Nantes, tactiques de guérilla et libération de territoire contre l’État et le Capital

La lutte populaire contre le projet d’urbanisation capitaliste par l’implantation forcée d’un méga-aéroport, au service exclusif de la classe bourgeoise et provoquant la menace d’une expulsion stricte et militaire des habitants locaux, dure et se trouve en phase de radicalisation. On compte déjà de nombreuses actions et batailles, avec une tactique d’occupation du terrain de Notre-Dame-des-Landes, devenue Zone À Défendre.

Le 24 mars, la riposte contre l’ennemi opte pour une nouvelle tournure, très judicieuse : ils veulent nous expulser sur notre terrain, expulsons-les eux-mêmes dans la ville ; ils menacent en permanence d’interventions militarisées contre les occupants et les résistants du terrain, intervenons directement au cœur du centre urbain et devenons nous-mêmes menace ; plutôt que d’attendre qu’ils viennent se confronter à nous, allons nous confronter directement à eux. Extension de l’outil tactique d’occupation à la ville métropolitaine capitaliste de Nantes, extension de l’outil de libération du territoire contre l’ennemi capitaliste du terrain en question au centre urbain agresseur et les rouages d’État de la ville. En somme : ils veulent bitumer le terrain, arrachons le bitume de la ville.

Pour cela, les organisateurs et petits-chefs auto-décrétés appellent à deux grands cortèges partant de l’Est et du Sud de Nantes pour converger vers le centre-ville et l’occuper. Les anarchistes révolutionnaires appellent à un troisième cortège, anticapitaliste, partant du Nord (du Rond-Point de Rennes), afin de converger également vers le centre à la place du Cirque. En face, pas moins de 1500 flics lourdement équipés et appuyés par de nombreux véhicules quadrillent et occupent militairement la ville prise en état de siège pour la journée. La population se voit contrainte de slalomer entre les murs anti-émeute et sous la pression menaçante d’un hélicoptère.

Une bataille sans combat, une Commune forte mais sans lendemain

12H30, chacun des cortèges s’ébranle, regroupant entre 6 et 10’000 manifestants. Dans le cortège anticapitaliste, plus de 1000 personnes dont un minimum de 500 combattants. Entre 200 et 250 tracteurs appuient les manifestants, chargés de terre et de verdure.

Durant tout le parcours, en notant que celui anticapitaliste avait le sien propre en dehors des cadres et SO de partis, les camarades ont su se coordonner pour une force de frappe la plus offensive possible : masques à gaz, lunettes anti-gaz, bouclier collectif, banderoles renforcées, chars de cortège avec matériel varié (pochoirs, bombes de peinture, fumigènes, banderoles, projectiles à peinture, extincteurs pour aveugler les flics, extincteurs de peinture, affiches, matos d’affichage, équipements plus lourd pour dépaver, masques de carnaval retravaillés pour se protéger des caméras, pinces coupantes, etc.), char de cortège de cuisine autogérée, chars de cortège crachant du son (notamment du rap ClassWar), etc. Ainsi, durant le long parcours jusqu’à la finale place du Cirque, le moindre bâtiment capitaliste et d’État est recouvert de peinture, de terre ou de bouse, le moindre mur et la moindre vitrine sont recouverts de slogans bombés et d’affiches révolutionnaires nombreux et variés contre l’ennemi, avec à chaque fois une coordination des banderoles renforcées pour une protection rapprochée des éléments actifs du cortège. Sécurisation à l’avant du cortège par bouclier collectif et banderoles renforcées, moins cependant sur les côtés, et le cortège se resserrait spontanément de manière compacte à chaque menace policière directe.

Convergence des luttes, les slogans, scandés, peinturés ou affichés, renvoient aux luttes anticapitalistes à Val di Susa, à la Syrie, à la Grèce avec le désormais international « flics porcs assassins », etc. Les drapeaux No Tav sont présents.

Le cortège révolutionnaire arrive finalement place du Cirque, où tous les manifestants sont déjà regroupés, pour beaucoup à écouter les chiens ennemis de partis Europe Écologie, Front de Gauche et autres saloperies. Pour les camarades, l’heure est à l’occupation réelle : sécurisation des points les plus vulnérables où ont pris position l’ennemi policier (essentiellement un escalier où les porcs gendarmes mobiles se sont positionnés, barricadé par grilles d’arbre et terre, et barré par une grande banderole renforcée, provoquant quelques jets de projectile de rigueur), destruction des caméras (une caméra sur pilier au toit d’un grand hôtel de 6 étages voit son câble sectionné à la pince par un camarade sous les acclamations des révolutionnaires), attaques à la peinture et saccage sans casse directe de toutes les instances de l’État et du Capital (banques, sièges d’assurance, sièges patronaux, sièges de parti, commerces capitalistes, etc.), affichage et taguage massif et maximum, dépavage de la place avec protection rapprochée par banderoles contre l’hélicoptère, obstruction et blocage de la rue et des voies de tram par déplacement systématique de ce qu’ils appellent « mobilier urbain », chasse physique et immédiate des groupes de RG et BACceux infiltrés, positionnement des camions, accrochage de banderoles un peu partout, etc.

Occupation active de la place transformée en Commune, nombreuses sont les personnes venant participer à la libération du territoire contre l’occupant capitaliste, dans une ambiance joyeuse et combattante. Même si le saccage reste de surface et minimal, nous avons « détruit » ce qui nous détruit et créé ce qui nous construit, dans une position claire de guerre de classes.

En face, l’ennemi est étonnamment passif, préférant certainement éviter une répression trop brutale en période électorale. Il semble que par la mixité rassemblant et mélangeant combattants et personnes non combattantes, les flics ne pouvaient se permettre de réprimer sans pouvoir isoler au préalable les révolutionnaires afin de les cibler en particulier. La question en ce cas, étant donné la première phase de fascisme actuelle en France : quand vont-ils se permettre politiquement de réprimer globalement en tapant dans le tas sans distinction ? Même si, en vérité, ils l’ont déjà fait et à plusieurs reprises, notamment lors de la journée du samedi 4 avril contre le sommet de l’OTAN à Strasbourg. Et même en ce 24 mars à Nantes, c’est ce qu’ils feront d’une certaine manière en gazant les passants.

Il aurait été intéressant, étant donné cette rare opportunité de la passivité de l’ennemi, de sécuriser réellement et entièrement le périmètre libéré, par barricades systématiques aux endroits les plus stratégiques, ne serait-ce que sur les deux voies d’entrée axiale de la place. Cette sécurisation par barricades aurait permis de préparer une défense de la Commune, et d’avoir une capacité à tenir contre l’ennemi. Ceci aurait été d’autant plus pertinent que nous étions un samedi en plein centre-ville, avec un évident attroupement de « badauds » tout autour de la zone, plus ou moins spectateurs, sympathisants et favorables pour une certaine partie. Des habitants Nantais sont même venus nous prévenir que des dizaines de BACceux se préparaient à intervenir, en se regroupant et s’équipant de casques, cagoules, matraques et flashball. Au lieu de cela, beaucoup de combattants semblaient « attendre » l’intervention des flics pour en découdre sans se donner les moyens d’une résistance maximale, ce qui est regrettable étant donné l’équipement, la coordination et la réactivité de tous les groupes.

16h30-17h, les soc-dem et autres réformistes quittent la place, ainsi que les tracteurs. Ne restent que les camarades du cortège anticapitaliste. Les flics prennent de nouvelles positions et resserrent l’étau. L’occupation continue.

Vers 18h, nous voilà pour la plupart assez surpris : alors qu’il restait un bon millier de camarades et combattants, ainsi que de nombreuses personnes sympathisantes, un imposant tas de grandes et volumineuses palettes en bois et de morceaux de troncs d’arbre est soudainement et brutalement enflammé… au milieu de la place et de toutes les personnes en présence (!). C’est alors un déluge de flammes pendant une grosse demi-heure, de nombreux engins à pression et bouteilles de gaz sont balancés dans le brasier qui détonne en de nombreuses et violentes explosions avec imposants retours de flamme. Les choses s’accélèrent aussitôt, les flics se mettent en position pour intervenir en force. Pour la grande majorité des combattants, c’est la perplexité : quelle utilité à cela ? Les flics encerclent en force, avec tout le déploiement de blindés, pouvons-nous résister ? Faut-il rester sur place à « attendre » la répression ou partir en cortège (un ou plusieurs) mobiles ? Restons-nous sur la défensive ou partons à l’offensive ? Retraite groupée ou isolée ? Rester ou se retirer ?

Pas de concertation entre les groupes, et l’initiative reste douteuse. La question n’est pas de flamber ou non, mais de sa pertinence tactique. Pour le coup, non seulement cette initiative en a aucune mais est même a contrario totalement contre-stratégique : pourquoi l’avoir fait au milieu de la place et des personnes en présence dont un millier de combattants et pas devant les flics ? Pourquoi ne pas avoir étalé tout le matériel accumulé de ce volumineux tas de palettes et de troncs pour ériger une ou plusieurs barricades ? Pourquoi ne pas avoir gardé les feux d’artifice et autres outils de combat comme munitions de résistance ?

On peut penser à certains jeunes combattants en impatience d’affrontement et de carnage en tant que tel pour le provoquer sans se donner les moyens de constituer un rapport de terrain et de combat intéressant, et même au contraire ont disloqué toute la force de combat effective alors possible. Car évidemment, les combattants sentent le piège de l’urgence, et préfèrent se disloquer. Au final, ce seront près de ¾ des combattants anarchistes révolutionnaires qui évacueront le secteur, et de manière dispersée. Toute la force de frappe offensive potentielle s’est disloquée en 20mn. Au final, les 200 combattants qui décident de rester pètent quelques abribus, avant que les forces répressives d’État interviennent, à 19h. Grenades lacrymogènes et gazage, charges de centaines de CRS, appuyés par blindés canons à eau et cars. Et ce ne sera qu’une course-poursuite avec une faible résistance face aux flics, qui durera une heure ou deux avant la dislocation finale. Reprise du terrain par les flics et, nous pouvons le dire, sans combat. Les affrontements qui eurent lieu n’avaient aucunement l’impact de terrain et la force de frappe offensive alors possible. Les combats ont été étrangement évité.

Ceci est d’autant plus regrettable que lors du début de l’intervention des flics, les gens se sont spontanément attroupés pour les huer et même leur jeter un ou deux projectiles, provoquant un violent et soudain gazage au spray dans les ruelles passantes, entraînant un moment de panique dans une rue commerçante, avec des enfants et personnes âgés brièvement asphyxiés. Les passants n’ont pas compris et un relan de colère et de rage anti-flic a commencé à gronder, sans écho puisque les derniers 200 combattants étaient déjà chassés loin de la zone, traqués.

Peu après l’intervention et la charge militaire des flics, des centaines de personnes se rendent à la place du Cirque, par curiosité, et se mettent à… occuper à leur tour la place, commentant collectivement les dégâts et les slogans révolutionnaires. Des enfants jouent entre les débris enflammés, des jeunes sautent au skateboard au-dessus des obstacles enflammés, les gens se prennent en photo, discutent, rient ou s’indignent, applaudissent ou s’effraient, sourient ou grimacent, se confrontent, occupent. Les flics, de fait, encadrent toujours la place et surveillent cette affluence imprévue. C’est cette deuxième « phase » de la Place du Cirque qui aurait pu être décisive en cas de combat préparé pour une défense directe et coordonnée de la Commune. Pour des raisons étrangement « inutiles », cela n’aura pas été possible. Or, ceci était possible, même nécessaire avec la force que nous avions numériquement et matériellement, et la Commune aurait pu durer, comme une mini Place Tahrir.

C’est ce qui est sans doute à regretter en cette journée, qui reste une belle journée…

Guerre à l’État et au Capital.