Non siamo indignati, siamo incazzati. Retour sur la journée du 15 octobre à Rome.
(Nous ne sommes pas indignés, nous sommes furax)

Rome, 15 octobre 2011

Aujourd’hui, manifestations appelées à une échelle internationale contre l’austérité, la crise… Des cortèges dans plus de 80 villes un peu partout dans le monde. À Rome, près de 200 000 personnes sont dans la rue. Les syndicats de base (Cobas), les précaires, les « indignés » de tous poils qui appellent à un campement à la fin de la manif’, un pink bloc, des anarchistes et tout plein d’autres révoltés. Une large partie de l’antagonisme social a répondu à l’appel, des bus sont arrivés de toute l’Italie.
Au milieu de toute cette faune, un cortège autonome regroupé derrière une grande banderole qui proclame : « Nous ne demandons pas un futur, nous prenons le présent ».
Vers 14h, le cortège se met en marche depuis Termini, la gare centrale de Rome, et s’engage dans la via Cavour, une grosse artère qui mène vers les lieux historico-touristiques du Colisée et du Forum. Assez rapidement, des fumigènes sont allumés, les gens se masquent, des tags fleurissent sur les murs. Cette journée ne sera pas calme, et encore moins « indignée ».
On croise les premières banques. Les vitrines explosent. Puis des voitures commencent à se faire éclater, deux prennent feu dans cette rue. Tous les symboles du fric, du travail et du contrôle que l’on croise sont attaqués : caméras, bijouterie, horodateurs, station-service… Arrivés au niveau du Forum, un imposant barrage de keufs nous empêche de bifurquer vers le centre-ville. La crainte que des affrontements comme ceux du 14 décembre dernier se répètent est bien présente.
On continue donc à suivre le gros de la manif’ qui se dirige vers San Giovanni, une zone un peu excentrée, habituel terme des gros rendez-vous militants type 1er mai, loin du cœur financier et politique de la ville. Au niveau du Colisée, on reste à l’arrêt ou presque pendant un long moment. C’est un peu la foire au spectacle, avec tous les touristes en short à fleur qui semblent ravis d’avoir un extra à leurs vacances et qui pourront ramener des photos exotiques d’un « black bloc » comme dit la presse. De nombreuses embrouilles éclatent à ce moment-là avec les gens qui filment et photographient, mais aussi avec des citoyens-flics qui nous traitent de fascistes parce qu’on ne rentre pas dans leur grille de lecture pacifisto-non-violente.
Malgré tout, on se remet en marche. On sort de cette zone à monuments et rapidement les actions directes reprennent. À nouveau, des caméras sont pétées, les murs tagués, une banque et une assurance défoncées. Puis, ce qui va marquer un tournant, un bâtiment du ministère de la défense, accolé à un autre de la Guardia di finanza (un des corps de la police). Là, la rage se déchaine. Les vitres tombent, les portes sont enfoncées, des fumis jetés dedans, des voitures incendiées devant.
La tension monte énormément et les flics, qui s’étaient tenus à l’écart jusqu’à présent se rapprochent. Des barricades sont montées derrière nous à l’aide de conteneurs à poubelles et de quelques barrières ou scooters mis en travers de la route.
Après une altercation avec des types qui semblent appartenir à un service d’ordre (à moins que ça ne soit « l’amicale des propriétaires de 4×4 incendiés »), place aux premières charges de police. Leur stratégie semble rodée : des camionnettes avancent à toute allure en zig-zag pour défoncer les barricades et nous faire reculer, pendant que les autres à pied avancent au pas de course derrière. À ce moment-là, nous nous retrouvons un peu désorganisés et nous sommes obligés de fuir jusqu’à l’intersection suivante. Nous ne sommes plus très loin de San Giovanni. Dans la rue qui y mène, de nouvelles barricades sont érigées, des voitures mises en travers. Ça nous permet de tenir un peu plus longtemps, mais les charges des fourgons et les lacrymos nous entraînent jusqu’à San Giovanni, une grande place, ou plutôt un gros carrefour, où des stands sont déjà montés par des gauchistes divers et variés.
Là, les affrontements s’organisent. Nos ripostes sont plus incisives et on ne perd plus vraiment de terrain. Ça dépave, les lacrymos sont renvoyées, le maalox et le citron tournent, des molotov volent. Ce n’est plus seulement un « black bloc » qui se bat avec la police, mais tous ceux et celles qui ont la rage et veulent en finir avec ce monde. Seuls les menteurs et les journaflics peuvent encore affirmer le contraire.
Les keufs ont beau sur-gazer et ramener les canons à eau, on parvient à les faire reculer de nombreuses fois. Un sentiment de force se diffuse parmi nous, ça sent la joie, des gens tombent dans les bras les uns les autres au milieu des gaz à chaque fois que nous chassons les condés. Une des églises de la place voit sa porte forcée et une vierge est sortie dans la rue avant d’être éclatée par terre. Un connard du Vatican parlera plus tard d’un « affront fait à tous les catholiques ».
Des renforts de policiers arrivent encore. Mais ils ne reprennent toujours pas de terrain. Pire pour eux, en continuant à foncer dans la foule avec leurs camions (ils manquent plusieurs fois d’écraser des gens, et ils emboutissent notamment les camions des Cobas qui étaient restés là en soutien), ils ne font qu’attiser la colère des gens. Et c’est tant mieux…
Après environ 2h d’affrontements, on sent qu’ils décident d’élever le niveau. De plus en plus de lacrymos sont tirés et l’air devient vraiment irrespirable. Nous sommes alors contraints de refluer sur une place voisine. Les camions de police continuent à avancer, mais l’un d’eux, un peu trop sur de lui se retrouve seul au milieu de la foule. La riposte est immédiate. Le camion bloqué. Les portières arrachées. Le flic dedans prend des coups et s’en sort un peu miraculeusement en prenant ses jambes à son cou. La camionnette, elle, est incendiée.
L’intensité est à son comble. On lance une dernière contre-attaque sur San Giovanni qui fait fuir les keufs, mais rapidement on s’essouffle. On recule à nouveau. Les sbirri commencent à arriver de plusieurs cotés. Il nous reste une rue pour repartir, dans laquelle de nouvelles barricades sont montées et incendiées. La nuit tombe et beaucoup de gens commencent à s’en aller. Quelques heurts se poursuivent encore avant la dispersion finale.

Cette manif’ doit être comprise comme un signal, un message envoyé à tous les enragés du monde entier. D’Athènes à Mayotte, de Boston au val Susa, c’est la même colère qui monte. Le sentiment d’un moment historique, ou plus précisément d’une phase dans l’histoire du capitalisme, où quelque chose est en train de changer. Ceux qui sont sur leurs trônes, cachés derrière leurs polices, sentent que leur pouvoir vacille. À nous de savoir cueillir ce moment, de le transformer en quelque chose de plus profond, de plus viable qu’une simple explosion de rage. En un mouvement révolutionnaire.
Ce qui a éclaté à Rome ce 15 octobre a montré que, organisés et solidaires, nous n’avions plus peur, nous pouvions faire reculer la police. Que les keufs ne pouvaient pas tout se permettre, car nous étions là pour répondre à leurs coups. Nous avons également posés une franche rupture avec ce non-concept politique qu’est l’indignation. Celle qui n’engage à rien et qui donne bonne conscience. Rien à foutre de votre moralisme bien pensant. Nous sommes en guerre; vous nous avez considérés comme des invisibles : nous avons pris un visage dans les rues de Rome.
Cette journée a donné le ton pour un automne qui s’annonce chaud. Désormais, il nous faut nous organiser pour poursuivre dans cette ligne, pour maintenir la tension haute, et pour donner de la résonnance à cet appel. Ce n’est qu’à ces conditions que l’on s’engage sur la voie irréversible de l’insurrection.

Le ciel sera notre seule limite.