Quelques pistes pour une perspective
anti-autoritaire de l’écologie radicale

Libération totale ou éco-activisme ?

C’est la question qui se posera (sans doutes en des termes différents, sans doutes pas nécessairement de cette manière mais se posera quand même) dans les diverses luttes concernant la nature et la terre en particulier et dans toutes les conflictualités ouvertes concernant la lutte contre l’écocide capitaliste et pour la destruction de cette société autoritaire pourrie.

En refusant de se donner des perspectives clairement révolutionnaires, l’éco-activisme « autonome » suit depuis quelques mois en france le même chemin boueux que toutes les formes d’activisme sans queues ni têtes qui courent après les rassemblements et les réunions sans idée précise du (ou des) problème(s), en s’embourbant dans ses propres contradictions, en produisant une rhétorique arrogante toujours plus absconse, et en finissant au final par ressembler toujours plus à un éco-citoyennisme radical (avec son lot d’illusions fantasques), ou à un supplément d’âme gauchiste (pour tout les gens qui ont par exemple découvert le problème du nucléaire avec Fukushima, et qui n’en avaient même jamais parlé avant, ou autrement que superficiellement). Ou encore, comme ça a pu être dit ailleurs, en s’assimilant à un mouvement des « indignés du nucléaire » ou d’on ne sait quoi d’autre.

Ouvrir une perspective radicale sur cette question nécessite au moins un constat :
Dans le pays le plus nucléarisé au monde comme ailleurs, mais peut être avec plus de propagande et de répression encore, l’essentiel de « l’écologie politique » appliquée a été recyclée de force, à coup de lobbying sponsorisé, d’intégration politicienne, de coups de matraques, d’O.N.G forcément pacifiées et de propagande publicitaire hypnotisante – quoi que comique quand on voit Total se vendre comme un ami de la nature ou E.D.F comme une « entreprise humaine, éthique et responsable ».

On sait au moins quelque chose désormais, on leur doit beaucoup plus que la lumière.

Une chose est sure aussi : pour ce qui est du nucléaire comme des autres nuisances mortellement dangeureuses ou allant simplement de pair avec le capitalisme et son industrie : il ne s’agit pas d’une question de « catastrophes imminentes ». La « catastrophe » est déjà arrivée milles fois et ne fait que se répéter inlassablement, et le scandale réside plutôt dans le fait qu’on continue à la voir comme « naturelle » et donc inéluctable, malheureuse parce qu’imprévisible. Ne serait-ce que parce que même les tsunamis ou les éruptions volcaniques par exemple, peuvent avoir des causes humaines (au moins dans leurs conséquences) et sont rarement imprévisibles pour peu qu’on observe les évolutions géologiques au quotidien sur quelques années. De plus, et ce n’est pas un secret, ces « phénomènes » peuvent être (au moins en partie) dus aux changements spectaculaires de températures dans l’air ou dans la mer de ces dernières décennies (qui ne peuvent pas être raisonnablement expliqués sans les conséquences de la pollution humaine, de la disparition programmée de la couche d’ozone par effet de serre et des espèces vivantes par la pêche, le braconnage et autres empoisonnements), et conséquemment de fontes de glaces et autres phénomènes polluants qui se juxtaposent et rentrent en réaction avec les mouvements de plaques tectoniques et autres phénomènes dit « naturels ». De même que les « accidents » et déchets nucléaires et autres essais transforment des pans entiers de la nature en déserts arides ou en poubelles toxiques, de même les forages de gazs de schistes empoisonnent l’alimentation humaine en polluant les terres ou en les rendant simplement stériles. De même les montagnes percées de part en part et les reliefs saccagés pour y construire d’improbables tunnels ou « axes nivelés », les champs bétonnés pour y construire toujours plus de parkings aussi inutiles que les immenses autoroutes toujours bouchées et les aéroports pour bourgeois volants et vacanciers à crédit qui saturent l’air de kérosène brûlé, etc…

Mais qu’on l’accepte ou pas, qu’on trouve la « perspective philosophiquement intéressante » ou pas (là n’est pas la question), le capitalisme nous conduit dans l’impasse à tout les niveaux, et détruit à peu près tout ce qui nous entoure de beau ou même d’utile. Non seulement il ruine ce qu’il est convenu d’appeler « les ressources naturelles » (comme si la terre n’était qu’une réserve où on peut puiser), mais empoisonne et détruit à petit feu toutes les matières premières, les espèces et les espaces vivants.

Le nucléaire pour l’exemple, comme la société qui le produit (car ce n’est pas cette société qui est un produit du nucléaire, mais bien l’inverse – quand bien même le nucléaire serait devenu un mode d’administration particulier et qu’il a redéfinit nos rapports humains en profondeurs), n’est pas seulement une « manière de gérer de la vie » dont nous devrions nous extraire volontairement ou un ensemble de dispositifs à détruire par une somme de bonnes actions « méta-activistes », ou juste une « guerre » (une guerre juste?) qu’il faudrait gagner politiquement ou militairement : ils s’inscrivent dans une séquence historique qui dans sa configuration actuelle, si elle ne prend pas fin et n’est donc pas rompue, finira de nous détruire (ce qu’elle fait déjà) ou de nous priver des potentialités même de son dépassement (ce qui revient au même). Car on ne se lassera pas de le répéter : la destruction de la nature est l’hypothèque du capitalisme sur tout projet de société future.

C’est à dire que la problématique est bien plus profonde que la simple nature du rapport entre une société bourgeoise et autoritaire d’une part et son dépassement d’autre part, mais du lien intime qui pourrait bien un jour mener l’hypothèse de leur dialectique dans le néant.
Voilà un cruel dilemme :

Sans le monde en héritage, pas de révolution.
Sans révolution pas de monde en héritage.

Et le relever n’a rien de catastrophiste : c’est une simple observation empirique.

Si on jette un caillou en l’air, il finit par retomber par terre à moins que sa course soit interrompue… ou que les lois de la gravité soient subitement abolies.

A partir de là, soit on prétend que ça ne nous intéresse pas (mais encore faut il pouvoir le prouver) et « qu’on s’en fout ». Au quel cas chacun-e peut rentrer dans sa poubelle avec le sourire et en se disant en bref que « jusqu’ici, pour moi, tout va bien ». Soit on s’organise en connaissance de cause.

Pour tempérer ce constat, bien sur, et à raison, on entend souvent dire que la perspective réformiste pourra très bien sauver le système actuel en rendant le capitalisme plus « vert » (ou plus « social »). Mais plus qu’une impasse, ce « capitalisme vert » (ou à « visage humain ») est une illusion nécessaire de l’actuel « gestion de crise » qui permet au capitalisme de s’administrer mieux que jamais. En effet, c’est encore un tour de passe-passe que le système se donne pour temporiser ses restructurations, et ce qui y sera sauvé ne sera ni l’humanité ni la nature qui l’entoure mais bien cette économie et ses divers modes d’administration justement.

Bien sur, c’est à celà qu’il faut s’attaquer : mais est-ce suffisant ?
Du reste, peut on parler après Fukushima d’écologie comme d’une abstraction, et peut on faire des analyses critiques en passant à coté du problème à moins de rester à bord de son « aéronef théorique », en faisant des « pas de coté » pour éviter les astres qu’on croise comme on les survolerait.
De ce point de vue là, plusieurs questions se posent.

Peut on se payer le luxe de ne pas voir en quoi il s’agit encore et plus que jamais de la dépossession totale de nos vies ?

Peut on vraiment passer à coté du fait que le saccage, l’empoisonnement et la domination de la nature sont le résultat indubitable d’une société divisée en classe, et d’une société patriarcale… en bref d’une société d’exploitation.

Peut on désormais parler sérieusement d’écologie radicale
autrement qu’en termes de guerre sociale, et réciproquement ?

Bien qu’on puisse en douter, il y aura peut être dans un futur proche un capitalisme sans le nucléaire et ses catastrophes ou sans le pétrole (ou n’importe quel autre hydrocarbure et ses évidentes guerres d’intérêts) parce que ces aspects de la destruction de la nature et de la vie sont si évidemment « barbares » (au sens où ils « blessent le sens commun ») et si spectaculaires qu’ils ne pourront faire « long feu » à moins d’imposer leur prolongement de la même manière qu’ils se sont établis : c’est à dire par la terreur. Ce qui reste en tout état de cause l’hypothèse la plus probable : le nucléaire pour l’exemple étant ce qui se fait de mieux en terme de gestion capitaliste de « l’énergie ». Mais peut on imaginer en revanche un capitalisme sans autant de voitures, sans ses milliers de camions de 38 tonnes, sans ses 80 000 vols d’avions par jour, sans ses T.G.V transnationaux inabordables ou sans innombrables trains de marchandises, ou même sans exploitation animale industrielle : en bref sans une certaine rationalité technologique ?

Et c’est là que le bât blesse : le capitalisme ne peut précisément pas exister sans ses flux toujours plus astronomiques de marchandises et de capitaux, ou sans sa rationalité. L’industrie de l’automobile comme l’industrie capitaliste en général nécessitent la torture suprême que représente le travail à la chaine (paroxysme de l’abomination salariale) et des produits qui sont nécessairement toxiques ou se traduisent par des nuisances humaines ne serait-ce que par leur existence, leur bruit, leur omnipotence, leur idéologie de la vitesse (et ses cadences toujours infernales). Cette rationalité nécessite ses métros bondés, ou ses autoroutes (ou camions, ou métros, ou bus) pour « déporter » chaque jour les exploité-e-s (au moins par la contrainte économique) à des dizaines (et parfois centaines) de kilomètres de là où ils ont grandit ou même du lieu où ils vivent (pour y retourner chaque soir) pour un travail. Des transports qui même électriques ont dans l’immédiat besoin de l’électricité nucléaire ou d’une « énergie » non-renouvelable ou limitée (et donc forcément polluante ou basée sur l’économie de la famine et la production artificielle de la pénurie) pour fonctionner… etc.

Conséquemment le principe de la rationalité technologique du capitalisme est d’être irrationnelle : elle est une course infinie à la production, à la « croissance » dans un monde où les « ressources » sont finies, et qui lui n’est ni en croissance, ni en expansion mais en dégradation et en réduction à mesure que cette (ir)rationalité le dévore, empêche sa régénération et nous laisse devant une terrain de plus en plus impraticable.

Surtout, l’opposition à une fantasmatique « modernité » (chez les fascistes comme chez les primitivistes) ou l’idéalisation religieuse de la « Nature » (non seulement comme ensemble vivant et cohérent mais aussi comme entité supérieure et séparée ou comme mythe « Gaïa ») signent l’apparition « d’anticapitalismes » romantiques (et par conséquent autoritaires) qui s’inventent pour demain toutes sortes de solutions « métaphysiques » ou scientistes pour empêcher le désastre de la veille en voulant se téléporter dans le passé (comme la plupart des fascistes ou des réactionnaires) ou en prétendant lire l’avenir (comme les plus messianiques des gauchistes). En outre, chez les adeptes de Gaïa comme chez les éco-gauchistes et les éco-fascistes, la critique du patriarcat est toujours absente, ou se traduit par la mise en avant d’un matriarcat idéalisé et signe toujours la fausse division « Nature/Culture » en termes d’hommes et de femmes, de « Maman la Terre » et « Papa l’histoire », bref en des termes essentialistes et qui procèdent d’un symbolisme folklorique, souvent viriliste, et presque toujours sectaire, incantatoire et au final éminemment patriarcal.

Mais même du point de vue de la technique : ce n’est ni un retour en arrière, ni un « bon en avant » qui nous sortiront de ce désastre permanent que constitue le capitalisme, l’Etat et leurs logiques, mais bien une rupture radicale avec l’ordre existant et toutes ses logiques. Même si celà implique de rompre avec une certaine technologie qui n’a rien de libératoire. Même si ça implique de critiquer l’éternel positivisme des « progressistes » qui associent toujours par leur pensée mécaniste « progrès technique » et « progrès humain ». Rupture qui ne peut pas être vue que comme une somme d’actions directes volontaristes ou seulement comme une « suite logique » et « mécanique » de faits quantifiables mais comme une alchimie des luttes radicales, un inconnu que nos perspectives doivent ouvrir en se radicalisant, en se multipliant, en se juxtaposant, et peut être même en se coordonnant et en considérant les problèmes de classe, de sexes, ou celui de l’écocide comme autant de résultats d’une même logique à briser : une « psychologie sociale appliquée » qui ferme une « topie » sans en imposer une autre (Landaeuer). En d’autres termes, la perspective d’une révolution sociale d’un genre qui ne pourra ressembler à rien de ce que le monde a connu jusqu’alors précisément parce que tout les autres élans ou projets ont échouées, faillis ou pêchées par tant d’écueils, de souffrances et de reproduction de schémas d’oppressions ou de dominations qu’on ne peut plus tirer ses références et sa poésie d’un tel passé sans en faire un examen critique complet.

Le refuge dans les vieilles idéologies de pouvoir et toutes les fuites en avant ne font que signer un aveu d’impuissance à expliquer le monde.

C’est pourquoi il faut le rendre intelligible : pour s’en libérer.

Et aussi parce que toutes les dominations (quel qu’elles soient) se maintiennent de par leur inter-activité, et l’opacité de leurs mécanismes. En définitive, il faut s’arracher de l’impression laissée par cette obscurité orchestrée qu’il s’agirait d’une oeuvre « divine », d’une « symphonie programmée », d’une « conspiration » ou plus simplement, et plus tragiquement aussi du fatal
ordre naturel des choses.

Il s’agit simplement du monde tel qu’il va.
Il s’agit donc, par conséquent, de le détruire à la racine.

Et d’abord en rappelant par exemple que :

« Célébrer la vie », ce n’est pas forcer les femmes à enfanter ou diaboliser les suicidés. C’est laisser la vie suivre son cour sur l’hypothèse libératrice contre la survie, et accepter tranquillement l’idée qu’on ne « sauvera » pas « la planète » ni l’humanité de ses contradictions tant que le patriarcat et l’oppression des femmes n’auront pas été liquidés. C’est aussi comprendre que c’est la société telle qu’elle existe à l’heure actuelle qui rend la mort séduisante et nécessite ces dominations, et que la question de « l’écologie » ne se pose pas en dehors d’une critique plus générale, et n’existe pas en dehors de son histoire.

Libérer les animaux ou même la Terre de l’exploitation, ce n’est pas imposer une diète végane à l’humanité par la force, « revenir à la cueillette » ou éliminer physiquement quelques capitalistes d’abattoirs ou de laboratoires, c’est encore moins célébrer le « mythe de Gaïa » en remplacement du Veau d’Or ou des autres superstitions en espérant que les exploité-e-s s’y emmitouflent : c’est rendre impraticable l’exploitation animale et la destruction de la nature partout où elles s’exercent en s’y attaquant directement et massivement et développer la critique de toutes les dominations, de toutes les oppressions et une culture sensible de vie sans autorité, de libération et de défense viscérale de la terre et des animaux qui ne peut que conduire à agir en conséquence.

Inlassablement, il faudrait répéter que l’on est « vraiment libre que lorsque tous les êtres […] qui [nous] entourent […] sont également libres » (Bakounine), et que « tant qu’il y aura des abattoirs, il y aura des guerres » (Tolstoï).

Enfin, si nous disons que nous voulons voir la terre redevenir « verte et bleue », c’est précisément parce que nous croyons que sa destruction est évitable, que la possibilité d’une rupture radicale avec l’ordre existant est plus que d’actualité, et que nous ne misons ni sur la catastrophe, ni sur sa « menace », mais bien sur l’hypothèse libératrice.

Il faudrait dire enfin que si cette critique parait aujourd’hui dérisoire, « à coté de la plaque » ou excessive, c’est parce que demain, la fausseté convaincue des alternatives existantes révèlera à nouveau son visage de mort, ses prétentions gerbées et son impasse calfeutrée. Car il faudra bien redonner tout son sens et une richesse nouvelle au vieux cri révolutionnaire « Terre et Liberté ».

La libération sera totale ou ne sera pas !

Quelques anarchistes verts de rage