DÉCLINS ET MÉTAMORPHOSES DE L’EMPIRE

« L’ennemi est la figure de notre propre question. »

Depuis la débâcle d’un ordre qui ne trouve sa justification que dans son instinctive volonté de conservation, nous assistons à une modification des rapports des forces politiques, qui ne va qu’en s’accentuant. Cette nouvelle donne se constitue autant sur le terrain de la classe politique et ses rituelles prévisibles, que sur les rapports de forces au sein de nos sociétés, où la tradition réactionnaire se donne à voir d’une nouvelle manière, avec bien sûr, toujours les mêmes paradigmes de l’ordre civilisationnel. Elle ne fait que dévoiler aux yeux de tous son incapacité à légitimer clairement son autorité.

C’est dans cette configuration que l’apparition de nouveaux groupes identitaires, tel que Vox Populi, oblige à se poser de nouvelles questions, qui soient à la hauteur de la situation. Ces groupes, et particulièrement à Tours, reçoivent l’appui tacite de la gauche institutionnelle : ils lui servent comme d’un repoussoir diabolique afin de mieux affirmer sa capacité à défendre l’unité de l’ordre républicain, comme outil d’une démocratie pacifiée. Du côté de la droite classique, ils incarnent la tentation à la violence qu’elle n’est pas capable d’afficher dans la rue, dans la mesure où sa police se doit d’affirmer une pseudo neutralité étatique : ses groupes sont potentiellement de futurs polices parallèles, des milices hors-contrôle qui serviraient à vaincre les probables désordres de la rue.

Nous sommes face à une intensification de la mise en place des dispositifs contre-insurrectionnels, dans lequel ses groupes identitaires ont aussi leur place. Ils pourront servir à toutes les forces sociales et politiques qui sont les partisans de l’ordre existant, soit qui l’assument aujourd’hui, soit qui l’assumeront demain.

Au vu d’une telle analyse, il ne suffit pas de prendre simplement acte d’un état de fait, mais d’y trouver les faiblesses où l’ennemi pourra être attaqué, et ainsi affaiblir ses positions.

DU BON USAGE DES FORCES EN PRÉSENCE

« Tout ce qui maintient quelque chose contribue au travail de la police. »

Nous avons bien conscience qu’une réponse au fascisme passant par l’ironie et la dérision, la massification impuissante, le désir d’un affrontement physique direct ne saurait être satisfaisant. Nous connaissons la nécessité stratégique et politique de sortir de la binarité apparemment indépassable fasciste-antifasciste. Nous expérimentons donc nos possibilités dans les limites de notre force.

Le soutien le plus puissant du fascisme se trouve au sein même de cette société : ses flics et ses patrons, ses travailleurs sociaux et ses huissiers, ses centrales nucléaires et ses pôles emplois. Les cartes d’identités et la vidéo-surveillance font déjà partis de notre habitat naturel. Comment soutirer à ce monde le désir d’ordre et d’obéissance, réelle base d’appui du devenir fasciste ?

Ce monde est une version consensuelle et acceptable de ce devenir, où le folklore visible des parades identitaires ne sont que le trop-plein d’un processus bien plus large et plus latent. Un épiphénomène à la mesure de la misère générale de notre époque…

L’argent et la dépossession qu’entraîne la marchandise, nous éloigne chaque jour un peu plus de notre puissance individuelle et collective. Face aux crises qui traversent depuis longtemps les sociétés capitalistes « avancées », les nouveaux visages du fascisme aspirent désespérément au retour d’une communauté autoritaire et mythique.

Le faux choix entre libéralisme existentielle et barbarie nous écarte de notre désir de commun et de joies à partager. Le défi est, maintenant pour nous, de se constituer en une force capable de vaincre à partir de ce désir, tout en le libérant. Une ligne de fuite mince et ténue comme un fil de rasoir…

REPLIS, DÉPASSEMENTS, ET ART ES CONSÉQUENCES…

« Impossible de rêver le futur, le seul futur est celui de l’expectative d’un désastre. »

Le fascisme se veut une totalité, et à se titre, il capitalise l’ensemble des peurs individuelles pour refonder un nouveau moralisme. L’éternel fantasme du retour à la terre, à l’unité de la famille, à la grandeur de l’Etat… C’est e n tant qu’idéologie, qu’il tente de constituer un corps homogène en donnant à la foule l’illusion d’une existence unique. Mais, paradoxalement, en tant qu’absolu de la destruction, il organise l’atomicité et le replis sur soi en projetant sur ‘« Autre » la figuration du mal.

De même que la volonté de bâtir une Europe aux allures de forteresse, ou de la chasse au sorcière à l’égard d’ennemis intérieurs qui lui échappent, le fascisme est une tentative de récupération des désirs de changement. Tout projet, aussi mortifère soit-il, semble dés lors justifiable, du moment qu’il se donne pour but de sauver et de restaurer ce qu’il peut encore l’être des paradigmes de l’occident.

Cette rigidification du moralisme ambiant est fondé sur une constante anticipation du pire. Le désir et l’appréhension de la catastrophe civilisationnelle, conduit soit au déni, soit à des réactions endémiques. Ainsi l’époque produit elle-même ces incommensurables forces intérieures qui, en tant qu’esprit et néant, nostalgies et fureurs, poussent chaotiquement l’évolution du monde vers la métamorphose ou le déclin.

Le déracinement individuel qu’impliquent toutes frustrations et adaptations à la modernité « blanche- hétérosexuelle », nous amène à contester celle-ci, ou à en assumer malheureusement les conséquences, c’est-à-dire à se ranger du côté de ceux qui accompagnent docilement cette chute sans fin. Le réel défi que pose le fascisme n’est pas tant celui de son accession au pouvoir (certains oseraient dire qu’il y est déjà), mais bien plus, celui de l’accession à la conscience qu’un bouleversement global, comme réponse sur le plan de la singularité et de son action, est seul véritablement réaliste.

L’incessant déclin, que connaissent nos sociétés aux volontés impérialistes, provoque des réactions et des processus de rigidification, qu’aucune idéologie ne sera à même de résoudre. Aucun programme qui ne puisse nous ré-enchanter ; ce n’est pas une mince affaire pour notre temps : trouver des réponse à des questions devenues sans fond…

Alors que la plupart de nos contemporains se maintiennent dans l’assurance d’un bonheur feint, les dernières évidences qui soutenaient la métaphysique marchande occidentale s ‘écroulent une à une. Tant que l’Ordre sera synonyme d’équilibre, d’harmonie et de beauté, la fascination du fascisme exercera sur nous son emprise, possédés par la volonté d’un pouvoir sur ce qui ne peut être défini, et d’un savoir sur ce qui ne peut être nommé.

Toute connaissance est connaissance
de ce qui nous est inconnu.

« Je m’éloigne de ceux qui attendent du hasard, du rêve, d’une émeute,
la possibilité d’échapper à l’insuffisance.
Ils ressemblent trop à ceux qui s’en sont autrefois remis à dieu
du souci de sauver leur existence manquée . »

APPENDICE(S)

(…) La relation qui s’établit entre rhétorique du parasite et violence promise apparaît dans son aveuglante clarté. « Parasite » a été, au XX siècle, l’un des sésames les plus efficaces de toutes épurations, les bruyantes comme les silencieuses. La coagulation de sens qui s’opère dans l’emploi politique du terme en démultiplie les effets, et en fait dans la mêlée des discours, une redoutable machine de guerre. (…) La prolifération d’un discours du parasite et du parasitisme en demi-teinte, s’agence sur des dispositifs d’amputations « allégés » : le refoulement, l’expulsion, le rejet plutôt que la mise à mort ; plutôt que de parasites, on parlera « d’en situation irrégulière », d’illégaux, de clandestins ; la neutralité du langage administratif vient masquer la brutalité des pratiques de séparation avec l’indésirable, comme la suggestivité de l’expression empruntée à la biologie venait intensifier et exalter les pratiques d’épuration et de nettoyage mises en œuvre par les défenseurs de la pureté du sang.
(…) Là où se sont retirés, ont perdu leur substance stratégique et leur souffle historique, les grands modèles (politiques) de l’affrontement massif et direct ( classe contre classe… ), de la bataille ou de l’insurrection qui impose la décision, là où la figure de la résistance, orpheline de sa majuscule, est conduite à se redéployer sur un mode non-héroïque, moléculaire davantage que molaire, de nouvelles tactiques, de nouvelles intensités sont appelées à se nouer autour du parasite et du parasitisme – ceci dans l’horizon général d’un indispensable redéploiement général de l’entendement politique. (…) Le devenir-parasite engage les subjectivités individuelles mais en appellent aussi à la formation de collectifs. En fait si l’on regarde de prés, les formes de résistance, de conduites de défection, de diversion, de ralentissement ou d’entrave, qui se déploient sur le versant du parasitisme (vol, coulage, refus de travailler, mendicité… ) font toujours revenir le sauvage au cœur même du monde civilisé, par quelque biais, elles passent toujours par des conduites d’ensauvagement.

Alain Brossat, Nous sommes tous des voleurs de poules roumains !

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(…) L’immensité de l’effort à accomplir, la nécessité de remettre en question toutes les valeurs auxquelles nous sommes attachés, d’en revenir à une nouvelle barbarie pour rompre avec la barbarie polie et camouflée qui nous sert de civilisation, l’inconnu vers lequel nous nous dirigeons – car nous nous ne savons absolument pas ce que pourra être l’homme –, les violences terribles que provoquent l’inégalité de satisfaction des besoins, l’asservissement aux choses, le gouvernement par les choses, ainsi que la dialectique propre de la technique, enfin l’inertie, la fatigue, tous contribuerait à renvoyer à une échéance de rêves (ou de sang). La réalisation d’un tel mouvement, c’est la pression des besoins de représenter une force, une réserve de durer très grande. On peut dire que la rapidité de progression du mouvement est surprenante, mais de toute manière il faut du temps, l’essentiel n’est d’ailleurs pas d’arriver, mais de partir, le commencement de l’homme sera l’événement par excellence et nous ne pouvons pas dire que nous soyons à un tel préliminaire – peut-être l’entrevoyons-nous, peut-être faut-il commencer sans cesse, c’est-à-dire ne jamais se fier au mot commencement. En tous cas, personne ne doute que la phrase de Marx : « Le règne de la liberté commence avec la fin du règne des besoins et des fins extérieures » ne promettent rien aux contemporains que la recherche d’une direction juste et la décision d’un avenir possible.
Il en résulte que les hommes d’aujourd’hui aussi ceux de plus tard, s’ils ne veulent s’exposer à vivre dans des apports d’illusion, n’ont apparemment d’autre issue que de s’en tenir à la forme de besoins les plus simples : il leur faut convertir toutes les valeurs en besoins. Cela signifie que, dans les rapports collectifs, nous ne devons avoir d’autre existence que celle qui rend possible le mouvement par lequel serait porter au pouvoir l’homme du besoin.
(…) La « communication », telle qu’elle se dévoile dans les rapports humains privées et se retire dans les œuvres que nous appelons encore œuvres d’art, ne nous indique peut-être pas l’horizon d’un monde dégagé des rapports trompeurs, mais nous aide à récuser l’instance qui fonde ces rapports, nous forçant à gagner une position d’où il serait possible de n’avoir pas de part aux « valeurs ». (…) Nietzsche voulait transmuer toutes les valeurs, mais cette transvaluation (du moins, dans la partie la plus visible, trop connue, de ses écrits) semblait laisser inapte la notion de valeur. C’est sans doute la tache de notre temps de s’avancer vers une affirmation tout autre. Tache difficile, essentiellement risquée. C’est à cette tache que le communisme nous rappelle avec une rigueur à laquelle il se dérobe souvent lui-même (…).

Maurice Blanchot, L’amitié, Sur une approche du communisme

« Cruel, moi ?
Je ne suis pas cruel,
je suis logique ! »