– Chroniques du contre-G8 en Italie –
* 4 au 10 juillet 2009 *

>Bilan politique global

Comme beaucoup d’autres, nous sommes partis à plusieurs en petits groupes dans le but de participer au contre-sommet du G8 en Italie censé se tenir à Rome tandis que le Sommet lui-même se tenait à l’Aquila, à une trentaine de kilomètres de là.
De France, d’Allemagne, d’Angleterre, du Danemark, de Suède, de Hollande, et d’ailleurs encore, nous nous sommes rendus au cœur de l’Italie, en pleine capitale.

Le bilan politique général que l’on peut en tirer est le constat d’un échec, et cuisant : il n’y a pas eu de contre-sommet. En effet, dans notre périple qui nous a conduits de Vicenza à l’Aquila et Rome, nous conservons cette terrible impression d’impuissance.

En effet, d’un côté l’Etat italien, régime fort et fascisant, régime policier, avec en tête le Bouffon Berlusconi qui a choisi de façon très calculée de déplacer le lieux du Sommet d’une île de Sardaigne à la zone de l’Aquila même, ravagée il y a quelques mois par un violent tremblement de terre qui eut pour conséquence un centre-ville complètement détruit comme à la suite d’un tapis de bombes, 50 000 sinistrés et une militarisation terrifiante du secteur. Ce choix hypocrite de l’Aquila permettait de contraindre aux altermondialistes de se mêler à une situation locale très particulière et déjà extrêmement difficile.
De l’autre côté, les réseaux de résistance italiens assez nombreux et solides, mais en rien coordonnés, ou plutôt en complet désaccord. En effet, deux options se présentaient à eux : centraliser le contre-sommet à Rome (comme à Gênes en 2001) ou l’éclater sur l’ensemble du territoire.

Ces deux choix ont chacun leurs arguments valables : centraliser permet de rassembler le maximum de monde notamment autour d’un ou plusieurs camps altermondialistes sur une zone précise, d’avoir la meilleur capacité offensive et de pouvoir tenter de bloquer effectivement le sommet en tant que tel tout en étant conséquemment très visible ; a contrario, « disperser » le contre-sommet sur tout le territoire permet d’échapper à la logique de spectacle imposée par l’Etat, de ne pas aller là où lui et son bras armé nous attend de pied ferme (15000 flics rien qu’à Rome et l’Aquila), de reposer nous-mêmes nos propres conditions sans attendre les conditions de la répression, de généraliser la contestation dans l’optique également d’enclencher un mouvement social (cas des étudiants qui ont réoccupé toutes leurs facs).

Or, cela n’a pas été tranché, il y eut les deux à la fois. La conséquence directe est, avant tout, le peu d’affluence des camarades européens : peu « d’internationaux » comme on nous appelait là-bas, avec une majorité numérique très nette des groupes français qui se sont déplacés en nombre. Ceci est dû d’abord au manque criant d’informations : que des infos vagues et générales, à moins d’être sur un lieu précis localement. Aucune idée ainsi des possibles actions à entreprendre. Par ailleurs, il n’y eut donc aucun camp contre-G8, contrairement à Rostock ou Strasbourg pour l’OTAN par exemple. Ce qui entraîne l’absence d’un lieu fort d’où peuvent partir des actions de masse fortes, mais d’un autre côté qui disperse la police et complique la gestion policière puisque l’action peut venir de n’importe où.

A noter un autre fait majeur : si l’intérêt d’un contre-sommet est de tenter de perturber le sommet capitaliste en lui-même (ce qui n’a en rien marché et même quasiment pas tenté ici), il y a également l’importance de l’occasion de nouer nombres de contacts, de consolider des liens et de construire des réseaux qui dépassent les frontières nationales. Or, l’Etat italien le savait pertinemment et a maintenu de lourdes pressions sur les camarades italiens pour empêcher au maximum de nous aider en quoique ce soit. En fait, si un squat, une fac occupée ou un centre social communiste ou anarchiste était pris à héberger, informer ou soutenir des groupes « internationaux », il sera automatiquement évacué par la police ; et les personnes concernées encourront de la prison. Car les « internationaux » sont unilatéralement considérés par la police comme les Blacks Bloc et anarcho-autonomes.

N’oublions pas les mots du régime italien pour justifier la levée de l’accord de Schengen durant le Sommet :

« Aujourd’hui, 28 juin 2009, afin de refouler les hordes anarcho-autonomes prêtes à s’abattre sur l’Italie, le gouvernement Berlusconi suspend l’accord de Schengen sur la libre circulation des personnes, et ce jusqu’au 15 juillet.
Quant à l’ennemi intérieur, le plus tenace, il sera tenu à bonne distance par pas moins de quinze mille agents des forces de l’ordre. »

Cela a provoqué parmi certains de ces fameux « internationaux » une sensation d’être sciemment mis à l’écart par les camarades italiens qui ne voudraient pas de nous. En effet, il était très difficile, par exemple pour un Centre Social communiste qui fait vivre le quartier avec des activités sportives, des studios d’enregistrement musicaux, des salles d’expositions artistiques, comme il y en a tant à Rome d’héberger et de loger des non-italiens avec le risque que cela serve de prétexte aux carabiniers d’investir le lieu, de le détruire ou le faire fermer.

Bien que les camarades italiens fussent superbement solidaires et accueillants, il faut admettre ici une défaillance de « gestion » qui pouvait être fatale aux non-italiens.

Un petit paragraphe est nécessaire ici sur la police italienne, justement réputée comme la pire d’Europe : en plus de la Polizia Municipale, les trois corps principaux sont les Carabinieri, la Guardia di Finanza et la Guardia Penitenzaria (les carabiniers, la garde de la finance, et la garde pénitentiaire). Leurs méthodes sont extrêmement brutales et intimidantes. Equipés d’armures légères anti-émeute (protège-tibias), leurs boucliers sont grands et rectangulaires (charges de masse pour repousser) ou petits et ronds (petites interventions violentes). D’après les dires de nombreux camarades italiens, les flics cherchent moins à interpeller qu’à massacrer. Ils foncent et tapent dans le tas, avec des techniques parfois meurtrières, telles des cars chargeant un cortège. Leurs cars sont effroyablement efficaces, ils sont militaires et prévus pour le combat, pas comme les vieux fourgons de CRS ou de gendarmes français. Très bonne suspension, cars blindés, équipés de grillages avec d’énormes roues pour rouler vite et sur tout terrain. La police italienne utilise rarement les flashball, privilégiant les matraques et les gaz lacrymogènes, ainsi que les grenades assourdissantes (avec une détention bien plus forte qu’en France, ainsi que des gaz plus nocifs).

Cependant, pour terminer sur une touche positive, ce semblant de contre-sommet aura permis de découvrir des situations politiques parfois effroyables, de rencontrer des Compagni et des réseaux, des squats et des centres sociaux, des manières d’occuper, d’agir, de décider, de se préparer. Cela aura permis aussi de développer une certaine expérience sur les limites de notre action, sur nos capacités de solidarité dans des situations particulièrement critiques, etc.

Quelques jours avant la première grande manif du contre-sommet, celle du 4 juillet à Vicenza, nous avons appris à Milan que la police a fait une vaste opération de perquisitions (une quarantaine) sur plusieurs villes et ont arrêtés plusieurs camarades, essentiellement de Turin, suites aux émeutes étudiantes qui ont émaillé le contre-G8 des universités le mois dernier. La tension est là.

>SAMEDI 4 JUILLET 2009 : manifestation contre la base militaire américaine Dal Molin à Vicenza-

Vicenza est une petite ville tranquille pas très loin de Venise, où l’Etat a choisi d’implanter une base militaire importante au Nord. Perçu comme une véritable agression par les habitants et militants locaux, s’est organisée depuis 3 ans une résistance dure et solide. Le mouvement No Dal Molin a ressoudé une solidarité de lutte antimilitariste et antiguerre d’importance, puisque ses nombreuses manifestations rassemblent toujours plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Le samedi 4 juillet, on se retrouve tous au Camp No Dal Molin qui est un lieu de rassemblement et de contestation permanent créé par les habitants et militants locaux juste à proximité du terrain de la base même. Ce Camp n’en est pas un d’habitation mais de centralisation de l’information, de décision des actions, et des précurseurs et noyaux de militants No Dal Molin. Il se compose de plusieurs grandes scènes pour les discours et concerts, et de deux grands chapiteaux avec des cuisines, bars, points internet, point sanitaires etc.

L’heure de départ de la manif a été fixée à 15h30.

Les Carabinieri sont partout, appuyés par la Guardia di Finanza et la Guardia Penitenziara ; les trois corps principaux de la police italienne. Un hélicoptère tourne en rase-motte, prend des photos et tient compte des mouvements de groupes.

Un premier cortège part faire la jonction avec un rassemblement un peu plus au nord. Refondazione Communista, Sinistra Critica, Parti Communiste Italien, différents partis marxistes-léninistes sont présents, ainsi que quelques libertaires rouge et noir. La branche communiste italienne est très large, hétérogène et complexe, comprenant des staliniens, léninistes, trotskystes, autonomes, etc.

On revient ensuite sur le Camp No Dal Molin d’où s’organise un second cortège à l’entrée, en direction de la base militaire. Cortège beaucoup plus offensif dans son équipement : 500 à 1000 des Blacks Blocs se regroupent, munis de casques de motos, de boucliers individuels et collectifs, d’extincteurs, de bâtons, etc.

Les premières lignes se mettent en rangs serrés avec trois grands boucliers collectifs de 2 mètres sur 3 à l’avant, directement suivies de plusieurs lignes de boucliers individuels. Le cortège avance, jusqu’à un pont derrière lequel, sur une route latérale à droite, sont positionnés les carabiniers. Le cortège aurait pu continuer tout droit, la voie était libre et menait à la base, mais craignant une attaque ultérieure sur le flanc par la police pour diviser le cortège en deux, ce dernier attaque directement les flics sur la droite afin de libérer le passage en les faisant reculer.
L’attaque est précise : les boucliers avancent sur les flics, tandis que d’autres camarades les enfument en leur vidant des extincteurs avant de leur jeter sur la gueule. Les pavés volent, ainsi que quelques Molotov. Les carabiniers, d’abord pris au dépourvu, contre-attaquent aussitôt par des charges à coups de matraques. Les boucliers tiennent bon, l’enfumage à coups d’extincteurs continue. Les projectiles volent. Ils tentent de matraquer au-dessus des boucliers, mais par les casques, les premières lignes tiennent toujours bon. Le cortège recule un peu pour rester coordonner, mais tient le choc. Les carabiniers tirent alors une première salve de grenades lacrymogènes, au gaz assez violent et par grenades offensives. Tirs tendus sur les premières lignes qui les reçoivent dans leurs pieds, mais aussi tirs en l’air sur les champs sur les côtés de la route.
C’est à ce moment que ça commence à craquer : rares restent ceux équipés de masques à gaz qui s’occupent essentiellement d’étouffer les grenades dans les champs. Les premières lignes, quand à elles, après quelques minutes de résistance acharnée, finissent par craquer tandis que les projectiles continuent de voler et que de nouvelles salves de grenades sont tirées. Un sapin prend feu. Des cocktails volent en direction des flics. Les charges sont plus virulentes. Finalement, les boucliers collectifs lâchent, et le reste reflue en désordre sous les gaz.

Les flics reprennent le contrôle de la situation autour du pont. Le cortège se replie et se reforme pour empêcher une attaque policière sur le camp lui-même. Une grosse demi-heure de face à face tendu donnera l’échec d’une nouvelle tentative. Les pacifistes, à l’arrière, bien que déçus, reste très solidaires (chose rare), soignent et donnent à boire.

Une heure plus tard, le gros cortège officiel part enfin. Plus de 10 000 personnes défilent aux cris de « Vicenza Libera » et « No Dal Molin » dans un climat très tendu avec une virulente haine généralisée contre la police (« Polizia Assassini ! », « Carabinieri Filla da Putana ! », « Carlo Vive ! », etc.).
Les longs discours officiels qui ont précédé le gros défilé a mentionné la mort de Carlo à plusieurs reprises, dans un langage très cru et direct, traitant la police de merde et d’assassins.

Le défilé a longé la base militaire et s’est arrêté à l’endroit prévu, dans un climat très tendu mais sans plus d’autre incident (ou presque, car il y a encore eu quelques gazages). Les habitants, solidaires, sortent tous leurs tuyaux de jardins pour abreuver les manifestants d’eau fraiche, libre et potable sous le soleil accablant.

Prochaine étape : des bus de militants partent par dizaines pour l’Aquila.

>NUIT DU DIMANCHE AU LUNDI 6 JUILLET 2009 : veillée et hommage aux victimes du tremblement de terre.

La situation à l’Aquila est effroyable.
Après un premier séisme de 6,4 à l’échelle de Richter selon les sources officieuses, le centre-ville est entièrement détruit, plus aucun bâtiment ne tient debout. A cela, l’Etat répond par le mensonge et un contrôle social d’exception pour maintenir l’ « ordre public », par la militarisation de toute la zone.

Pour commencer, c’est un fait qu’une ville victime d’une secousse sismique supérieure à 6 sur l’échelle de Richter doit bénéficier, selon des codes internationaux, d’une reconstruction à 100%. C’est pour cela que le gouvernement a fait croire que la secousse n’était « que » de 5,8. Bien sûr, aucune reconstruction à 100% n’est prévue, loin de là : si la reconstruction de banques et infrastructures économiques et commerciales sont jugées prioritaires par le gouvernement, les logements et particulièrement les logements sociaux et infrastructures éducatives sont considérées comme secondaires.
Il y a 45000 à 50000 réfugiés, éparpillés dans des campements de sinistrés gérés par les pompiers et la croix rouge, en collaboration avec la police. Mais la zone reste sous contrôle de l’armée qui a établi de nombreux check-point afin d’empêcher tout accès au centre-ville décrétée zone interdite, officiellement par sécurité, mais surtout pour empêcher aux « extérieurs » de se rendre compte de l’état réel du désastre.
Les réunions et assemblées générales entre sinistrés sont interdites, la circulation est interdite, les moindres regroupements sont interdits, et les journalistes n’ont pas le droit d’accès au centre-ville. Les sinistrés ne peuvent ainsi que très difficilement s’auto-organiser pour sortir de la crise. C’est une gestion fasciste du drame.

Quand on arrive à l’Aquila, les militaires nous bloquent le passage puis nous laissent passer par petits groupes. Les carabiniers sont partout et en armes. Sur les murs de la périphérie où nous sommes parqués, nous voyons de grandes affiches titrées de « pour la reconstruction 100% » avec les têtes de plusieurs députés ornés de légendes témoignant de leur choix : contre, abstention, absent. Les habitants, plus que traumatisés, sont écœurés.
Au moment de notre arrivée le soir du dimanche 5, on apprend que quelques jours à peine auparavant, une nouvelle secousse de 4 a eu lieu, tuant 50 étudiants dans un immeuble qui s’est effondré. La colère est ambiante.

« Vérité et Justice », lit-on sur les banderoles.

Et le cortège s’ébranle. Plusieurs milliers de personnes défilent, flambeaux en main, certains les yeux en larmes. L’hélicoptère nous survole. Le parcours de la manif est assez long, lent et digne, on peut constater même sur la périphérie de nombreuses maisons lézardées et à moitiés écroulées. Les flics en civil pullulent et polluent dans le cortège.

A 3h32 se tient la veillée. Des habitants de l’Aquila avec qui nous avons discuté nous remercient chaleureusement d’avoir été présents à cette manif, ont pris très positivement notre présence. Assez poignant.

Des camarades italiens nous aident et nous guident pour trouver l’arrêt de bus qui nous emmènera à Rome.

Le lendemain, nous apprendrons que cinq camarades français venus en camions ont été arrêtés à la sortie de l’Aquila pour prétendue « détention d’armes » où sujet d’une batte de base-ball qui traînait dedans.

>LUNDI 6 JUILLET 2009 : préparation de la grande journée du 7 à Rome.

Nous nous sommes plusieurs internationaux à nous installer dans un squat anarcho-communiste autonome dans le quartier sud de Rome, dont nous préférons taire le nom ici. Différent d’un squat, le lieu est en fait un Centre Social, ceci a son importance au sens où il a une existence légale, tolérée par la mairie. Le Centre, un parmi les innombrables qui pullulent dans tout Rome, est formidablement grand et bien organisé : une équipe sportive de rugby, un studio d’enregistrement, plusieurs endroits réservés à l’activité artistique, deux bars (un extérieur et un intérieur), une cuisine, des points douches individuels et collectifs, des sanitaires, etc.

On nous donne plusieurs plans de Rome, dont un qui mentionne les secteurs fascistes et policiers. Rapidement et après quelques explications, on comprend qu’il y a de véritables quartiers par appartenance politique : les quartiers faf (les fascistes ont leurs propres centres-sociaux, leurs propres squats, etc. D’ailleurs, ils s’implantent beaucoup dans les banlieues pour faire du travail social avec une touche raciste, comme les Identitaires peuvent le faire en Alsace et en Moselle ; ce qui démontre une défaillance de notre part) et les quartiers rouges (anars ou communistes, avec par exemple des centres de radios comme celle « Radio On da Rossa » (la radio rouge), des bars ou des bibliothèques autogérées, des facs fortement politisées, etc.). Chaque quartier voit ses murs quasi intégralement recouverts de slogans politiques, fascistes ou communistes.
A préciser deux choses : localement, sur Rome, le Maire est Gianni Alemanno, fasciste notoire, réputé comme ancien membre du Mouvement Social Italien (MSI, groupe néofasciste dur) et secrétaire national de son organisation juvénile, le Front de la Jeunesse. Ceci explique la prolifération des groupes et quartiers fascistes, très organisés ; nationalement, les fascistes s’implantent par certains leitmotive politiques très précis. On a même vu une carte de l’Italie faite par des camarades antifas où l’on voit sur l’ensemble du territoire les types de méthodes et les thématiques davantage utilisés par les fafs selon les villes et les régions : dans le sud, ce sera davantage homophobie, dans le nord-est plutôt xénophobie et racisme ; puis il y a les actions phares type ratonnades, agressions, descentes, meurtres, etc. A Rome, bien sûr, il y a tout cumulé.

Puis les italiens nous tiennent au courant du programme prévu pour le lendemain : 8h, barricades enflammées sur un seul gros axe routier qui, en plus de bloquer le Capital, pourrait bloquer des journalistes et autres secrétaires nécessaires à la tenue du Sommet (pour cela, idée d’éviter l’affrontement rapproché, se contenter du lancer de projectile, action de position) ; 12h manif sauvage qui part de la Fac de Lettres occupée ; 17h grande manif internationale anti-G8.

L’équipement offensif ou défensif est personnel.

>MARDI 7 JUILLET 2009 : SOLEIL ET REPRESSION DE PLOMB A ROME.

Comme prévu, on se retrouve à 8h à la Fac d’Architecture occupée pour le départ du cortège d’action en vue du blocage économique. Point positif : beaucoup d’internationaux, allemands, français et autres. Point négatif : on est moins de 200. On apprend alors que plusieurs autres groupes partent d’ailleurs et que l’idée serait de les rejoindre pour bloquer l’axe routier.
A nouveau, les désaccords entre italiens éclatent au grand jour : certains veulent partir d’emblée cagoulés, d’autres noms ; certains veulent passer par tels endroits, d’autres noms.
Cependant, tout le monde s’accordent pour que ce soit un groupe très mobile, très rapide, et qui ne cherche pas tout de suite la police.

Finalement, on se met en route. Il est 10h. Notre nombre tourne autour de 150 à peine. Effectivement, on va très vite. Tout le monde est déjà cagoulé, casqué, et la banderole de tête est en fait fixée sur des boucliers collectifs. Un camarade pousse un caddie remplie de pavés et de cannettes vides. Les slogans fusent rageusement, des dizaines de fumigènes sont claqués : « A Anti AntiCapitalista ! », « No Border, No Nation, Stop Deportation ! », « No justice no peace, fight the police », « all streets, our streets », « what’s solution, revolution ! », etc. Les slogans désormais classiques des autonomes en cortège d’action.

Ce sera ce qu’on appellera par la suite la « manif de la pyramide » car on débouche en effet sur une grande place orné d’un monument représentant une pyramide et sur laquelle nous voyons la Guardia di Finanza prendre position. L’hélico des flics nous survole à nouveau. Que de graves erreurs à nouveau : c’est le moment où le cortège se desserre ; personne n’est en lignes ; le groupe n’est pas du tout compact mais au contraire très dispatché avec une grande distance entre les premiers et les derniers ; aucune coordination sur le parcours, certains vont d’un côté tandis que d’autres stagnent où veulent aller ailleurs. C’est assez pénible sur le moment et on perd beaucoup de temps. On passe devant les flics, puis on continue sur une grande rue, gardant en tête que notre force reste la mobilité.
Soudain, les flics attaquent. Ils sont rapides, efficaces, brutaux.

A partir de là, ce ne sera qu’une longue course-poursuite à coups de grenades assourdissantes, de charges répétées auxquelles on tente de répliquer on dressant rapidement de mini-barricades avec les grosses bennes en métal typiquement italiennes. Très vite, on perd complètement le contrôle de la situation et si quelques fumigènes sont lancés vers les flics, ils finissent par y aller carrément quand ce sont les cars qui nous foncent dessus, aux limites de nous écraser. On se fait balader, même si on tente de retourner sur la Fac de Lettres occupée, voyant bien que nous n’avons en rien le rapport de force nécessaire à l’action voulue. Longue course-poursuite sous les détonations donc, qui finit par une vague d’arrestations pour beaucoup, des cachettes pour les plus chanceux. Au total, 37 arrestations dont plusieurs internationaux. Les autres se sont réfugiés principalement dans la Fac de Lettres ou dans un quartier Rouge à proximité, là où se trouve le siège de la Radio autonome Rossa.

Toutes les facs se font attaquées et évacuées par la police, y compris la Fac de Lettres totalement encerclée malgré une résistance acharnée des occupants à coups de projectiles.

La manif de 12h est annulée.

Du coup, on se retrouve directement à 17h à la place Berbirini pour la « grande » manif. Je mets grande entre guillemets car sur une ville de 4 millions d’habitants, sur une capitale, et pour un rassemblement international contre un sommet international, nous sommes moins de 3000. Toute la flicaille possible est là, elle a bouclé quasi-hermétiquement la place, ne laissant qu’un seul accès de libre, les autres passages étant barrés par de grandes grilles antiémeutes et plusieurs dizaines de rangées serrés de carabiniers en armes. Beaucoup de discours, les gens semblent déçus du peu d’affluence, l’Etat sonne sa victoire.

Ce n’est que deux heures plus tard qu’un cortège se met en branle. La Sinistra Critica laisse tomber le cortège, il n’y a aucune Organisation type parti ou syndicat. Il n’y a qu’environ 1500 personnes déterminées qui avancent. Tout se passe bien et ça réchauffe le cœur et remonte le moral lorsque soudain, à la grande place suivante, tandis que les flics ont pris position un peu partout, de grandes bagarres générales éclatent entre militants italiens, ceux partisans de continuer et faire des actions et ceux qui veulent tout annuler. Nous sommes assez déconcertés et finalement blasés, très déçus.

Néanmoins, un groupe de 150-200 personnes va tenter une action de blocage des voies ferrées à la gare Stazione Termini. En moins d’un quart d’heure, plusieurs centaines de flics bouclent le secteur, investissent la gare et opèrent à de violentes charges sur les voies ferrées. Il y a eu au moins deux arrestations certaines, les autres se sont dispersés dans les trains et dans la foule.
Scène étrange qui témoigne de l’imprévisible gestion répressive : un camarade sort de la gare, seul, Tshirt avec une grande étoile rouge sur lui, l’écharpe noire dénouée autour du coup, casque de moto à la ceinture, super flag donc ; il passe tranquillement devant les flics qui ne prêtent même pas attention à lui.

De retour au squat, on remarque qu’il y a bien plus de gens qu’à la normale. Il y a une grande AG sur les prochaines actions à venir. Mais force est de reconnaître : l’AG est exclusivement en italien, sans aucune traduction (même pas en anglais), il n’y a pas de tour de parole, c’est à celui qui crie le plus fort, et ce sont souvent les mêmes qui parlent.

De notre côté, les camarades italiens font solidairement un convoi de 9 voitures pour nous mener à un autre squat plus tranquille dans le quartier nord, car celui-ci est fortement menacé d’une perquisition de la police, ce qui nous mettrait en grand danger.

On s’installe au squat (principalement d’habitation, c’est une ancienne école abandonnée réoccupée par des familles pauvres et communistes), mais on apprend que tout le quartier nord est aux mains des fascistes…Le mot d’ordre est à la discrétion. Car bien que le squat tient depuis 13 ans maintenant, et qu’une sorte de coexistence pacifique tacite tient avec les fafs bon gré mal gré, il y a six mois une occupation similaire par une 15aines de « nouveaux arrivants » temporaires pas assez discrets a donné lieu à une descente de fafs d’une grosse centaine qui a fait 15 blessés graves. Par ailleurs, les agressions sont courantes, un jeune communiste il y a peu encore s’est fait planté par trois coups de couteau par des fafs et en est mort.

On près d’une centaine d’internationaux à se retrouver là.

On apprendra plus tard que le même jour a eu lieu de violents affrontements à Turin tandis que plusieurs manifs anti-G8 ont eu lieu effectivement dans tout le pays.

>MERCREDI 8 JUILLET 2009 : rassemblement anti-répression.

Il n’y a eu aujourd’hui qu’un rassemblement de 17h à 20h devant une des principales prisons romaines. On est nombreux, bien plus de 1000. Pas de manif. D’autres sont ensuite partis faire un petit rassemblement similaire devant la prison des femmes, à l’autre bout de la ville. Quelques petites actions restreintes et sporadiques, selon les rumeurs.

>JEUDI 9 JUILLET 2009 : CONTRE LES CAMPS DE RETENTON

C’est politiquement la journée la plus réussie. A 16h30, 200 personnes se retrouvent à la gare pour un départ groupé vers le principal Camp de Rétention de Rome (Fiera Roma) un peu excentré de la ville. 1500 personnes se rassemblent.
La police est évidemment fortement présente, avec tout le bordel dont l’hélico. Ce qui est étrange, c’est qu’ils nous laissent aux abords directs du Camp. Nous sommes justes devant. Un stand donne des boissons et de la bouffe aux camarades qui arrivent encore.

Des banderoles anti-sécuritaires et No Border sont déployées un peu partout. Les seuls drapeaux sont ceux rouges et ceux noirs. Des discours au micro expliquent le contexte effrayant des Camp de Rétention en Italie : il y a eu de nombreuses mutineries aux CRA de Milan, Turin et Bologne avec incendies et tentatives d’évasion par le toit. Les flics, en réponse à cela, investissent les lieux, tabassent, coupent l’eau, les vivres et les communications avec l’extérieur, empêchent les sans-papiers de se réunir à l’intérieur. A Rome, le régime « normal » est de 1 litre d’eau par jour par personne, ce qui est dérisoire quand on sait qu’il fait près de 40°C en journée l’été par exemple, et qu’ils sont logés à 8 par cellules. A la moindre révolte, ils coupent l’eau. Le régime « normal » veut également, bien sûr, que toutes les réunions entre détenus soient rigoureusement interdites. Le temps d’enfermement est en général de 6 à 8 mois avant expulsion.
En apprenant cela, la rage monte et on se rassemble spontanément juste devant les grandes grilles de l’imposant bâtiment digne d’un camp de concentration nazi avec de grands murs bétonnés surplombés de fils de fer barbelés, d’étroits corridors avec barbelés et des baraquements de fortune. On crie, on gueule, on lance de multiples slogans (« Liberta ! Liberta ! », « Liberi Tutti, Libere Tutte ! », « No Border, No Nation, Stop Deportation ! », « Polizia Assassini ! », etc.); c’est alors qu’on entend en réponse des cris de l’intérieur, les sans-papiers se sont spontanément également réunis dans la cour.
La rage prend les tripes, des concerts de soutien sont faits par solidarité, ce dans toutes les langues : arabe, français, italien, allemand, anglais, etc. Puis on aligne symboliquement une centaine de bouteilles d’eau vides par terre en réponse au fait que les flics coupent l’eau régulièrement aux détenus, puis tout le monde jette les bouteilles rageusement dans le camp. Des camarades qui ont construit d’énormes caméras en carton avec écrit « TV LIE » dessus (la télé ment) sont brûlées pour montrer notre haine envers les mensonges perpétrés par les médias bourgeois qui justifient la logique sécuritaire et parlent des CRA comme des camps de vacances. La tension monte, on se tourne vers la police qui s’aligne. L’équivalent de la BAC garde avec soin l’entrée du Camp.
Il semble que les flics soient rentrés à l’intérieur pour forcer les détenus à retourner dans leurs baraquements.

Puis, des sans-papiers nous parlent à travers les nombreuses enceintes par téléphone et témoignent de leurs conditions de détention déplorables et du fascisme. Entendre leurs voix de l’intérieur est terriblement intense. Il est clair qu’on aurait pu provoquer des affrontements à l’extérieur afin de faciliter une mutinerie à l’intérieur, comme à Vincennes, mais il n’en sera rien. Quand on monte sur la passerelle qui enjambe la voie ferrée, à quelques mètres du Camp, on peut voir les sans-papiers à l’intérieur nous faire de grands signes des bras. Tout est tagué au maximum. Au loin, derrière le Camp, quelque chose brûle, sûrement une voiture.

Vers 20h, on se disperse et on retourne à la gare où on apprend que les flics nous attendent pour des contrôles. Pas grave, on descend une station avant.
>VENDREDI 10 JUILLET 2009 : RETOUR A L’AQUILA

Des dizaines de bus viennent de toute l’Italie. De notre côté, on arrive de Rome à l’Aquila à 12h30. Le point de départ se situe en pleine montagne, le paysage est d’ailleurs grandiose, hommage aux montagnes italiennes. Il y a énormément de monde, dont toutes les innombrables organisations communistes dont de très nombreuses marxistes-léninistes, ces milliers de faucille et marteau étaient d’ailleurs un peu déconcertantes pour les quelques libertaires en nombre très restreint. Il n’y a quasiment que des italiens, à part quelques centaines d’internationaux.
Mais la manif, si elle est un succès d’un point de vue strictement numérique, a un drôle de ton d’ensemble. Dès le début, en effet, des salopards du Parti Communiste Italien viennent faire chier des camarades turcs du TIKB, voulant leur interdire de manifester s’ils déployaient leur banderole. Deux « raisons » à cela selon les stals : la première, c’est que c’est presque la seule banderole avec un slogan ouvertement contre le Sommet du G8, à savoir « SMASH G8 » ; le second, c’est qu’ils considèrent que le célèbre logo du TIKB, à savoir la kalachnikov sur la faucille et le marteau, est trop violent et représente une provocation inutile envers la police. Enfin, ils insultent violemment les turcs avec des fuck en les traitant de « fouteurs de merde », de « casseurs », car ils seraient connus comme des partisans de l’action directe. Ces fumiers de stals, on les emmerde. Ça a d’ailleurs failli dégénérer en baston dès le départ. Finalement, les turcs ont fièrement brandi leur banderole tout le long du cortège en scandant de très beaux slogans révolutionnaires, et tous les totos se sont solidairement ou instinctivement mis avec eux dans le « Red Bloc ». D’ailleurs, ce sera la seule partie du cortège que l’hélicoptère survolera en rase motte.

Pour en revenir sur la manifestation en elle-même, elle durera de 13 à 16h, rassemblant environ 15000 personnes. Mais la manif est effroyablement triste et funéraire : on croirait une de ces manifs rituelles inutiles et moutonnes où chaque groupe reste sous sa bannière, son drapeau, sa couleur, et personne ne se mélange. Tout le long du défilé, chacun fait donc son propre petit cortège type manif syndicale. Ensuite, aucun enthousiasme, aucune effervescence politique, chacun marche tranquillement et péniblement sous le soleil de plomb sur les étroites routes sinueuses et montagneuses de l’Aquila, loin de toute habitation.
Et c’est sous l’œil rieur des flics positionnés tout le long que s’effectue la longue marche forcée et spectaculaire du fameux défilé anti-G8, sans grande incidence.

La manif se termine à l’entrée du centre-ville de l’Aquila où un imposant barrage policier empêche le passage. Comme on pouvait s’y attendre, 200 autonomes foncent vers les flics en cortège serré en scandant « Aquila, Libera ! ». Il est vrai que la situation locale donne une certaine rage. D’autre part, d’après certains, c’était l’accès vers la caserne du G8 où se tenait le Sommet, à quelques kilomètres de là. Le cortège autonome s’avance donc vers les flics, déterminé et menaçant. Seuls un fruit et quelques bouteilles d’eau vides volent et aussitôt ils mettent leurs casques et brandissent les matraques. C’est à ce moment qu’interviennent les pacifistes qui se mettent en travers. Ils font, lentement et difficilement mais sûrement, reculer les autonomes, ce qui donne lieu à quelques bagarres internes.

Le plus déplorable dans tout cela, c’est la vermine médiatique. En effet, les totos se sont à peine approchés des flics que les journaleux ont tous accourus, à une bonne centaine, bousculant tout le monde, défonçant les grilles, tels des mouches sur une merde, tels des attardés, en quête insatiable du moindre spectacle.
A préciser par exemple que ces pourritures ont réussi leur Une de grands journaux bourgeois mardi dernier : ils ont publié une photo où l’on voit en très gros plan quelques casqués et cagoulés de la « manif de la pyramide » derrière une benne en métal renversée avec le titre « ROME BRÛLE ! ». Grotesque…

Finalement, les seuls dégâts de la manif seront les grilles défoncées par ces rapaces des médias bourgeois.

A 17h, les bus repartent et l’Aquila retrouve son calme inquiétant.

Le soir, quand on rentre au squat, on apprend que le fils d’une camarade s’est fait arrêté et a été emmené au poste, officiellement parce qu’il a été pris en flagrant délit de fumer un joint, mais en fait et surtout parce qu’il est « fils de » et vit dans tel squat. Je mentionne cette triste anecdote pour donner une idée des tortures policières perpétrées dans les commissariats de carabiniers. Le camarade s’est mangé près de 20h de garde à vue et témoigne du discours que lui ont tenu les flics : « on va te briser les jambes, tu ne tiendras plus debout. Ta mère te reconnaîtra plus, on va te détruire la gueule. On va t’envoyer dans un centre, ils vont t’arranger le cul ». Suite à la torture psychologique, la torture physique : ils l’ont frappé au visage et lui fait très mal au bras. Voilà, juste pour témoigner un peu de la police fasciste italienne.

>SAMEDI 11 JUILLET 2009 : EMBUSCADE FASCISTE

Le samedi, nous ne sommes plus que quelques français à être encore dans le squat. Cette triste anecdote doit également, à mon sens, être connue de tous pour témoigner de l’agressivité des quartiers fascistes à Rome. Au retour d’un concert antifasciste, les camarades français tombent sur une embuscade : des fafs les croisent en voiture, finissent par sortir avec dans les mains une énorme poutre en bois avec laquelle il tente de frapper un camarade avant de la lui lancer. S’ensuit une course-poursuite angoissante, où un camarade manque de se faire écraser à plusieurs reprises par une voiture qui l’a pris en chasse. Les autres se sont planqués dans des buissons. Finalement, six voitures de fafs tournent, d’autres font le guet à plusieurs endroits, ils sont reliés et coordonnés. Sans la solidarité des camarades italiens qui ont été les chercher, ça aurait pu tourner au drame car ils voulaient tuer.
Ainsi, les fafs sont dans une logique de meurtre par des agressions qui n’ont rien d’anodines, qui témoignent d’une organisation de terrain spontanée efficace.

Comme tous les autres, on quitte Rome à notre tour.

>CONCLUSION :

Si le but de l’Etat a été d’empêcher au maximum les liens entre internationaux et italiens, de donner un caractère international au contre-sommet, comme il fut pendant le No Border à Calais d’empêcher au possible les jonctions entre migrants et activistes No Border, ce fut officiellement une réussite pour lui, même si, officieusement, de nombreux contacts ont été établis et des liens forts soudés.

Le manque de coordination et d’information fut fatal, et de contre-sommet finalement il n’y a pas eu.

Il reste maintenant à s’interroger pour les prochains contre-sommets qui sont maintenant davantage l’occasion d’une démonstration de force de l’Etat policier où, comme à Strasbourg contre l’OTAN, l’Etat a su montrer qu’il était capable d’instaurer, en très peu de temps, un véritable état de dictature militaire.

Pas de justice, pas de paix.
Feu au capital.

Guitoto.