis réduit à être présenté comme un prédateur sexuel qui hante la scène à la recherche de proies et qui a forcément une vision du monde profondément sexiste.

Ces « féministes atterrées » qui ont harcelé les camarades antifas lyonnais expliquent que « On ne peut donc pas espérer de sa part une représentation non sexiste d’une femme ». Véritable monstre gluant du patriarcat le plus ignoble, j’ai osé représenter sur une affiche pour unfestival antifa une fille et un garçon côte à côte. Le type tient un fumi, la fille une batte. Scandale, « la fille porte une jupe, ses formes son mises en valeur grâce à un débardeur, elle a un casque et une batte participant au folklore antifasciste, alors que le mec est représenté sans aucun attribut viril notable ». Scandale, la fille a des seins… J’ai dessiné une fille en débardeur. Dans une posture sexy ou équivoque ? Non, j’ai simplement dessiné une fille, en débardeur, et en jupe ! De plus, j’ai fait l’erreur d’utiliser le folklore antifasciste (représentant deux personnages prêt à en découdre dans la rue) pour un festival… antifasciste. Bref, l’accusation que je dois assumer détermine à vie l’ordure que je dois rester. A vie. Elle conditionne simplement tout ce que je fais comme étant l’expression d’un violeur, d’un sexiste, du patriarcat.

Alors puisque vous avez pris du temps à lire ce texte, posez-vous quelques questions… Quel sens prennent les accusations qui fleurissent un peu partout, depuis des années. Pourquoi, et sur quoi elles reposent… Repensez à ce que cette brochure décrit et repensez à vos vies…

Il y a de nombreuses choses à dire et à penser sur le consentement. Sur ce qu’on s’impose, sur le fait de se mettre en danger pour répondre à ce que la société attend de nous. Ou de ce qu’on imagine devoir faire