Depuis plusieurs années, un argument très efficace pour tenter de discréditer la dénonciation de l’islamophobie circule dans les médias. A l’origine de cet argument, on semble trouver Caroline Fourest, qui l’a utilisé à plusieurs reprises, notamment dans son article « Ne pas confondre islamophobes et laïcs » (Libération, 17/11/2003), dans son livre « Tirs Croisés » ou encore dans sa revue « Prochoix » (n°26-27). Elle écrit :

« Le mot islamophobie a une histoire, qu’il vaut mieux connaître avant de l’utiliser à la légère. Il a pour la première fois été utilisé en 1979, par les mollahs iraniens »
(« Ne pas confondre islamophobes et laïcs », Libération, 17/11/2003)

Cette affirmation est complètement fausse, puisque le mot « islamophobie » est utilisé au moins depuis 1910 en France, comme une simple consultation de la page wikipedia de ce terme permet de le vérifier avec toutes les preuves à l’appui. Des auteurs français comme A. Quellien, M. Delafosse ou P. Marty utilisaient en effet ce terme dès le début du vingtième siècle.

Mais cela n’a pas empêché l’argument de l’invention du mot par les « mollahs iraniens » de prospérer dans la presse, grâce à certains journalistes trop désireux de discréditer ainsi tous ceux qui dénoncent l’islamophobie.

Dans sa préface du livre de Hamid Zanaz intitulé « L’Impasse islamique, la religion contre la vie » (2009), Michel Onfray écrit ainsi que « ce mot, islamophobe, a été forgé de toutes pièces par les mollahs pour déconsidérer quiconque n’est pas musulman comme l’orthodoxie l’y invite ».

Dans un article intitulé « L’invention de l’islamophobie » publié le 23/11/2010 dans Libération, Pascal Bruckner écrit à son tour que le terme islamophobie a été « forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 70 ».
Il a récidivé il y a quelques jours dans une interview pour Causeur en affirmant: « Ce mot-valise créé à la fin des années 1970 par les mollahs iraniens et calqué sur le terme “xénophobie“ visait (et vise toujours) à interdire toute critique de l’islam. » (« L’islamophobie, ça n’existe pas », Causeur, le 29 octobre 2012)

Martine Gozlan et Eric Conan reprennent également cette contre-vérité en mai 2011 dans le journal Marianne, où ils écrivent que « C’est en 1979 que les mollahs iraniens (…) inventèrent ce terme » (Marianne n°734, p. 134).

Eric Zemmour l’a également répétée plusieurs fois, notamment face à Pascal Boniface dans l’émission « On n’est pas couché » en juin 2011 où il affirme que « l’islamophobie est un mot inventé par les iraniens », ou dans sa chronique pour RTL intitulée « Charlie n’ira pas au paradis » du 4/11/2011 lorsqu’il répète que le mot est la « trouvaille sémantique des mollahs iraniens ».

Sur France Inter enfin, Thomas Legrand s’est joint à tout ce beau monde le mois dernier en affirmant que le mot islamophobie « est apparu en 1979 », « juste après le renversement du Shah d’Iran » (chronique intitulée « Islamophobie : mot piège », France Inter, le 17 octobre 2012).

On remarque qu’aucun de ces journalistes n’apporte la moindre source démontrant que des « mollahs iraniens » avaient utilisé ce terme. Et surtout ces journalistes, ou prétendus tels, n’ont pas fait le minimum de recherche qui pouvait leur montrer sans trop d’effort que le mot « islamophobie » était utilisé plus d’un demi-siècle avant 1979, par des gens qui étaient ni des islamistes, ni des iraniens, mais des auteurs français, probablement non musulmans, travaillant au service de l’administration coloniale française.

Tout cela nous montre le manque de rigueur de certains journalistes pourtant ultra-médiatiques… Quand il est question d’islam, il semble que les passions l’emportent assez rapidement sur la déontologie journalistique.