L’histoire est donc presque banale. Cependant l’« urgence » de l’expulsion est motivée à la fois par un très improbable projet concernant cette maison et surtout par la volonté de faire procéder à l’expulsion des lieux qu’a exprimé par lettre la maire de la Ville, Dominique Voynet.

La motivation de ce jugement est ainsi formulée : « Sur les demandes de délais : La SAS Quartz Properties justifie amplement de la réalité et de l’état d’avancement de ses négociations avec le Département de la Seine Saint-Denis relatif à un échange de parcelles englobant le pavillon litigieux en vue de la réalisation d’un projet d’intérêt général, ainsi que de la demande dont elle fait l’objet de la part de la Ville de Montreuil pour remédier à l’occupation illégale des lieux sous peine de substitution d’office en cas de carence. »

La soit-disant négociation avec le Département dure en fait depuis plus de 10 ans, Proudreed l’ayant relancé après des années de silence… juste après notre installation dans les lieux. Par ailleurs, bien que cette maison ait été abandonnée à la spéculation pendant des années, c’est dès les premiers jours de l’occupation que madame Voynet écrit à la multinationale Proudreed pour exiger une expulsion des plus rapides, annonçant l’intention d’user de ses « pouvoirs de police » si elle tardait à lancer une procédure:

« Je vous informe que votre propriété, sise 234 rue de Rosny, est occupée par des personnes sans domicile fixe. (…) Je vous demande de me faire savoir si vous avez entamé une procédure [d’expulsion]. (…) Sachez qu’en cas de non réponse et en vertu des pouvoirs de police du Maire, la ville peut se substituer aux propriétaires défaillants.»
Lettre de Dominique Voynet à Proudreed, 9 octobre 2009 (en intégralité ici : http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5675).

Voilà des mois, nous avions tenté d’obtenir des explications sur le projet concernant la maison et sur la position surprenante de la mairie. Un rendez-vous avec un élu de quartier était resté sans suite tout comme de récentes demandes de rendez-vous à la mairie. Le 26 juin, lors d’un événement public, nous avons demandé un rendez-vous directement à madame Voynet. Celle-ci a répondu qu’elle refusait de nous recevoir. Or le temps presse. Nous sommes expulsables à compter du lundi 4 juillet. Mardi 28 juin, nous avons cette fois exigé collectivement un rendez-vous. Il s’agissait aussi d’essayer de comprendre pourquoi madame la Maire, qui est élue d’un parti qui affirme, par delà les questions environnementales et écologiques, incarner un renouveau démocratique et social de la vie politique, devance une multinationale de la spéculation immobilière pour expulser des précaires mal-logés ? Dominique Voynet, qui a été ministre d’un gouvernement de « gauche » en compagnie de son amie Marine Aubry, se prépare-t-elle à un poste de ministre du logement dans un prochain gouvernement ?

Sur la Place face à la mairie, devant des photos du projet « coeur de ville » (un cinéma multiplex et un vaste centre commercial annoncent un nouveau visage de Montreuil), plus de 80 personnes se sont rassemblées et exposent au micro les problèmes de logement et de réhabilitation de la ville: habitants du 234, montreuilleois plus ou moins mal-logés, et habitants du 94 rue des Sorins (lieu occupé par plus de 300 personnes, lui-aussi menacé d’expulsion à Montreuil).

Malgré tous les précédents refus répétés, moins d’une heure après le début du rassemblement, une délégation composée de deux habitants du 234 rue de Rosny, et de deux soutiens (dont un habitant du 94 rue des Sorins) est reçue par Sébastien Maire, directeur adjoint du cabinet de la Maire ainsi que deux proches collaborateurs du cabinet, Fabien Charbuillet et Christophe Leikine.

Nous exprimons les exigences suivantes :
– une demande de la mairie auprès de la préfecture de ne pas expulser les lieux
– une confirmation de l’absence de projet concernant la parcelle du 234 rue de Rosny
– que la mairie fasse pression sur la société d’investissement Proudreed pour qu’elle ne requière pas les forces de l’ordre, nous laisse un délai et abandonne les 30 000 euros d’indemnités d’occupation
– une clarification du discours de la mairie sur le logement, et notamment une explicitation de la lettre envoyée à la multinationale.

Quand la délégation ressort de la Mairie, elle a peu à raconter de précis. La Mairie ne s’engage que sur un unique point : communiquer vendredi un descriptif d’éventuels projets concernant la parcelle du 234. En effet, l’avocat de Proudreed, par une lettre du 16 juin à l’attention du préfet, indique: « je me permets de vous préciser que l’immeuble en question n’a pas été reloué au départ du locataire légitime afin de mettre en oeuvre un échange de parcelle avec la commune de Montreuil, à l’occasion des travaux projetés de l’élargissement de la rue de Rosny ». Or le directeur adjoint et ses collaborateurs prétendent ne pas savoir de quoi il s’agit et affirment qu’a priori aucun projet ne concerne ce terrain.

Sur le reste pas d’engagement, politique ou même simplement humanitaire, hormi un hypothétique coup de téléphone au propriétaire. De toutes façons, le 234 rue de Rosny n’est pas prioritaire: « entre les squats culturels, les squats politiques et les squats de la misère priorité est donnée à la misère ». Sous entendu : vous êtes un squat politique. Étrange catégorisation… Elle méconnaît fondamentalement la réalité des habitants des « squats », et notamment du 234 : nous sommes une dizaine d’habitants aux situations hétérogènes, mineurs sans revenus, enfants en bas-âge, RSAstes, travailleurs précaires qui, s’ils sont expulsés sans relogement, n’auraient d’autres solutions que d’aller, comme tant d’autres, s’entasser à droite à gauche. Cette catégorisation dénie en outre toute capacité aux « miséreux » de prendre leurs affaires en main. On y défend sans complexe une longue tradition, la politique censitaire. Quelles sont les conditions sociales requises, à partir de quel revenu mensuel disponible une forme d’existence collective peut elle être considérée comme politique ? Et, pour faire bon poids, ce déni s’assorti d’une menace. La formule « les  squats politiques ne sont pas prioritaires », signifie très exactement qu’ils sont à expulser en priorité, qu’il n’est pas question d’accepter d’autres manières de faire de la politique dans la ville.

Concernant cette incroyable lettre à l’attention d’une multinationale signée par madame Voynet et émanant du service de la tranquilité publique – dont les agissements sont critiqués à l’intérieur même de la marie (voir plus bas) -, le directeur adjoint et ses collaborateurs se disent extrêmement surpris. Ils auraient enquêté auprès du bureau des services… et, d’après ce dernier, il s’agit « d’une lettre circulaire envoyée à tous les propriétaires en cas de squat ».
Nous voilà donc tout à fait rassurés ! Ce n’est pas un traitement d’exception, mais une pratique « ordinaire », la forme routinière et normale de la réponse municipale à l’occupation de logements. Aussi vides et inutilisées soient leurs « biens », la mairie demande à tous les propriétaires dont des locaux sont occupés de lancer une procédure d’expulsion et se déclare prête à le faire à leur place.

La Mairie a ainsi beau jeu de se plaindre d’être impuissante face à la préfecture, qualifiant de symbolique la demande d’un arrêt des expulsions faite par de nombreuses mairies du 93. Elle semble avoir tout intérêt à surjouer le conflit avec la préfecture tout en cherchant à se rapprocher du préfet Lambert, par exemple en facilitant et en accélérant les expulsions. Et si la demande d’expulsion se fait automatiquement par lettre circulaire, comment peut-elle dans le même temps proclamer une solidarité avec les mal-logés ? Il s’agit d’un côté d’une image publique positive, de jouer une proximité avec les soucis des administrés, et de l’autre côté, en pratique, de défendre les spéculateurs et les aménageurs… Lors du conseil municipal du 7 avril 2011, il est fait état de la situation dramatique d’un mal-logement accentué par la crise économique et la spéculation. Un voeu voté à l’unanimité exige de la préfecture qu’elle n’expulse aucune famille. Interrogés sur ce point, les membres du cabinet répondent que ce voeu n’est valable que pour les expulsions locatives, et non pour les occupants sans droits ni titres, ce qui exclue d’emblée beaucoup des mal-logés, et notamment ceux de la rue des Sorins, à qui, samedi 25 juin, la Mairie refusait l’entrée de la « fête de la ville » alors même qu’elle lançait une très symbolique « votation citoyenne » pour le droit de vote des étrangers.

Alors que les listes d’attente pour les HLM sont si longues, on peut se demander comment il est possible que la municipalité ne soutienne pas clairement tous ceux qui tentent de régler leurs problèmes d’accès au logement par eux-mêmes, ou à défaut les laisse tranquilles. La mairie verte préfère vraisemblablement faire disparaître le problème en accélérant l’expulsion des précaires et mal-logés, hors de leurs habitations, hors de la ville.

Vu la faiblesse des réponses de la Mairie face à nos questions lors de cette première entrevue, nous réitérons donc en les précisant nos demandes :

– faire pression auprès de la préfecture pour que la police n’intervienne pas avant résolution de cette situation.
– faire pression sur la multinationale Proudreed pour qu’elle ne requière pas l’intervention de la police et qu’elle renonce aux 30000 euros d’indemnité d’occupation.
– se porter garante auprès de Proudreed afin qu’ils acceptent d’établir un bail précaire, ou à défaut qu’elle propose des solutions de relogement collectif.
– qu’elle renonce à envoyer cette lettre circulaire de dénonciation aux propriétaires de lieux occupés.

Les habitants de Los Angeles, 234 rue de Rosny
losangeles93@riseup.net

En plus de notre situation au 234, d’autres événements témoignent de l’usage constant d’un {double discours} par la mairie, excellemment décrit par un article, Allergie à l’air du temps}. Compassion & stigmatisation, un double langage permanent, le cas Voynet à Montreuil (http://www.archyves.net/html/Blog/?p=1826).

Le 94 rue des Sorins est menacé d’expulsion (http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5637). Peu après avoir repris contact avec la Mairie, les résidents du 94 rue des Sorins reçoivent un arrêté préfectoral d’expulsion les sommant de déguerpir avant le 22 mai 2011. Qui sont-ils ? Entre 200 et 300 immigrés, majoritairement d’origine malienne, bossant dur la plupart du temps, avec ou sans papiers, et ayant épuisé toutes les possibilités de logements précaires. Pour moitié, ils sont là depuis 2008, ayant peu à peu aménagé des dizaines de chambres-cabanes au sein de l’immense hangar désaffecté et installé le minimum vital à leurs frais (de coûteuse toilettes entre autres). Récemment, ils avaient passé une convention avec la Mairie, la Confédération nationale du logement (CNL) et Veolia pour régulariser l’approvisionnement en eau (et en payer les factures). Mal leur en a pris, puisque l’ordre de quitter les lieux semble avoir découlé, une semaine plus tard, de cette démarche.

Dans la nuit du dimanche 5 juin 2011, alors qu’un orage éclate, au 77 rue Parmentier, un immeuble de quatre étages en cours de « réhabilitation » finit par s’effondrer sur une petite maison mitoyenne, provoquant la mort d’une habitante, Sira Fofana, et de deux de ses enfants, Sennou et Boubakar, tandis que le mari, sauvé in extremis, est gravement atteint à la jambe. Deux autres familles comptent huit blessés et des gamins sous le choc. La mairie dira à la télé toute sa compassion… mais ne proposera un relogement qu’in-extremis, plus de 3 semaine après. Et elle accusera au passage dès qu’elle en a l’occasion les habitants des Sorins de vouloir récupérer l’événement parce qu’ils étaient présents à la marche silencieuse en hommage aux personnes décédées.

Le plus souvent, la Mairie laisse faire les agents de « la tranquillité publique » que l’ancien Maire-adjoint Bruno Saunier, qui a démissionné de son poste, qualifie de milice dans une chronique (http://chroniquesmontreuilloises.over-blog.com/article-….html)

Et pendant ce temps-là, à quelques pas de là, à Bagnolet:

Fermeture précipitée cet été du « village d’insertion » pour les Rroms de Bagnolet, une première dans les fermetures de village, (celui d’Aubervilliers, le premier créé, a été prolongé).

Les personnes restant du groupe des rroms de l’incendie du bidonville de 2004 à Bagnolet, hébergés encore actuellement dans les Algeco du 133-135 av Galliéni à Bagnolet, ce sont vu pour une vingtaine d’entre eux notifier un départ précipité (le 1er juillet au lieu du 31 juillet initialement prévu).

Ils ont reçu des lettres signées du maire de la ville M. Everbecq et du sous préfet M. Lime leur expliquant que le dispositif préfectoral de la Mous devait s’arrêter le 31 juillet, mais pour ceux dont la situation n’aurait pas assez « évoluée » ce serait le 1er juillet. On ne connait pas non plus les garanties pour le petit groupe (une dizaine de personnes) restant jusqu’au 31 juillet pour lequel dans ce cas précis on promet des solutions concrètes de logement.

Après presque dix ans sur la ville de Bagnolet (bidonville, centre de loisir désaffecté, hôtel, trois à quatre ans en « village d’insertion »), en quinze jours ils doivent accélérer « l’évolution de leur situation » (travail, papiers, maitrise du français, logement à trouver eux mêmes) avec des services publics ne prenant pas leurs responsabilités et avec des associations prompts à toucher des financements et à établir des enquêtes sociales mais à jouer les fantômes sur le terrain quand il s’agit de trouver des solutions concrètes comme le Pactarim 93.

Dans cette lettre la seule proposition concrète à cette expulsion dont on se pose la question du caractère urgent, est , alors que cette population souhaite bien évidemment rester sur le territoire français, l’offre de « l’aide au retour humanitaire assortie d’un accompagnement social qui vous permettra de vous réinsérer durablement dans votre pays d’origine »!!!!! alors que la majorité d’entre eux ont des papiers!!!

Communiqué des Rroms et leurs soutiens, le 27 juin 2011.

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À Paris aussi la ville est bien tenue… La coordination des intermittents et précaires (http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4413) a dû déménager pour éviter une expulsion et le paiement de 100 000 € d’astreinte. Provisoirement installés dans un placard municipal de 68m2, nous vous demandons de contribuer activement à faire respecter l’engagement de relogement pris par la Ville de Paris. Il s’agit dans les temps qui viennent d’imposer un relogement qui permette de maintenir et développer les activités de ce qui fut de fait un centre social parisien alors que le manque de tels espaces politiques se fait cruellement sentir.

Pour contribuer à la suite :

• faites connaître et signer en ligne Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde (http://soutien-cipidf.toile-libre.org/).

Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4124

Pour ne pas se laisser faire, agir collectivement :

Permanence CAP d’accueil et d’information sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, lundi de 15h à 17h30. Envoyez questions détaillées, remarques, analyses à cap@cip-idf.org

Permanences précarité (http://www.cip-idf.org/rubrique.php3?id_rubrique=357), lundi de 15h à 17h30. Adressez témoignages, analyses, questions à permanenceprecarite@cip-idf.org

À la CIP
13bd de Strasbourg, M° Strasbourg Saint-Denis
Tel 01 40 34 59 74