En France, dans plus de trente villes les AG interprofessionnelles continuent à s’organiser localement, puis régionalement et nationalement grâce aux coordinations. La force de ces AGs ? Se poser les questions stratégiques. Lors du dernier mouvement nous avons ressenti que nous sommes en capacité de paralyser le pays. Pour cela, il a fallu s’organiser au-delà des identités socio-professionnelles, de qui est syndiqué ou non, et sur des modes d’actions qui ne sont pas seulement symboliques : la grève et les blocages. Comment faire ressurgir cette force ? Comment ne plus dépendre des bureaucraties syndicales qui décident seules de l’arrêt du mouvement ? Comment gagner les prochains mouvements ? Comment inventer d’autres rapports sociaux que ceux du capitalisme ?
Nous devons répondre à ces questions en nous saisissant des possibilités qu’offre la situation et non en nous enfermant dans des guerres de chapelles idéologiques. Et des réponses concrètes commencent déjà à émerger : – soutenir les luttes locales en continuant la pratique des piquets volants – cartographier les flux économiques locaux pour savoir quand et comment les bloquer – mettre en place les caisses de grèves et les cantines pour que l’argent et la nourriture ne soient pas les raisons de l’arrêt des luttes.

A Rennes, la Maison de la Grève, ouverte par l’AG interprofessionnelle lors du dernier mouvement contre la réforme des retraites, était l’endroit où toutes ces dynamiques prenaient corps. S’y déployaient également de multiples ateliers (informatique, sérigraphie, boxe-autodéfense, mécanique vélo, etc.), des permanences pour l’autodéfense juridique, et des discussions, films, concerts, pièces de théâtres pour se nourrir d’autres imaginaires que celui du capitalisme. La Maison de la Grève était un lieu ou se croisait chaque semaine plusieurs centaines de personnes (entre 50 et 70 couverts pour le meilleur resto du monde quatre fois par semaine !) et où il était possible de nous coordoner pour (ré)inventer, à la suite du mouvement contre la réforme des retraites, les nouvelles manières de faire grève et de bloquer l’économie.
Ces nouvelles formes de luttes sont celles qui prennent en compte au moins trois réalités. Les grèves classiques d’arrêt du travail, en les augmentant par les techniques de coulages, de grèves tournantes etc. Les blocages des flux économiques (axes routiers, transports en commun, informations nécessaires aux institutions, médias, etc.) qui prennent en compte que le capitalisme est devenu pour une bonne part immatériel et qu’ainsi il ne se restreint plus à la seule exploitation salariale mais colonise tous les pans de nos vies. La solidarité avec ceux qui ne peuvent pas se mettre en grève, par exemple par les dons en légumes des paysans en luttes.

En expulsant la Maison de la Grève, la mairie de Rennes choisit de se mettre clairement contre ces dynamiques. Et le dispositif de répression mis en place est plus que parlant, il révèle le pouvoir total qu’elle croit avoir sur ceux qui vivent à Rennes et sur les initiatives qui s’y construisent. Contre ceux qui luttent c’est un état d’exception digne de l’anti-terrorisme d’État qu’elle instaure : – procédures judiciaires d’exceptions, personne n’a été convié au procès et l’ordonnance de quitter les lieux a été remise à six heures du matin au réveil par la police – dispositif policier complètement disproportionné, plus de 70 gendarmes mobiles en armure, et les toutes nouvelles forces d’intervention de la police nationale réunissant RAID et GIPN (le FIPN) – collaboration étroite avec les médias pour s’assurer de leur communication, Ouest-France est sur les lieux dès le début de l’intervention policière pour filmer et plus tard ce journal refusera tout communiqué prenant parti pour la Maison de la Grève – Tentatives de stigmatiser ceux qui participent à la Maison de la Grève en les faisant passer pour une minorité dangereuse pour toute la population.

Malgré cela il n’est pas question de parler de la Maison de la Grève au passé. Une partie de ce qui s’y passait va continuer de manière régulière dans des bars ou dans des salles (l’AG interpro, les groupes de travail et quelques ateliers). Un planning arrive bientôt pour tous ceux qui souhaitent y participer. La question de l’obtention d’un lieu reste bien sur ouverte, et personne n’envisage rester en exil très longtemps. Nous avons encore des expériences et des luttes à partager. Retrouvons-nous pour discuter et manger ensemble samedi 11 décembre à partir de 17 heures 30 aux Halles Martenot, place des Lices.

COMMUNIQUÉ DE LA MAISON DE LA GREVE À LA RUE

Surgie des rencontres pendant le mouvement de grève contre la réforme des retraites, des blocages et des assemblées générales interprofessionnelles quotidiens, la Maison de la Grève a ouvert ses portes un soir d’octobre à l’issue d’une de ces d’assemblées.
Face aux refus de la mairie de nous accorder un lieu dont nous sentions la nécessité pour nous organiser et nous retrouver après les piquets, pour faire perdurer la grève, face aux refus ne serait-ce que d’un entretien, nous avons décidé d’occuper les anciens locaux de la CFDT restés vacants depuis plusieurs années. En quelques jours, ce sont de centaines de personnes qui s’y retrouvent, syndicalistes, précaires, étudiant-e-s, salarié-e-s, retraité-e-s…, avec le désir de s’approprier ce lieu de lutte, de s’organiser de manière autonome, non marchande, non hiérarchique et de maintenir un rapport de force face à des politiques sécuritaires qui détruisent peu à peu toute possibilité de lien social.
Les participant-e-s à la Maison de la Grève, issus d’horizons divers, construisaient des solidarités et nouaient des amitiés, à travers la cantine quasi quotidienne (le meilleur resto du monde!), des ateliers d’informatique, d’autodéfense, de sérigraphie, de réparation de vélos, de forge, des cours de français pour étrangers, des permanences de différentes organisations syndicales ou non, des projections, des concerts…
Les personnes qui ont participé à cette expérience ont maintenu en vie le mouvement social que le gouvernement, les grandes centrales syndicales et les médias laissaient pour mort en organisant des assemblées générales interprofessionnelles hebdomadaires, des coordinations régionales, des discussions et différentes commissions pour renforcer les liens créés pendant les blocages et les manifestations.
La mairie n’aime visiblement pas que l’on s’organise concrètement, que l’on mène une grève de façon vivace, que l’on se donne joyeusement les moyens de lutter. Ainsi, elle a sorti une surprise de son chapeau, une procédure d’expulsion exceptionnelle et sournoise: l’ordonnance sur requête, qui permet d’expulser sans prévenir. Elle prétend l’avoir fait. Elle ment.
Le jeudi 2 décembre, à six heures du matin, 90 marioles (gendarmes mobiles, police nationale, FIPN) défoncent les portes de la Maison de la Grève et tirent du lit les personnes assurant la permanence nocturne. Les occupants sont conduits au poste* sous la neige bleutée par les gyrophares tandis que la cinquantaine de personnes venue en soutien est tenue à distance par les robocops et assiste impuissante à la destruction. Car aussitôt les services de la mairie vident le bâtiment, envoyant à la déchetterie tout le mobilier, matériel de cuisine, nourriture, livres, vélos broyés dans l’heure. On récupérera le lendemain aux objets trouvés les ordis, instruments de musique, quelques vélos et autres broutilles. Mais où ont disparu le four de collectivité, le matériel de sérigraphie, le matériel de forge, les outils électroportatifs… et la caisse de grève ???
Par cette expulsion, la mairie a essayé de faire taire brutalement une voix dissidente pourtant soutenue par des syndicats, organisations, et lieux culturels mais elle nous a aussi dépouillé de cette force matérielle considérable.
Pour dénoncer cette expulsion et soutenir la Maison de la Grève, le soir même, environ 200 personnes se rassemblent place de la Mairie, et se rendent au Couvent des Jacobins dans le but de discuter des événements, au chaud, dans ce lieu symbolique de la gentrification. Mais sur le coup, toute la colère accumulée depuis le matin explose, et la belle exposition présentant les projets urbains dégueulasses de la Ville de Rennes finit à terre (de fait, quelques bouts de cartons piétinés et des affiches taguées). Ce n’était qu’une réponse modérée et bien compréhensible face aux agissements destructeurs de la mairie. Cette dernière ainsi que les médias s’acharnent pour discréditer la Maison de la Grève, à coup de déclarations mensongères.
Malgré ces attaques la Maison de la Grève continuera d’exister pour traduire en actes et en paroles la contestation sociale.

* Les conditions d’hygiène et de sécurité du commissariat de la Tour d’Auvergne sont bien en-deçà de celles de la Maison de la Grève.

RENDEZ VOUS À TOUS LE SAMEDI 11 A 18H AUX HALLES MARTENOT (PLACE DES LICES, RENNES)

– contacts : agi-rennes@riseup.net / 07 86 14 88 22 –