Le public bruxellois a assisté le lundi 22 octobre à un débat intitulé : « Intervenir en Syrie ? ». Le débat met aux prises trois intervenants: Pierre Piccinin, professeur d’histoire et de sciences politiques au lycée européen de Bruxelles ; Jean Bricmont, professeur de physique à l’UCL (Belgique) et spécialiste de l’ingérence humanitaire ; et Ayssar Midani, coordinatrice du Collectif pour la Syrie.

Peu avant 19 heures, devant la salle « Studio » du Théâtre National s’amassent les premiers arrivants. Les portes s’ouvrent et les spectateurs commencent à prendre place dans la grande salle. Le décor nous fait voyager en Orient. On a en effet quatre fauteuils recouverts d’un immense voile marron, une grande lampe de style oriental et une théière « marocaine » sur un plateau argenté. Sur fond sonore, de la musique révolutionnaire syrienne (avec par moments des bruits de fond de tirs et d’obus). Pour se mettre dans l’ambiance, un vieux fusil de chasse et une fausse mitraillette font aussi partie du décor de ce débat. Un homme (qui s’avère par la suite être le maître du débat) vient retirer le fusil de chasse pour le mettre derrière les fauteuils, à l’abri du regard du public. Pierre Piccinin fait de même avec la mitraillette factice. La salle est comble et les places manquent pour les retardataires, on leur installe alors des poufs orientaux. Une fois le public installé, le brouhaha s’estompe pour laisser la parole à un des organisateurs du festival.

Il nous annonce que le sujet initial du débat avait connu « des polémiques sur les réseaux sociaux« , et que « dû ou pas à ces polémiques« , le sujet initial avait été changé. Au départ, on devait assister, selon lui, à un « débat mettant en vis-à-vis les logiques militaires et humanitaires. Les négociations, les décisions, les interventions d’un côté militaire ou d’un côté humanitaire, en prenant le cas concret de la Syrie puisque nous sommes en plein dedans« .

Le nouveau sujet portera exclusivement sur l’intervention ou non en Syrie et ce qui se passe actuellement dans ce pays. Et pour cela, d’autres invités étaient prévus. Etaient invités Jamie Shea, Secrétaire général adjoint délégué pour les Défis de Sécurité Emergents au Quartier général de l’OTAN, et Christofer Stokes, directeur général de Médecins Sans Frontières (MSF) à Bruxelles. Le premier a annulé sans donner de raisons alors que le second a dû « partir sur le terrain ». A l’annonce des deux nouveaux invités (M. Bricmont et Mme Midani), Stéphane Goedgebeur (MSF Belgique) boycotte à son tour le débat en raison du « changement du sujet« . Le boycott se fera au niveau de la participation au débat seulement, des membres de MSF seront présents dans le public. Pierre Piccinin reste le seul invité du débat initial à participer.

« La Syrie est un pays qui est très autonome sur le plan de l’alimentation et des médicaments »

La parole est donnée en premier lieu à Ayssar Midani. Franco-syrienne, elle a été interdite de séjour dans son pays natal de 1970 à 1995, sous le règne de Hafez El-Assad. Avant de rentrer dans le vif du sujet, Mme Midani fait un bref rappel de la situation actuelle en Syrie. « La Syrie est un pays qui est très autonome sur le plan de l’alimentation et des médicaments« , nous dit Mme Midani. Depuis 2003, la Syrie est sous embargo américain pour avoir refusé de soutenir l’intervention américaine en Irak. Ce blocus « n’a pas eu de grosses répercutions sur la Syrie« , vu qu’elle est devenue autonome. La nourriture est largement suffisante et le pays produit « 95% des médicaments dont il a besoin« , poursuit Mme Midani. Selon elle, la Syrie voit « une montée du terrorisme« , notamment des attentats à la voiture piégée. Le nombre de kidnappings a aussi augmenté et les routes sont coupées par des « gangs armés, parfois des membres de l’ASL » afin de détourner les camions de fuels « vers leurs campements en Turquie et au Liban« . Ces mêmes gangs armés détruisent les récoltes et les réserves de céréales, ainsi que les usines de production de médicaments.

95% versus 3%

La parole étant toujours à Ayssar Midani, il est question désormais de parler de l’Armée Syrienne Libre (ASL), de sa composition ainsi que de son fonctionnement. Selon elle, l’ASL recrute énormément de salafistes aux frontières turques et libanaises. Elle estime, d’après un article dans le quotidien allemand « Die Welt », que les services secrets allemands évaluent « la proportion des syriens dans l’ASL est de 5% aujourd’hui« . La plupart des combattants sont « afghans, tchétchènes, libyens, tunisiens, libanais, palestiniens, yéménites. Il y a même des français convertis à l’Islam qui partent faire le Djihad« . Selon son témoignage, il y a beaucoup de recrutements de jeunes « entre 15 et 25 ans« .

« Êtes-vous en train de dire qu’il y a une internationale salafiste ?« , lui demande l’animateur du débat. Selon Midani, ça a été même confirmé par un responsable de la CIA basé en Turquie, affirmant « qu’il y a neuf groupes salafistes différents en Syrie« .

Quant à Pierre Piccinin, il dément catégoriquement les propos d’Ayssar Midani. Au vu de ses nombreux voyages en Syrie, il a suivi les « katiba » de l’ASL (ndlr: « katiba », au singulier, signifie en arabe « commando ». Au pluriel, on est sensé dire « kata’ib »). M. Piccinin n’a pas vu beaucoup de ces étrangers dont parle Mme Midani, mais des « syriens qui s’organisent pour lutter contre une dictature sanguinaire qui bombarde sa population [et] détruit la moitié sud d’Alep« . Concernant la composition de l’ASL, M. Piccinin nous affirme qu’elle est composée de « simples citoyens syriens qui se sont organisés dans leurs quartiers« . La plupart des chefs sont des instituteurs et le nombre d’infiltrés étrangers est, selon le témoignage de M. Piccinin, de « 2 à 3%« .

« La Syrie a changé de visage »

Pierre Piccinin se base largement sur ce qu’il a vu sur le terrain pour étayer son propos. Il a en effet déjà effectué cinq voyages (ndlr: il vient de revenir de son sixième voyage au début du mois de novembre). Selon M. Piccinin, la révolution syrienne s’est faite attendre et n’a démarré qu’au mois de mai 2012. Son premier voyage a été effectué au mois de juillet 2011. Il rejoint la Syrie avec un visa touriste, au moment du « printemps arabe ». « Les évènements étaient modérés » selon M. Piccinin. Ses premiers articles à ce sujet montrent que pas grand-chose ne s’y déroule. Il voyage librement avec une voiture de location à partir de Damas, puis se dirige « chez les druzes à As Suwayda, Deraa, vers la frontière irakienne sur l’Euphrate, à Dayr Az-Zawr, puis le long de la côte jusqu’à Alep« . Il n’y a pas d’évènements majeurs mais « quelques violences de la part de manifestants qui s’étaient armés très tôt« . Pierre Piccinin sera accusé par les médias de « partisan du régime« .

Son deuxième voyage se déroule en décembre 2011 sous invitation du régime syrien. M. Piccinin est considéré par le ministère de l’information comme un des « rares observateurs sur le terrain et objectif« . Les autorités lui permettent de voir ce qui se passe à l’intérieur de l’armée du régime et il n’a pas été interdit de prendre contact avec les rebelles. Selon M. Piccinin, il n’y a toujours « aucune révolution majeure » alors que les médias occidentaux parlaient d’une Syrie « à feu et à sang sur base d’images fournies par des opposants qui filmaient des petites manifestations en gros plan, qui faisaient croire à une réaction populaire qui n’existait pas. » M. Piccinin remarque par contre les grandes manifestations de centaines de milliers de personnes en soutien au régime dans des villes comme Alep ou Damas.

Le troisième voyage, par contre, se déroule mal. Cette fois, Pierre Piccinin passe par la frontière libanaise et visite plusieurs fiefs de l’opposition. Le 15 mai 2012, il est arrêté par les autorités syriennes pour « manque de visa » en règle. M. Piccinin dément en affirmant qu’il a pris la « précaution d’enregistrer son visa auprès d’un huissier pour le prouver« . Il est emprisonné et voit les cas de tortures dans les prisons du régime. Il a en effet été lui-même « malmené« , puis « expulsé« .

Le quatrième et cinquième voyage couvre la période de juillet et d’août 2012. Cette fois-ci, il reste aux côtés des kata’ib de l’ASL. Selon M. Piccinin, l’armée syrienne utilise ses MIG (avions de chasse) et ses hélicoptères et « bombarde sa population« . Le 21 août dernier, avec son photographe, ils filment « le bombardement d’une distribution de pain organisée par l’ASL. C’était essentiellement des femmes qui étaient venues chercher leur pain avec leurs petits enfants en bas-âge. Je ne suis pas en train de faire du pathos mais c’est une réalité, nous avons toutes les images pour établir, et un hélicoptère de combat a lancé trois roquettes à fragmentation sur ces foules qui attendaient le pain. C’était l’horreur. Des morceaux de corps partout, des membres arrachés, des petits gamins qu’on transportait dans des pick-up à l’hôpital. » Pour les médecins qui soignent les rebelles, ils sont, d’après M. Piccinin, « brûlés vifs » par les partisans du régime.

« Il faut être européen pour croire en la bonté de l’ingérence humanitaire occidentale »

Jean Bricmont, par contre, se questionna sur l’intérêt qu’il y a dans l’opinion occidentale pour la question d’une intervention, ou pas. Il passa aussi au crible la politique globale d’ingérence occidentale. M. Bricmont se positionne clairement contre toute cette logique humanitaire, ainsi que les sanctions contre la Syrie et l’Iran. Au nom de l’indépendance des nations souveraines, il refuse cette pression diplomatique sur la Russie et la Chine. En effet, ces deux pays ne cèdent pas devant les autres pays occidentaux, après s’être sentis trompés au vu du déroulement de l’ingérence en Libye. M. Bricmont se range aux côtés de « la politique des non-alignés et de la Suisse« .

A la question « mais qui s’ingère ? » du journaliste, Jean Bricmont répond que ce n’est « ni la gauche bobo, ni la gauche écolo et encore moins l’Europe » qui ont le pouvoir d’ingérence, mais « c’est uniquement avec l’accord et le soutien crucial de l’armée américaine« . « Cette politique d’ingérence humanitaire est une soumission de l’Europe face aux USA« , rajoute-t-il. Les forces de l’OTAN n’enverront pas d’armées à cause du « fiasco en Irak et en Afghanistan« , affirme Jean Bricmont, « ils repartiront la queue entre les jambes ». La probabilité d’ingérence se fera notamment par « des bombardements avec des drones« , poursuit M. Bricmont. La politique d’ingérence, qui a commencé par la guerre du Kosovo, aurait éliminé toutes les voix pacifistes de l’Europe, et courrait aujourd’hui au désastre. Pour justifier l’absurdité des guerres d’ingérence, il donne l’exemple de la Russie s’ingérant militairement au Bahreïn pour soutenir les opposants au régime. « Ce sera immédiatement la guerre mondiale !« , rajoute-t-il.

Les guerres d’ingérence ont, toujours selon M. Bricmont, des conséquences désastreuses. Premièrement, les morts directes. Il y a eu « des millions de morts au Vietnam, Amérique centrale et Afrique Australe« . Il rappelle que l’embargo et la guerre en Irak ont fait des « centaines de milliers de morts« , et causé l’arrivée de « plus d’un million de réfugiés irakiens en Syrie« . Les guerres d’ingérence auraient aussi des effets indirects : c’est ce qu’il appelle « l’effet barricade« . A chaque fois que les forces américaines attaquent un pays, les autres pays, à titre d’exemple l’ex-URSS, la Russie, la Chine ou l’Iran « s’enferment sur eux-mêmes et s’arment« .

A chaque guerre la tension monterait dans le monde. « Il faut être européen pour croire en la bonté de l’ingérence humanitaire occidentale, parce que eux, ils n’y croient pas« , rajoute M. Bricmont. Il continue en qualifiant la politique américaine de « criminelle et impossible« . Il conclu qu’il ne faut pas s’étonner que les pays « libérés » se retournent contre les Etats-Unis d’Amérique. Il donne en exemple l’assassinat de l’ambassadeur américain à Benghazi et des chiites irakiens qui, après s’être débarrassés de Saddam Hussein, se sont rangés dans le camp sino-russe. De plus, les talibans, qui étaient financés par les américains, ont fini par se retourner contre eux et l’image des USA se dégrade énormément au Pakistan, où ils font des assassinats à l’aide de drones, causant régulièrement des victimes civiles. L’histoire se répète et les américains soutiennent aujourd’hui des groupes d’Al-Qaïda en Libye et en Syrie.

Le maître du débat donne la parole à Pierre Piccinin, en affirmant qu’il est « pour une ingérence en Syrie » mais ce dernier réfute cette affirmation en disant qu’il n’est pas pour une ingérence occidentale, mais désire qu’on autorise des ventes d’armes aux rebelles de l’ASL. Après avoir visité plusieurs pays ayant connu des soulèvements, comme le Yémen, la Tunisie, la Libye, l’Egypte ou le Maroc, Pierre Piccinin constate qu’il n’y a pas de printemps arabe, mais « autant de cas différents qu’il y a eu de révoltes arabes« . C’est dans cette approche qu’il refuse toute comparaison du cas syrien avec l’ingérence en Libye. Pour M. Piccinin, l’UE, les USA et Israël ne veulent en aucun cas « la chute de Bachar« . En effet, les USA et Israël souhaitent un « affaiblissement du régime« , qui doit devenir « plus malléable« . Il rappelle aussi l’étroite collaboration entre les USA et la Syrie en matière de torture de prisonniers de la prison d’Abou Ghraïb et de Guantanamo. M. Piccinin dément absolument tout complot américano-israélien contre le régime syrien en nous affirmant qu’Israël n’a jamais eu de « meilleur allié dans la région que Bachar« . Selon lui, les syriens reprochent à Bachar son affinité avec l’Etat Israélien et les membres de l’ASL « peignent des étoiles de David sur le front de Bachar« .

Réformes sociales et coalition nationale

Au début des soulèvements, le président syrien promet de nouvelles réformes politiques et sociales, ainsi que des élections libres. Lors des élections législatives du 7 mai dernier, des contacts chrétiens et alaouites de Pierre Piccinin lui parlent déjà d’élections manipulées. Bachar El-Assad manque à ses promesses de changement, marquant le début des insurrections syriennes et une perte de confiance d’une partie de la population envers leur président. Ayssar Midani, quant à elle, revient sur le changement de Constitution, qu’elle estime d’important dans les avancées politiques. De plus, selon elle, onze nouveaux partis sont créés et forment un gouvernement d’union nationale avec une opposition intérieure qui participe au pouvoir. Deux figures de l’opposition se retrouvent dans le gouvernement syrien, à savoir Ali Haydar, ministre syrien chargé de la réconciliation nationale et membre de l’opposition intérieure et Qadri Jamil, homme politique et économiste syrien, vice-premier ministre et ministre de l’économie. Mme Midani rappelle qu’avant tout, « la population refuse la violence ». Certains membres de l’ASL ont même, selon elle, « rendus les armes pour négocier une transition nationale« . « Ce mouvement a une grande ampleur sociale« , raconte Mme Midani, « et je pense que c’est ça qu’il faut soutenir aujourd’hui si on est vraiment pour le soutien du peuple syrien« . « La question n’est pas pour ou contre Bachar El-Assad, mais de sauver la Syrie » rajoute-t-elle, avant de conclure que la réconciliation nationale ne se fera que par le dialogue et qu’une seule armée est légitime : celle du pouvoir.

« Nous assistons au déclin de l’Occident »

Au cours de ce débat, Jean Bricmont est revenu sur le manque d’ouverture de l’opinion occidentale vis-à-vis du monde extra-européen. Selon lui, « l’opinion occidentale est de plus en plus coupée du reste du monde« . Il estime aussi que le fait que MSF refuse de débattre aux côtés de Mme Midani est un parfait exemple de cette fermeture. Il revient aussi sur le cas de la radio francophone iranienne IRIB qui a été interdite de diffusion en Europe, sous la demande de la France. Le prétexte était qu’ils avaient « interviewés Faurisson et Garaudy à une certaine époque« . « On a le droit au nom des droits de l’homme d’empêcher les gens de parler quand ils disent des choses qui ne nous plaisent pas« , rajoute-t-il. Pour Bricmont, l’Europe a intérêt à changer ses relations avec le reste du monde. Il estime qu’il est temps que l’UE arrête son agitation contre la Russie (affaire des « Pussy Riot », élection de Poutine) ou la diabolisation de leaders d’Amérique latine comme le Président vénézuélien Hugo Chavez. « Nous assistons au déclin de l’Europe« , avec la crise qui touche notre continent. Face à la « chute économique et sociale« , le vieux continent se ferme au reste du monde. Jean Bricmont est persuadé que l’ingérence faite en Libye, et maintenant la tentative de s’ingérer en Syrie nous mènera inévitablement à une attaque contre l’Iran. En conclusion à son intervention, M. Bricmont pense que l’Europe « doit vivre dans un monde décolonisé« . Elle ne peut plus se permettre « d’envoyer des bateaux faire la police en Chine ou en Amérique latine » comme elle en avait les moyens auparavant.

« Où était l’OTAN à Gaza ? »

Le débat entre les trois intervenants terminé, vient le tour de la traditionnelle séance de questions du public. Quelques questions ont été intéressantes. Un jeune homme, d’origine palestinienne, s’indigne du financement des armes de l’ASL fait par des pays totalitaires comme le Qatar et l’Arabie Saoudite et qui ne s’en cachent pas. Il demande aussi à ceux qui sont favorables à une intervention militaire où était l’OTAN lors de la guerre de Gaza.

Pierre Piccinin, en réponse à cette question, revient sur la communauté palestinienne de Syrie. Lors de son séjour en prison, il a été « très étonné » par le nombre de palestiniens en prison. Après avoir discuté avec eux, tout en partant du principe que les palestiniens de Syrie soutiennent le régime de Bachar, on lui a expliqué qu’à part la faction armée Jibril, « composée de deux à 300 combattants qui défend vaille que vaille le gouvernement d’Al-Assad« , les 600 à 700.000 palestiniens, même s’ils ont les mêmes droits que les syriens et sont bien traités, espèrent un changement dans ce pays et que « cette révolution renverse le régime baassiste afin de mener des négociations pour le sort des palestiniens ». Selon M. Piccinin, des quartiers de Damas où résidait une communauté palestinienne ont été bombardés pour leur soutien à la révolution. Concernant l’armement donné aux rebelles de l’ASL, M. Piccinin dénonce ces « bonnes blagues de salafistes » que « le gouvernement [syrien] arrive à faire peur l’occident » visant à dire que ce sont de « méchants afghans déguisés en syriens » qui viennent se battre, « munis d’armes hi-tech les plus performantes financés par le Qatar et l’Arabie Saoudite et ramenés par la CIA« .

Après s’être rendu dans plusieurs fiefs de l’ASL, dont celui de Homs et s’être promené « librement« , il a vu « uniquement des armes usagées russes et chinoises » prises au régime syrien. « Ils n’ont plus de grenades, et des Kalachnikovs avec très peu de munitions« , rajoute-t-il, avant de poursuivre: « Ils fabriquent des grenades en remplissant des bouteilles de soda avec de la poudre et autour fixent avec du scotch des boulons et allument ça avec un briquet » (ndlr: cette expérience a été réalisée par des professionnels. Pour votre sécurité et celle de votre entourage, n’essayez surtout pas de les réaliser vous-mêmes). Concernant l’histoire de l’ASL, c’était, selon M. Piccinin, des comités de quartiers qui se protégeaient « à armes blanches contre la police et les shabihas (miliciens) du régime, qui tiraient sur les manifestants pour les disperser ». Les premières armes sont venues des « déserteurs et prises d’assauts des commissariats de police« . Les officiers déserteurs ont eu par après pour tâche, toujours selon Pierre Piccinin, « d’encadrer, de structurer ces comités« .

Le discours d’Ayssar Midani est tout autre. Elle s’interroge en effet sur la « propagande mensongère » menée par les médias français alors qu’ils dénonçaient ces impostures lors de la guerre en Irak. Concernant l’origine des armes des rebelles, elle affirme que la télévision syrienne a filmé des « armes israéliennes » prises des rebelles. Suite à ce fait, la ligue arabe demanda rapidement la suspension de la transmission de la chaîne syrienne des satellites Nilesat et Arabsat. Elle a été aussi coupée, avec d’autres chaînes iraniennes, des satellites européens.

Jean Bricmont coupe court aux déclarations de Pierre Piccinin à propos des origines des armes de l’ASL. Il cite en effet le reporter du Figaro, Georges Malbrunot, dans un article du 28 juin dernier où un opposant au régime affirme, depuis Paris, qu’ils ont surtout « récupéré des roquettes RPG 9 puisées sur les stocks de l’armée saoudienne« , rajoutant « [qu’] elles ont été acheminées par avion, jusqu’à l’aéroport d’Adana, où la sécurité turque a surveillé les déchargements avant de savoir à qui ces roquettes allaient être destinées« .

« Tu as été boycotté pour l’histoire du suceur de bite sioniste, si tu veux qu’on raconte l’histoire »

M. Bricmont revient sur le deux poids deux mesures fait à l’encontre de Pierre Piccinin. Lors de ses premiers voyages en Syrie, M. Piccinin était boycotté par les médias « pour n’avoir rien vu se passer en Syrie« . M. Piccinin dément en affirmant que, à cette époque, les quotidiens belges francophones « Le Soir et La Libre Belgique publiaient déjà [ses] articles à l’époque« . « Tu as été boycotté pour l’histoire du suceur de bite sioniste, si tu veux qu’on raconte l’histoire ! », lui lance Jean Bricmont (Histoire à propos d’un commentaire sur un réseau social où Pierre Piccinin a cliqué « j’aime » pour l’analyse du commentaire. La polémique s’est retournée, à tort, contre Pierre Piccinin car y figurait dans ce commentaire la phrase en question).

La chamaillerie passée, M. Bricmont revient sur ce qu’il défend. « Je refuse la discussion pour ou contre la Syrie, je ne soutiens pas le droit à l’auto-détermination des syriens, mais je soutiens le droit à l’auto-détermination des européens !« . Pour M. Bricmont, les européens doivent décider de leur politique à mener et quelles solutions rapporter, et d’arrêter d’être « des laquais et des harkis soumis des Etats-Unis, donc d’Israël« . Il conclut enfin par être « content que le temps de gloire de l’Europe soit passé et qu’il est temps qu’on prenne notre indépendance« . A ce moment précis, M. Piccinin a voulu réagir à nouveau à propos des affirmations de M. Bricmont sur sa censure dans les médias mais, le maître du débat lui demanda d’attendre une autre série de questions de la part du public, M. Piccinin décida alors de déposer son micro et de s’en aller (ndlr : Sur sa page facebook, Monsieur Piccinin estime que « le débat était inégal et le modérateur partial« . Après les « attaques ad hominem » de M. Bricmont, sa « dignité l’obligeait à [se] retirer« .

« Il y a une incohérence quelques part »

En conclusion, j’aimerais revenir sur une des premières interventions faite du public, par le militant belge d’origine turc, Bahar Kimyongür, auteur du livre « Syriana : la Conquête Continue« . M. Kimyongür se désole de voir que le débat ne met aux prises que ceux qui sont pour et ceux qui sont contre une intervention en Syrie ou encore « que les uns traitent les soutiens du régime de shabihas et que les autres traitent les opposants du régime de terroristes« , alors qu’il aurait été « plus objectif que chacun des intervenants parlent du pourquoi du comment« . Il estime « en partie vraie qu’il y a un complot international« , mais ce n’est pas la seule raison, étant donné qu’il y a aussi des « facteurs économiques et sociaux qui font qu’une partie de la population s’est rebellée et que le gouvernement a un appui ethnique et idéologique« , dit M. Kimyongür afin de balayer les idées que la Syrie est gouvernée par une « dictature mafieuse ou une secte« . Il revient aussi à l’affaire des étoiles de David peintes sur le front de Bachar en citant un fondateur du salafisme, Ibn Taymiyya, grand prédicateur du XIIIe siècle que « les alaouites sont pires que les juifs ou les chrétiens » (ndlr : « Les nussayrites (alaouites) sont plus infidèles que les juifs et les chrétiens« , « Syriana : la conquête continue », p. 83). M. Kimyongür salue le travail exceptionnel d’Ali Haydar (cf. supra), « qui rencontre les militaires, les prêtres chrétiens, les imams et la rébellion et qu’il leur dit d’arrêter de faire couler du sang syrien« . Il ne préfère même plus parler de « révolution » syrienne, tout en comparant le conflit syrien à la « guerre civile algérienne qui a fait plus de 200.000 morts« . Il est temps, selon lui, « que l’on prêche pour la réconciliation nationale et pour la paix« . M. Kimyongür se demande pourquoi « on étaient des millions à manifester contre la guerre en Irak, même si Saddam était un tortionnaire qui a massacré les chiites, les kurdes ou les libéraux et que maintenant on est tous pour la guerre en Syrie. Il y a une incohérence quelques part !« . Il continue son intervention par une question rhétorique : « Pourquoi la Syrie et le régime baasiste s’est-il militarisé ? » Il poursuit alors : « la Syrie a été traumatisée par un quart de siècle de colonialisme français, puis il y a eu le traumatisme de la création d’Israël en 1948. Tout ça n’a fait que militariser la Syrie. Et ensuite il y a eu les Etats-Unis qui ont soutenus des colonels contre les autres. Vous avez huit coups d’Etat militaires dans la Syrie« . Il ajoute ensuite: « Comment voulez-vous démocratiser un régime militaire ? En bombardant ? En remplaçant le mal par le pire ?« . Revenant sur les déclarations de M. Piccinin à propos de la bonne entente syro-israélienne, M. Kimyongür lui répond que « l’establishment syrien est truffé de gens de la vieille génération de 73 qui ont livré bataille à l’armée israélienne » et si on pense que la Syrie est amie avec Israël parce qu’elle ne l’attaque pas, « autant dire que ces cubains parce qu’ils n’attaquent pas la base américaine de Guantanamo c’est que Fidel Castro est un agent des américains« . Il conclut par l’analyse suivante: « La guerre de Gaza c’est une guerre contre la Syrie, la guerre du Liban de trente-trois jours en 2006 c’est une guerre contre la Syrie, la guerre de 2003 c’est une guerre contre la Syrie. Alors si on ne voit pas ça, on est vraiment aveugles« .