Le Caire – nuit du dimanche 9 au lundi 10 octobre 2011

Aujourd’hui, comme la semaine dernière, de nombreux-ses coptes* s’étaient rassemblé-es au Caire, à Maspero, à proximité du siège de la télévision nationale, pour protester contre l’interdiction de reconstruire une église à Assouan, et le rôle des autorités égyptiennes dans cette situation.
La semaine dernière déjà, le rassemblement avait été violemment réprimé par l’armée. Rappelons que ce sont les militaires, via le Conseil Suprême des Forces Armées, qui gèrent le pays d’une main de fer depuis la chute de Moubarak. Certain-es disent même qu’ils alimentent les tensions, notamment inter-religieuses, afin d’apparaître comme indispensables au maintien de l’ordre et de la sécurité dans le pays…

Mais ce soir, ils sont allés – beaucoup – trop loin.
Sans qu’on sache vraiment pourquoi, vers 18-19h, l’armée a commencé à tirer sur la foule rassemblée à Maspero, une dizaine de morts est annoncée.
Aussitôt, c’est l’embrasement. Des milliers d’Egyptiens (majoritairement des jeunes hommes Coptes) vont s’affronter des heures durant avec les militaires, les forces de la sécurité intérieure, et des baltaguis**.

Sur place, on a l’impression d’assister à des scènes de guerre. Des personnes courent dans tous les sens, en fonction des déplacements des militaires, de nombreuses personnes sont blessées, plusieurs tuées, les ambulances, trop peu nombreuses, ont du mal à accéder au site, le trafic entier d’axes centraux du Caire est bloqué, et l’on entend régulièrement des coups de feu jaillir des rangs de l’armée. Gaz lacrymogènes (particulièrement forts) et tirs à balle réelles s’opposent aux jets de pierre des manifestants, qui reculent petit à petit vers la place Tahrir.
Le mythe entretenu depuis la Révolution du 25 Janvier que l’armée égyptienne ne tirerait jamais sur le peuple vole en éclats: à 1h du matin le 10 octobre, on parlait de 55 morts côté manifestants!!

La situation reste tendue un moment autour de la place Tahrir, créant une ligne de front à l’avant, au niveau de la gare de bus Abdel Monem Riyadh, pendant qu’à l’arrière, le long du musée égyptien, la solidarité s’organise. On escorte les blessés, on s’échange bouteilles d’eau et compresses, et surtout, en plein cœur des affrontements, on entend toujours des groupes chanter « Chrétiens, Musulmans, Une seule main! » comme pour réaffirmer l’unité du peuple égyptien contre la dictature qui l’oppresse. L’autre slogan phare des manifestant-es était ainsi: « Le peuple veut la chute du général » (i.e. Tantaoui).

A un moment, les forces anti-émeutes surgissent par l’arrière, côté Tahrir, forçant les manifestant-es à se disperser dans les rues du centre-ville. On assiste alors à des scènes irréelles. Le centre-ville est très rapidement barricadé, les rues désertées (ce qui est complètement inhabituel au Caire!), et l’on voit des militaires en armes pourchasser – et tabasser – des civils en pleine rue!!
Assez rapidement évidement, la réponse officielle arrive: l’armée n’a rien à se reprocher, et un couvre-feu est imposé. Rentrez chez vous, ya rien à voir…

Huit mois presque jour pour jour après le départ de Moubarak, la Révolution égyptienne est donc entrée dans une nouvelle phase. Une phase particulièrement dangereuse, puisqu’en plus d’opposer une population civile désarmée à des militaires ne voulant rien lâcher de leur pouvoir, les menaces d’une division entre communautés coptes et musulmanes risquent de faire véritablement basculer le pays.
Espérons que les jours à venir montreront que les peuple égyptien est capable de rester une fois de plus uni, pour renverser un régime qui montre (enfin) son vrai visage: oppressif, autoritaire et inhumain.

* Coptes: Chrétien-nes d’Egypte. Principale communauté chrétienne au Moyen-Orient, elle représente 10 à 20% de la population égyptienne.

** Baltaguis: Hommes de mauvaise main employés par les autorités pour faire le sale boulot qu’elles ne sont pas sensées faire….