L’ampleur de la catastrophe en cours à Fukushima révèle une fois de plus l’exploitation prédatrice de la nature par le capitalisme. L’espèce humaine a toujours été amenée pour vivre à transformer la nature. Mais le Capital pose aujourd’hui un nouveau problème : ce système ne produit pas pour satisfaire les besoins de l’humanité mais pour le profit. Il est prêt à tout pour cela. Laissé à sa seule logique, ce système finira donc par détruire la planète.

Au sein de cette nouvelle série, nous allons donc retracer brièvement l’histoire des rapports entretenus par l’Homme à la nature pour mieux comprendre les dangers actuels mais aussi les nouvelles possibilités énergétiques qui pourraient s’ouvrir à l’Homme dans la société future, le communisme.

Le désastre du réacteur nucléaire

de Fukushima au Japon au mois de mars  dernier a réouvert le débat sur le rôle de la puissance nucléaire dans les besoins que connaît l’énergie mondiale. Beaucoup de pays, y compris la Chine, ont annoncé qu’ils allaient revoir ou temporairement arrêter leur programme de constructions de centrales tandis que la Suisse et l’Allemagne sont allées plus loin et prévoient de remplacer leur capacité nucléaire. Dans le cas de ce dernier pays, 8 des 17 centrales du pays seront fermées cette année avec un arrêt de toutes en 2022 et seront remplacées par des sources d’énergie renouvelables. Ce changement a provoqué de puissants avertissements de la part de l’industrie nucléaire et certains grands utilisateurs d’énergie de problèmes de réserves et de grosses augmentations des prix. Depuis ces dernières années, on avait vu des rapports sur la renaissance de l’industrie nucléaire avec 60 centrales en construction et une 493e planifiée selon le groupe industriel World Nuclear Association1. En Grande-Bretagne, il y a eu un débat sur les risques et les bénéfices du nucléaire comparé à celui des plus profitables énergies vertes. George Monbiot, par exemple, a annoncé non seulement sa conversion au nucléaire comme la seule voie réaliste pour éviter le réchauffement global de la planète2 mais allant jusqu’à attaquer ses anciens collègues du mouvement anti-nucléaire d’ignorer la question scientifique du risque réel de la puissance nucléaire3.

En réalité, le problème du nucléaire ne peut être compris comme une question purement technique ou comme une équation déterminée par les différents coûts ou bénéfices du nucléaire, de l’énergie fossile ou des énergies renouvelables. Il est nécessaire de s’arrêter et de regarder l’ensemble de la question de l’utilisation de l’énergie dans la perspective historique de l’évolution de la société humaine et des différents modes de production qui ont existé. Ce qui suit se veut être une esquisse nécessairement brève d’une telle approche.

L’utilisation de l’énergie et le développement humain

L’histoire de l’humanité et des différents modes de production est aussi l’histoire de l’énergie. Les premières sociétés de chasseurs-cueilleurs vivaient principalement de l’énergie humaine comme de celle des animaux et des plantes produites par la nature avec une intervention plutôt modérée, même si certains usages impliquaient l’utilisation du feu pour la déforestation en vue de cultures ou pour abattre les arbres. Le développement de l’agriculture au néolithique marqua un changement fondamental dans l’utilisation de l’énergie par l’humanité et dans ses relations avec la nature. Le travail humain fut organisé sur une base systématique pour transformer la terre, avec des forêts nettoyées et des murs érigés pour élever les animaux domestiques. Les animaux commencèrent à être utilisés pour l’agriculture et donc dans certains processus productifs comme les moulins à grains. Le feu servait à réchauffer et faire la cuisine et pour des processus industriels comme la fabrication de poteries et la fonte des métaux. Le commerce se développa également, reposant à la fois sur la puissance du muscle et de l’animal mais aussi exploitant la force du vent pour traverser les océans.

La révolution néolithique transforma la société humaine. L’augmentation des sources de nourriture qui en résulta conduisirent à une augmentation significative de la population et à une plus grande complexité de la société, avec une partie de la population allant graduellement de la production directe de nourriture vers des rôles plus spécialisés liés aux nouvelles techniques de production. Certains groupes furent aussi libérés de la production pour prendre des rôles militaires ou religieux. Ainsi, le communisme primitif des sociétés de chasseurs-cueilleurs se transforma en sociétés de classe, les élites militaires et religieuses soutenues par le travail des autres.

Les accomplissements des sociétés dans l’agriculture, l’architecture et la religion requéraient tous l’utilisation concentrée et organisée du travail humain. Dans les premières civilisations, ils furent le résultat de la cœrcition massive du travail humain, qui trouva sa forme typique dans l’esclavage. L’utilisation par la force de l’énergie d’une classe assujettie permit à une minorité d’être libérée du travail et de vivre une vie qui exigeait la mobilisation d’un niveau de ressources bien supérieur à celui qu’un individu aurait pu réaliser pour lui-même. Pour donner un exemple : une des gloires de la civilisation romaine était les systèmes de chauffage des villas qui faisaient circuler de l’air chaud sous les sols et dans les murs ; rien de comparable n’a été vu par la suite durant des siècles où même les rois vivaient dans des bâtiments qui étaient si froids qu’on raconte que le vin et l’eau gelaient sur les tables l’hiver4. Ces systèmes étaient le plus souvent construits et entretenus par des esclaves et consommaient de grandes quantités de bois et de charbon. La chaleur dont profitait la classe dominante venait de l’appropriation de l’énergie humaine et naturelle.

La relation entre l’humanité et la nature

Le développement des forces productives et des sociétés de classe qui était à la fois la conséquence et l’aiguillon de ces dernières changea la relation entre l’homme et la nature comme il avait changé la relation entre les gens. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs étaient immergées dans la nature et dominées par elle. La révolution de l’agriculture poussa à contrôler la nature avec les cultures et la domestication des animaux, le défrichement des forêts, l’amendement des sols par l’utilisation de fertilisants naturels et le contrôle des apports d’eau.

Le travail humain et celui du monde naturel devinrent des ressources à exploiter mais aussi des menaces devant être dominées. Il en résulta que les Hommes – exploités et exploiteurs – se détachèrent de la nature et les uns des autres. Vers le milieu du 19e siècle, Marx montra l’intime inter-relation entre l’humanité et la nature qu’il vit comme la “vie des espèces” : “Physiquement, l’homme ne vit que de ces produits naturels, qu’ils apparaissent sous forme de nourriture, de chauffage, de vêtements, d’habitation, etc. L’universalité de l’homme apparaît en pratique précisément dans l’universalité qui fait de la nature entière son corps non-organique, aussi bien dans la mesure où, premièrement, elle est un moyen de subsistance immédiat que dans celle où, [deuxièmement], elle est la matière, l’objet et l’outil de son activité vitale. La nature, c’est-à-dire la nature qui n’est pas elle-même le corps humain, est le corps non-organique de l’homme. L’homme vit de la nature signifie : la nature est son corps avec lequel il doit maintenir un processus constant pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l’homme est indissolublement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissolublement liée avec elle-même, car l’homme est une partie de la nature.”5 Le capitalisme, le travail salarié et la propriété privée déchire tout cela, détournant la production du travail ouvrier en “une puissance autonome vis-à-vis de lui” et transformant la nature qui “s’oppose à lui, hostile et étrangère.”6

L’aliénation, que Marx voyait comme une caractéristique du capitalisme dont la classe ouvrière faisait l’expérience de façon très aiguë, avait émergé en fait avec l’apparition des sociétés de classe mais s’accélérait avec la transition vers le capitalisme. Tandis que l’humanité toute entière est affectée par l’aliénation, son impact et son rôle n’est pas le même qu’il s’agisse de la classe exploitante ou de la classe exploitée. La première, en tant que classe qui domine la société, pousse vers l’avant le processus d’aliénation tout comme elle anime le processus d’exploitation et ressent rarement ce que cela provoque, même si elle ne peut échapper aux conséquences. La seconde ressent l’impact de l’aliénation dans sa vie quotidienne comme un manque de contrôle sur ce qu’elle fait et ce qu’elle est mais absorbe en même temps la forme idéologique que prend l’aliénation et le répète en partie dans ses relations humaines et dans sa relation avec le monde naturel.

Le processus a continué depuis que Marx l’a décrit. Au siècle dernier, l’humanité aliénée s’est entredévorée dans deux guerres mondiales et a vu l’effort systématique effectué pour anéantir des parties d’elle-même dans l’holocauste de la Seconde Guerre mondiale et lors des “nettoyages ethniques” des vingt dernières années. Elle a également exploité et détruit la nature brutalement au point que le monde naturel et toute vie menacent de s’éteindre. Cependant, ce n’est pas une humanité vue comme une abstraction qui a fait cela mais la forme particulière de société de classe qui est arrivée à dominer et menacer la planète : le capitalisme. Ce ne sont pas non plus tous ceux qui vivent dans cette société qui en portent la responsabilité : entre les exploiteurs et les exploités, entre la bourgeoisie et le prolétariat, il n’y a pas d’égalité de pouvoir. C’est le capitalisme et la classe bourgeoise qui ont créé ce monde et qui en portent la responsabilité. Cela peut déranger ceux qui veulent nous mettre tous ensemble dans le même sac pour le “bien commun”, mais l’histoire a montré que notre conclusion est correcte.

Courant Communiste International

1) Financial Times du 6 juin 2011, “Nuclear power : atomised approach”.

2) Guardian du 22 juin 2011, “Why Fukushima made me stop worrying and love nuclear power”.

3) Guardian du 5 avril 2011, “The unpalatable truth is that the anti-nuclear lobby has misled us all”.

4) Fernand Braudel, Civilisation and Capitalism 15th – 18th Century, Volume one : The Structures of Everyday Life, p.299. William Collins Sons and Co. Ltd, London.

5) Marx, manuscrits ) philosophiques et économiques de 1844, “Le travail aliéné” (www.marxists.org)

6) Ibid.

————————————————————————————————————————————————————–

L’énergie à l’aube du capitalisme

La révolution industrielle a aussi été une révolution de l’énergie, dans l’utilisation de ses sources qui ont permis à la société d’aller au-delà des frontières imposées par « l’économie organique » qui la cantonnait à la croissance saisonnière des ressources d’énergie naturelles pour assouvir la plupart de ses besoins. Cependant, au cours de la révolution industrielle, prédominait l’utilisation principale du charbon qui est allée de pair avec les changements du mode de production, ainsi que l’émergence de la bourgeoisie comme classe qui a poussé au développement de la technologie pour extraire et utiliser les gisements charbonneux.[1].

Autant les premiers jours du capitalisme ont vu une utilisation extensive et plus systématique des moyens de production existants, autant on a vu un usage des ressources énergétiques existantes poussées à leurs limites.

Dans l’économie organique qui a prédominé depuis la révolution néolithique jusqu’à l’adoption à grande échelle du charbon pendant la révolution industrielle, la puissance humaine et animale ainsi que celle du bois furent les principales sources d’énergie. En 1561-70, elles représentaient respectivement 22,8%, 32,4% et 33% de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. Le vent et l’énergie hydraulique faisaient tout juste plus de 1% combinés ensemble alors que le charbon comptait pour 10,6%.[2]

L’abondance du bois en Europe lui donna un avantage sur les sociétés où il était rare, mais le développement de la production épuisa ces ressources et enraya la croissance. Ainsi en 1717, un haut-fourneau du Pays de Galles n’était pas allumé depuis quatre ans après sa construction que le bois et le charbon accumulés ne pouvaient donc assurer régulièrement la production que pour 15 semaines par an pour la même raison.[3]

Avant le 18e siècle, il a été calculé qu’un haut-fourneau standard travaillant deux ans sans interruption exigeait la coupe de 2000 hectares de forêt.[4]

En Galles du Sud, bien connu pour ses mines de charbon, les premières étapes de la révolution industrielle ont témoigné du développement des aciéries et ont conduit à la déforestation des vallées qui étaient autrefois densément boisées. La croissance de la demande en bois amena des augmentations de prix et des famines qui affectèrent le plus grand nombre des pauvres. Dans certaines parties de la France, il n’y avait pas assez de bois pour les fours à pain et, dans d’autres, il est raconté que « les pauvres vivaient sans feu ».[5]

Les limites à la production imposée par l’économie organique ne peuvent être considérées qu’en calculant le nombre de troncs qui aurait été nécessaire pour réaliser une consommation conséquente d’énergie à partir du charbon. Le bois n’est pas une source d’énergie aussi efficace que le charbon, car deux tonnes de bois sont nécessaires pour produire la même énergie qu’une tonne de charbon et trente tonnes pour produire une tonne d’acier. Un acre de bois (0,4 hectare) peut produire environ l’énergie équivalente d’une tonne de charbon en un an. En 1750, 4 515 000 tonnes de charbon ont été extraites en Angleterre et au Pays de Galles. Pour produire la somme équivalente d’énergie, utiliser le bois aurait demandé 13 045 000 tonnes, c’est-à-dire 35% de la surface boisée (11,2 millions d’acres). Un demi-siècle plus tard, la production avait atteint 65 050 000 tonnes, ce qui revient à pas moins de 150% de la même surface (48,1 millions d’acres).[6]

Une des clés de la domination britannique sur le monde a été qu’elle avait des réserves de charbon qui étaient accessibles en utilisant la technologie existante. Cela a pu créer l’impulsion pour développer les moyens de production afin de permettre l’extraction de charbon à des niveaux plus profonds.

Charbon et pétrole : les fondements du capitalisme industriel

Avant l’utilisation à grande échelle du charbon, l’énergie utilisable était essentiellement déterminée par la quantité d’énergie solaire qui était convertie en croissance des plantes par la photosynthèse. Ceci impliquait la production de nourriture pour les humains et les animaux et celle du bois. Ce cycle naturel semblait imposer une limite insurmontable à l’accumulation d’énergie musculaire et thermique qui pouvait être utilisée et donc au niveau de la production et de la prospérité de la société. La pauvreté et la misère généralisée semblaient éternelles, inaltérables, des données de la vie. L’extraction à grande échelle du charbon et aussi du pétrole a brisé cette barrière en permettant l’accès aux sources d’énergie de la terre, à la production de la photosynthèse des millénaires passés.[7]

Le 19e siècle et la première partie du 20e ont été dominés par l’utilisation du charbon. L’avancée de la révolution industrielle est souvent mesurée en tonnes de minerai de charbon, en tonnes d’acier produites et en kilomètres de chemin de fer posés. Nous en avons donné quelques indications ci-dessus, mais elle peut aussi être mesurée par le modèle changeant d’utilisation de l’énergie et par l’augmentation de l’énergie utilisée par personne. Nous avons vu qu’en 1560 le charbon comptait pour à peine plus de 10,6% de l’énergie consommée en Angleterre et au Pays de Galles. En 1850, il compte pour 92%. A l’origine, le charbon servait pour remplacer le bois dans des industries telles que la poterie et des préparations qui exigeaient de grandes quantités de chaleur et il n’affectait qu’assez peu l’organisation de l’époque sur la production et l’augmentation directe de la productivité. Les machines à vapeur statiques étaient utilisées pour pomper l’eau des mines, lesquelles, bien qu’inefficaces, permettaient que le charbon et d’autres ressources, aussi faibles qu’en Cornouailles, soient prélevés de profondeurs jusqu’alors inaccessibles. Les machines étaient donc adaptées à manier des équipements, comme dans l’industrie du coton, et comme moyens de transport. La consommation totale d’énergie augmenta progressivement dans la révolution industrielle. En 1850, en Angleterre et au Pays de Galles, celle-ci fut au total 28 fois supérieure à elle de 1560. Cela était dû en partie à la croissance substantielle de la population qui a été constatée pendant cette période mais l’échelle réelle de cette montée est montrée par le fait que la consommation par personne a été multipliée par cinq.[8]

L’industrie du pétrole s’est développée graduellement pendant le 20e siècle avec des développements significatifs dans les techniques de production et avec le niveau de production qui a eu lieu dans les années de l’entre-deux-guerres. En 1929, le commerce du pétrole avait augmenté de 1,170 million de dollars, les principaux exportateurs étant les Etats-Unis, le Venezuela et les Antilles néerlandaises, bien que des raffineries aient aussi été établies au Barheïn et en Arabie Saoudite par les Etats-Unis et en Irak et au Liban par des entreprises britanniques et européennes.[9]

Cependant, ce fut seulement après la Seconde Guerre mondiale que le pétrole est devenu comme la production d’énergie dominante, comptant pour 46,1% de la production mondiale d’énergie en 1973, bien qu’il soit descendu en 2008 à 33,2%.

L’utilisation croissante de l’énergie a été un trait marquant de l’industrialisation partout dans le monde. Elle exprime non seulement la poussée de l’échelle de la production et l’impact de la croissance de la population, mais aussi le développement de la productivité avec la croissance en quantité des moyens de production, l’énergie comprise, que chaque ouvrier est capable de mettre en ?uvre. Cette tendance a perduré de nos jours : entre 1973 et 2008, la consommation totale d’énergie a augmenté de 80%.[10]

La révolution en forme et en quantité d’énergie offerte à l’humanité a dopé la révolution industrielle et a ouvert la porte à la possibilité de passer du règne de la volonté à celui de l’abondance. Mais cette révolution a été conduite par le développement du capitalisme dont le but n’est pas la satisfaction des besoins humains mais la croissance du capital sur la base de l’appropriation de la plus-value produite par une classe ouvrière exploitée.

Le capitalisme n’a pas d’autre critère pour utiliser l’énergie, pour détruire les ressources finies, que celui du coût de production qu’il représente. L’augmentation de la productivité pousse à exiger plus d’énergie, aussi les capitalistes (autres que ceux impliqués dans l’industrie du pétrole) sont amenés à essayer de réduire le coût de cette énergie. D’un côté, ceci conduit à une utilisation prolifique de cette énergie à des fins irrationnelles, telles que le transport des mêmes marchandises en tous sens à travers le monde, et à la multiplication sans fin de marchandises qui ne représentent aucun besoin humain mais servent uniquement de moyens pour extraire et réaliser la plus-value. De l’autre, ceci conduit à ce que des millions d’êtres humains ne puissent accéder à cette ressource et à ces produits parce qu’ils ne présentent pas assez d’intérêt financier pour les capitalistes. Cela s’illustre au Niger où Shell pompe des milliards de dollars de pétrole alors que la population locale n’en a pas ou bien risque sa vie pour en prendre illégalement dans les pipelines. Le prix est aussi payé par ceux qui travaillent dans les industries énergétiques et dont l’organisme est miné ou empoisonné par l’environnement dans lequel ils vivent, des eaux toxiques polluées de la Tamise qui ont caractérisé le 19e siècle à Londres jusqu’au réchauffement de la planète qui menace le futur de l’humanité aujourd’hui.

L’énergie nucléaire

La possibilité d’utiliser la fission ou la fusion nucléaires pour produire de l’énergie est connue depuis environ un siècle, mais c’est seulement après la Seconde Guerre mondiale qu’elle a pu être menée à bien. Aussi, bien que le contexte général est le même que celui souligné ci-dessus, la situation spécifique de l’après-guerre est dominée par la rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS, avec la course aux armements qui s’en est suivie. Le développement de l’énergie nucléaire n’est donc pas seulement inextricablement lié à celui des armes nucléaires mais a été probablement l’écran de fumée de ce dernier.

Au début des années 1950, le gouvernement américain était inquiet de la réaction du public au danger de l’arsenal nucléaire qu’il avait mis en oeuvre et à la stratégie de la « première frappe » qui avait été proposée. Sa réponse fut d’organiser une campagne connue sous le nom d’Opération Candor pour gagner l’opinion grâce à des messages dans les médias (y compris des bandes dessinées) et par une série de discours du président Eisenhower qui ont culminé dans l’annonce à l’assemblée générale de l’ONU du programme « Des atomes pour la paix » pour « encourager l’investigation au niveau mondial de l’utilisation la plus efficace en temps de paix des matériaux fissibles ».[11] Le plan incluait une information et des ressources partagées, avec les Etats-Unis comme l’URSS créant de façon conjointe un stock de matériau fissible. Dans les années qui ont suivi la course aux armements des armes nucléaires se sont répandues chez d’autres puissances, souvent sous le prétexte de développer un programme civil nucléaire, comme en Israël et en Inde. Les premiers réacteurs produisaient de grandes quantités de matériel pour les armes nucléaires et une petite quantité pour une électricité très dépensière. Le partage de la connaissance en matière de nucléaire fit alors partie des luttes impérialistes au niveau mondial ; ainsi, à la fin des années 1950, la Grande-Bretagne soutint secrètement Israël avec de l’eau lourde pour le réacteur qu’elle avait construit grâce à l’assistance française.[12] En dépit des discours sur cette énergie moins chère, la puissance nucléaire n’a jamais rempli cette promesse et a eu besoin du soutien de l’Etat pour couvrir son coût réel. Là où des compagnies privées construisent et dirigent des usines, il existe habituellement des subsides ouverts ou cachés. Par exemple, la privatisation de l’industrie nucléaire en Grande-Bretagne a avorté lorsque Thatcher dans les années 1980 l’a attaquée parce que le capital privé reconnaissait qu’il y avait des risques et des coûts non quantifiables. Ce n’est qu’en 1996, alors que les vieux réacteurs Magnox qui avaient déjà besoin d’être mis au rancart ont été exclus de l’accord que les investisseurs privés avaient préparé un contrat pour acheter British Energy à un prix cassé de 2 milliards de livres. Six ans plus tard, la compagnie devait être cautionnée d’un prêt du gouvernement de 10 milliards de livres.[13]

Alors que les avocats du nucléaire arguent aujourd’hui qu’il est meilleur marché que d’autres sources d’énergie, ceci reste une affirmation discutable. En 2005, l’Association Mondiale du Nucléaire (World Nuclear Association) statuait sur le fait que : « Dans la plupart des pays industrialisés aujourd’hui, de nouvelles usines nucléaires offrent la façon la plus économique de créer de l’électricité à bas coût sans considération des avantages géopolitiques et environnementaux que confère l’énergie nucléaire » et publiait une série de statistiques pour soutenir la demande selon laquelle la construction, le financement, la mise en oeuvre et les coûts que représentent les déchets ont tous été réduits.[14] Entre 1973 et 2008, la proportion d’énergie provenant des réacteurs nucléaires est montée de 0,9% à un total global de 5,8%.[15]

Un rapport publié en 2009, demandé par le gouvernement fédéral allemand[16], fait une évaluation de loin plus critique de l’économie du nucléaire et questionne l’idée d’une renaissance du nucléaire. Ce rapport montre que le nombre de réacteurs a chuté ces dernières années en contradiction avec les projets plus larges d’augmentations à la fois des réacteurs et de l’énergie produite. L’augmentation de puissance générée qui a eu lieu durant cette période est le résultat de la rentabilité des réacteurs existants et de l’extension de leur vie opérationnelle. Il continue en argumentant qu’il existe une incertitude sur les réacteurs couramment décrits comme étant « en construction », un certain nombre étant dans cette position depuis plus de 20 ans. Le nombre de ceux en construction est tombé d’un pic de 200 en 1980 à moins de 50 en 2006.

Au regard de l’économie du nucléaire, le rapport montre le haut niveau d’incertitude dans toutes les zones incluant le financement, la construction et l’entretien.

Il montre que l’Etat reste central pour tous les projets nucléaires quels que soient ceux auxquels ils appartiennent ou qui les dirigent. Un de ces aspects tient dans les formes variées des subsides fournis par l’Etat pour soutenir les coûts du capital investis dans l’entretien comme dans les démantèlement des usines, ainsi que le soutien des prix. Un autre a été la nécessité pour l’Etat de limiter la responsabilité de l’industrie afin que le secteur privé en accepte les risques. En 1957, le gouvernement américain a marqué le pas lorsque les compagnies d’assurance refusèrent de couvrir l’assurance car il leur était impossible de quantifier les risques.[17] Aujourd’hui, on estime qu’ « en général, les limites nationales sont de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros, moins de 10% du coût de construction d’une usine et bien moins que le coût de l’accident de Tchernobyl. »[18]

Les dangers de l’énergie nucléaire sont aussi fortement débattus que les coûts et les preuves scientifiques apparaissent très variables. Cela est particulièrement le cas du désastre de Tchernobyl dont l’estimation des morts qui en ont résulté varie largement. Un rapport de l’OMS considère que 47 des 134 ouvriers irradiés au cours de l’intervention d’urgence sont morts des suites de la contamination en 2004[19] et estime qu’il y aurait à peine moins de 9000 morts de plus par cancer provoqué par la catastrophe.[20] Un rapport de scientifiques russes publié dans les Annales de l’Académie des Sciences de New-York pense que, de la date de l’accident jusqu’en 2006, ce sont 985 000 morts de plus qu’il faut compter, des cancers à toute une série d’autres maladies.[21]

Pour tous ceux qui n’ont pas la connaissance scientifique et médicale des spécialistes, il est difficile de s’y retrouver mais, ce qui est moins douteux, c’est le niveau massif de secret et de falsification en cours, depuis la décision du gouvernement britannique de retenir la publication du rapport sur un des premiers accidents à la centrale de Windscale en 1957 jusqu’à Fukushima aujourd’hui où le vrai niveau de catastrophe n’émerge que lentement. Pour revenir à Tchernobyl, le gouvernement russe n’a pas rapporté l’accident pendant plusieurs jours, laissant la population locale continuer à vivre et à travailler au milieu des radiations. Mais il n’y a pas qu’en Russie. Le gouvernement français a minimisé les niveaux de radiation qui atteignait le pays[22], disant à la population que le nuage radioactif qui s’étendait sur toute l’Europe n’était pas passé sur la France[23], tandis que le gouvernement britannique rassurait le pays qu’il n’y avait aucun risque pour la santé, rapportant des niveaux de radiation 40 fois plus bas que ceux de la réalité[24], mettant cependant plus tard des centaines de fermes en quarantaine. Jusqu’en 2007, 374 fermes sont encore restées sous contrôle spécial.[25]

L’énergie nucléaire est mise en avant par divers gouvernements comme la solution “verte” aux problèmes associés aux combustibles fossiles. C’est en majeure partie un écran de fumée qui cache les motifs réels qui tournent autour de l’épuisement possible du pétrole, de l’augmentation du prix du pétrole et des risques associés à une dépendance des ressources énergétiques hors de contrôle des Etats. Cette façade “verte » s’estompe à mesure que la crise économique conduit les Etats à revenir au charbon[26] et à baisser les coûts des nouvelles sources de pétrole en exploitation, la plupart d’entre elles physiquement difficiles d’accès, ou qui demandent des processus qui polluent et salissent l’environnement, comme les suies.

Les produits énergétiques ont aussi été un facteur dans les luttes impérialistes ces dernières années et elles le seront encore plus dans la période à venir. L’énergie nucléaire revient là même où elle a commencé comme source de matériau fissible et comme couverture pour les programmes d’armement.

Le communisme et les sources d’énergie

Les régimes staliniens qui se sont appropriés et ont sali le nom du communisme ont tous partagé le comportement du capitalisme dans l’utilisation du nucléaire et ont agi avec un mépris total de la santé de la population comme de l’environnement. Cela était vrai de l’ex-URSS et l’est aussi pour la Chine d’aujourd’hui et nourrit la confusion largement répandue sur le fait que le communisme pousse à une industrialisation forcée qui ne tient pas compte de la nature.

Contrairement à ces fausses idées, Marx se sentait très concerné par la nature, au niveau théorique de la relation entre l’humanité et la nature comme on l’a déjà vu, et au niveau pratique quand il écrit sur le danger de l’épuisement des sols par l’agriculture capitaliste et sur l’impact de l’industrialisation sur la santé de la classe ouvrière : « En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les Etats-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. »[27]

Nous ne pouvons pas prévoir la « politique énergétique » du communisme, mais partant du fait fondamental que la production se fera pour les besoins humains et pas pour le profit, nous pouvons prédire que le modèle de l’utilisation de l’énergie changera de façon significative et nous pouvons en mettre en avant certains aspects :

– nous pouvons anticiper une vaste réduction dans la production des choses non-nécessaires et dans le transport d’autres choses dont le seul but est d’accroître les profits des capitalistes ;[28]

– de même, il y aura une réduction des voyages non-nécessaires vers et depuis les endroits de travail en même temps que les communautés prendront des proportions plus humaines, comme la frontière entre les activités de travail et celles dites de non-travail, comme le divorce entre la ville et la campagne, qui seront alors dépassés ;

– la créativité et l’intelligence seront dirigées vers les besoins humains, et on peut donc anticiper des développements significatifs dans les ressources d’énergie,[29] spécialement renouvelables, tout comme dans la mise en perspective de moyens de production, de transports et d’autres équipements et de machines pour les rendre plus efficaces, et cela à long terme.

Parce qu’une société communiste aura le souci du long terme, ceci implique de grandes réductions dans l’usage des sources d’énergie non-renouvelables de façon à ce qu’elles puissent servir aux futures générations. Il faut noter que même l’uranium utilisé par le nucléaire est une source d’énergie non-renouvelable et ne brise donc pas la dépendance envers les ressources finies. Ceci implique que l’énergie renouvelable sera fondamentale pour la société communiste mais, parce que la créativité et l’intelligence de l’humanité se libéreront des chaînes actuelles, cela n’entraînera pas un retour aux privations des anciennes économies organiques.

Le communisme et l’énergie nucléaire

Il ne nous appartient pas de dicter au futur les décisions qui seront prises sur cette question. Mais ce que nous avons dit ci-dessus implique une réduction significative de l’utilisation de l’énergie et des changements dans les formes d’énergie à la lumière d’une intelligence scientifique en éveil. Les dangers potentiels du nucléaire et le fait que dépenser du pétrole et contaminer la terre représente un risque pour des centaines de milliers d’années suggère que l’énergie nucléaire n’ait pas de place dans une société dirigée vers le bien commun de sa génération, des futures générations et de la planète dont nous dépendons.

Contrairement à cela, le capitalisme a la prétention aujourd’hui d’être « écolo ». L’énergie verte de nos jours est largement périphérique, quoi qu’on entende dire partout que c’est économique de la mettre en pratique. Cela dit, la manière dont le capitalisme utilise les diverses sources d’énergie expose l’humanité à tous les dangers parce que la menace qu’il représente ne surgit pas de telle ou telle politique ou des éléments de la production, mais des lois qui gouvernent le capitalisme et de l’héritage historique des sociétés basées sur l’exploitation.

Courant Communiste International

[1] Ceci est également valable dans le cas de la Chine : « Le charbon était extrait et brûlé à une échelle substantielle dans certaines parties de la Chine depuis le 4e siècle et peut avoir atteint un pic durant le 11e siècle, mais cela n’a jamais conduit à une transformation de l’économie.” » E. A. Wrigley, Energy and the English Industrial Revolution, p. 174, Cambridge University Press, 2010.

[2] Wrigley, op.cit., p.92.

[3] Fernand Braudel, Civilisation and Capitalism 15th 18th Century Vol. 1, p.366-7. William Collins Sons and Co. Ltd, London

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Wrigley, op. cit, p.37 et p.99

[7] Energy and the English Industrial Revolution. par E. A. Wrigley.

[8] Ibid., p.94.

[9] Kenwood et Lougheed, The growth of the international economy (1820-1990). Routledge, 1992 (3e édition).

[10] International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.28.

[11] Noté dans S. Cooke, In mortal hands: A cautionary history of the nuclear age, Bloomsbury New York, 2010 (Paperback edition), p.110.

[12] Ibid., p.148-9.

[13] Ibid., p. 357-8.

[14] World Nuclear Association, The new economics of nuclear power, p.6.

[15] International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.6

[16] The World Nuclear Industry Status Report 2009 With Particular Emphasis on Economic Issues. Commissioned by German Federal Ministry of Environment, Nature Conservation and Reactor Safety. Paris 2009.

[17] Cooke, op. cit., p.120-5. Le gouvernement accepta arbitrairement un plafond engageant sa responsabilité à hauteur de 500 milions de dollars en dépit de l’avis de ses propres experts pour lesquels “la mesure du risque encouru ne peut pas être exactement evalué” (ibid, p. 124).

[18] German Federal Ministry of Environment, Nature Conservation and Reactor Safety, op.cit., p.44.

[19] World Health Organisation, 2006, Health effects of the Chernobyl accident and special health care programmes, p.106.

[20] Ibid., p.108.

[21] Yablokov, Nesterenko and Nesterenko, “Chernobyl: Consequences of the catastrophe for people and the environment.” Annals of the New York Academy of Sciences, Vol. 1181, 2009, p.210. Cette étude a suscité pas mal de controverses, notamment des critiques selon lesquelles elle amalgamerait des données incompatibles entre elles, ne tiendrait aucun compte des études qui ne soutiennent pas son argumentation et ne suivrait pas des méthodes scientifiques reconnues. Voir par exemple la revue des publications dans Environmental Health Perspectives, Vol. 118, 11 Novembre 2010.

[22] Cooke, op. cit., p.320.

[23] Yablokov et al, op. cit., p.10

[24] Ibid., p.14

[25] Cooke, op. cit., p.321.

[26] Le charbon est passé de 24,5% des sources d’énergie totale en 1973 à 27% en 2008. Source: International Energy Agency, Key world energy statistics 2010, p.6.

[27] Marx, Le Capital , Vol. I, Chapitre XV ter “Machinisme et grande industrie”, Section 10, “Grande industrie et agriculture.”

[28] Voir : “Le monde à l’aube d’une catastrophe environnementale ” dans la Revue Internationale n°139.

[29] Voir Makhijani, A. 2007, Carbon-Free and Nuclear-Free: A Roadmap for U.S. Energy Policy pour un inventaire des sources d’énergie alternatives