Tout d’abord, j’aimerais dire que les inculpés, convoqués à 14h sont passés à 18h30… Nous étions une petite centaine à attendre, qui devant le palais de justice qui à l’intérieur pour ceux qui avaient pu rentrer et qui n’osaient sortir de peur de ne pas pouvoir rentrer lors de l’audience.
Quatre heures trente d’attente donc, pour un procès qui avait déjà été reporté… Mais cela ne choque plus personne car ce qu’on appelle encore par habitude « la justice » en France ne s’exerce plus que comme cela. Le but étant aussi dans ce cas probablement de décourager la solidarité. Nous n’étions plus qu’une quarantaine lors de l’ouverture de l’audience mais cela à suffit tout de même à remplir la salle.
Autre détail : les micros étaient bel et bien branchés devant le juge mais pas devant les accusés et le niveau sonore était si faible qu’il était très difficile d’entendre, y compris depuis le premier rang.
La première chose qui paraît évidente lors d’un procès tel que celui là, c’est le hiatus qui existe entre les motivations politiques des accusés et le cadre juridique.
Comment un juge peut-il apprécier un mobile politique ? Il n’y a pas de jurés, seulement une bureaucratie juridique qui ne se préoccupe que du code pénal.
Concrètement, cinq paysans sont accusés d’avoir jeté du fumier sur les fenêtres des bureaux de VINCI, et, bien plus grave du point de vue de cette justice, d’avoir refusé pour quatre d’entre-eux le prélèvement ADN.
Les paysans expliquent que les faits qui leur sont reprochés font partie des formes d’action traditionnelle des luttes paysannes : action « coup de poing », expression vers les responsables, rassemblement et grève de la faim.
Deux « témoins de moralité » vont passer à la barre. Un cadre de la conf va expliquer que ces actions sont comparables aux luttes anti OGM qui ont été reconnues légitimes. Heureusement qu’il est là car les avocats n’ont pas grand chose à dire à part, et c’est leur dada, s’occuper des vices de procédure. Il y a une différence, explique t-il à la juge entre vandalisme et « faire pression ». La juge s’ennuie visiblement, pour elle ce n’est juste qu’un moment à passer qu’elle devait bien avoir prévu mais elle demande qu’on abrège ces « considérations générales » : « recentrons sur la personnalité des accusés ». Le témoin insiste : Ils pratiquent la sobriété, leur vision de la société qui n’est pas productiviste, ils font partie d’un mouvement, il y a eu des atteintes plus graves etc…
Mais pour qui parle-t-il ? Pas pour la salle, unanimement convaincue de l’injustice, pas pour la presse totalement absente, pas pour la procureur générale qui compulse mollement son code pénal en attendant que cela soit son tour. La question reste entière. On a le sentiment que cela est plutôt de l’ordre du rituel, une mise en scène où chacun joue son rôle et dont on connaît l’issue.
La juge est préoccupé par une question essentielle qui va revenir souvent et pour chacun des accusés : était-ce de la colère ou une action réfléchie ? Les accusés chacun leur tour vont répondre que c’était murement réfléchi (évidemment, tout cela est préparé).
Mais le cœur du problème pour Madame la Juge ce n’est ni l’aéroport, on s’en doute, ni les convictions politiques des accusés, ni même d’estimer la gravité de leur « méfait », le problème c’est le fumier et accessoirement les œufs, leur provenance, quelle direction ont pris les projectiles lancés par les paysans.
Qui a décidé d’apporter le fumier, et comment ? Avec des fourches ou dans une brouette ? – Il était juste là Madame la juge. Un rire léger et discret parcoure l’assistance mais pas question de rigoler, la juge menace de faire évacuer la salle.
Comment avez-vous pris le fumier ? A pleine main ? Comment l’avez-vous lancé exactement ? A quelle hauteur ?
Malgré notre inquiétude sur l’issu du procès, je pense que tout le monde avait le sentiment d’assister à une pièce de théâtre des plus comiques.
Et le spectacle n’était pas seulement dans la salle puisque qu’il a été agrémenté d’un film. Un film réalisé par les gentils employés de VINCI se trouvant derrière les vitres…. Même dans la délation l’image devient omniprésente et nous avons du regarder, sans de problème technique comme avec le son, le lancé plus ou moins précis des paysans sur quatre écrans disposés en hauteur et en direction de la salle.
Du coup, la juge, à l’aide la souri, nous montre les traces d’œufs, de fumier et accessoirement de peinture de couleur sur les vitres. Vive le progrès !
Un autre point arrive alors sur le tapis : « Pourquoi aviez-vous une capuche sur la tête avec le cordon entre les dents ? » demande la juge. « Pour me protéger du fumier » répond l’accusé.
(rire, menace d’évacuation)
Vient ensuite le tour attendu de l’avocat de VINCI. Il ne connait apparemment pas son dossier qu’on vient de lui refiler : le devis de « réparation » est passé de quarante mille euros à vingt six milles. Pas de facture, pas de constat d’huissier, mais le devis précise que le nettoyage a été effectué avec des produits solvants bio (rire, menace d’évacuation)…
Il est vingt heures et je dois quitter la salle… Une dernière chose : On a retrouvé des traces d’ADN d’une personne à proximité du fumier, ce qui fait planer la perspective d’une nouvelle accusation de jet de fumier… preuve, une fois de plus, que les paysans qui ont refusé le prélèvement ont eu raison de le faire.
J’ai malheureusement raté l’intervention du procureur général.
Le délibéré du procès se tiendra le mercredi 27 juin à 14h.

Si vous connaissez la suite de l’histoire merci de la poster ici.
En revanche, j’en ai assez vu pour affirmer que ces procès sont une véritable mascarade, complètement dérisoire par rapport aux véritables enjeux et que je comprends les personnes qui refusent de se défendre.