De l’explosion du cas Wikileaks en décembre 2010 jusqu’aux révoltes qui sont en train d’enflammer aujourd’hui le Nord de l’Afrique, des rupturess ont commencé à se produire à l’intérieur du système informatif global qui semblent désormais irrémédiables.

Pour ce qui concerne le rôle de l’Internet, ces ruptures produisent un prisme analytique qui met clairement en lumière la défaite de beaucoup de discours idéologiques et croyances relatives à la Toile. Et, en même temps, elles représentent un premier écho quant aux horizons futurs de la lutte politique locale et globale en ligne.

Au-délà du bouleversement du cadre géo-politique qui est en train de se produire, l’explosion des révoltes sociales sur les côtes de la Méditerranée a été accompagnée d’un rôle significatif de la Toile à l’interieur des processus révolutionnaires. Dans les phases d’insurrection et après, l’Internet a émergé soit en tant que dispositif d’attaque du pouvoir constitué, soit en tant que outil important pour la construction d’une « autre » société.

Mais en ce qui nous concerne, ces phénomènes ne peuvent clairement pas et ne doivent pas être analysés à travers l’apologie rudimentaire, puérile et, souvent, instrumentale qui voit dans les medias sociaux l’essence, voire la cause des révoltes. Il nous intéresse, par contre, de saisir l’ambivalence fascinante qui se situe au carrefour entre puissance et limites de la Toile (…)

Il y en a qui affirment que le moteur de la révolution tunisienne n’a pas été le prolétariat mais « les internautes », ce qui équivaut à un crachat dans la gueule du peuple tunisien. Les intellectuels ont peut être oublié les centaines de jeunes qui, âgés de vingt ans, sont morts dans la lutte contre un régime de mafieux qui était en train de glisser dans la pauvreté à cause de la crise globale. Juste une curiosité : depuis quand les internautes sont devenus une classe sociale ?

Que cela plaise ou pas aux journalistes du monde entier, ce qui est en train de se passer au Maghreb n’est pas la révolution « du pain » ou « des jasmins » . Et encore moins ce n’est la révolution de Twitter, de Wikileaks ou d’Anonymous. « Cent parmi nous », a dit le mouvement tunisien dans ses forums et ses assemblées, « ne sont pas morts pour un peu de sucre ou pour youtube ».

Le propulseur des révoltes des derniers deux mois n’est pas l’Internet en tant que tel, mais les masses qui sont descendues dans la rue. L’utilisation de la technologie (avec des nuances entre la Tunisie, l’Egypte et la Libye) peut être meilleur des cas un coefficient important de la mobilisation, mais elle est sûrement insuffisante pour donner de la substance aux instances radicales.

Il est vrai, comme l’affirme Castellas, que, si dans la société industrielle, l’histoire du mouvement ouvrier ne peut pas être séparée du cadre organisationnel de l’usine, alors l’histoire des mouvements d’aujourd’hui ne peut que voir dans la Toile un lieu semblable. Cependant, cela ne constitue pas une exaltation dogmatique d’un outil qui a, parmi ses principales caractéristiques, celle de créer des « liens faibles ». Il s’agit de liens dont il est bien difficile de penser qu’ils puissent constituer les bases organisationnelles pour des mouvements insurrectionalistes qui se battent contre des régimes farouches qui durent depuis des décennies.

En outre, l’Internet, en dépit des affabulations qu’ils ont essayé de nous faire avaler, n’a jamais diminué ni uniformisé les cultures ou les processus sociaux. Attribuer à un seul facteur un changement révolutionnaire de masse revient tout simplement à récupérer une vision « positiviste » de la politique.

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Pour comprendre les possibilités réelles engendrées par les technologies numériques, il est donc nécessaire de considérer la combinaison d’un certain nombre de variables, de facteurs objectifs et subjectifs, d’interfaces sociales, de revenu et de genre qui s’interposent entre les dispositifs technologiques et ceux qui en font usage.

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