Après 71 jours de mobilisations, de grèves, de blocages des voies de communications, et au prix des violents affrontements des 5 et 6 juin dernier, les communautés indiennes de la région amazonienne du Nord Pérou ont fait plier le gouvernement. Deux des principaux décrets-lois contestés ont finalement été abrogé par le Parlement le 18 juin.

Le prix politique extrêmement élevé que commençait à payer le gouvernement d’Alan Garcia lui a fait faire machine arrière, au cours des derniers jours. D’abord en « suspendant » les décrets pour une période de 90 jours, puis en promettant d’ouvrir un nouveau débat avec les chefs des communautés. Puis, lundi 15, le premier ministre Yehude Simon, en rencontrant les apus (chefs traditionnels indiens) et en leur annonçant que le gouvernement allait révoquer les décrets. Puis ce même premier ministre annonçant sa prochaine démission dès le conflit terminé ont été les étapes de ce recul.
C’est maintenant chose faite.

L’ampleur des mobilisations internes au Pérou au delà même de la zone de conflit, les risques d’escalades dans la confrontation violente (dont les 24 policiers tués ont démontré l’extraordinaire détermination des indiens), l’onde de choc provoquée dans les communautés amérindiennes des pays limitrophes (en particulier l’Equateur mais pas seulement) et la multiplication des prises de position contraires de la part des organisations internationales (ONU) ont amené à ce qu’il faut bien appeler un recul total du gouvernement.
Ce recul est une défaite.

Il n’a pas réussi à mobiliser les “péruviens“ contre les “autochtones“ coupables de primitivisme et de sauvagerie. Il n’a pas réussi à internationaliser la crise malgré les multiples accusations de sédition organisée par des agents de l’“étranger” et plus particulièrement l’axe du mal régional qui va de La Paz à Caracas (et sans doute jusqu’à La Havane). Il n’a pas réussi à faire croire que derrière cette mobilisation ample et déterminée de toute une population se cachaient des « terroristes » et autres subversifs cherchant à déstabiliser le pays avec l’aide d’ONG européennes… Il n’a pas réussi à opposer les “vrais” amazoniens et leur apus (chefs communautaires) aux organisations de défense qu’ils se sont donné : peine perdue, le gouvernement a dû céder devant les “vrais“ représentants des communautés !

Aujourd’hui vendredi 19 juin, les principales organisations à l’origine de la mobilisation ont appelé au démantèlement des barrages (axe routiers, voies fluviales, station pétrolières de pompage) et la fin provisoire du mouvement. Provisoire car les différents porte-parole des organisations amazoniennes ont bien précisé que le mouvement reprendrait si le gouvernement ne tenait pas ses promesses.

Les décrets, pris par le gouvernement et finalement abrogé par le parlement, n’étaient que la traduction à l’intérieur du Pérou de divers accords de libre-échange (TLC) avec les Etats-Unis.

Mais rien n’est réglé. Ces accords existent. D’autres accords sont en préparation avec l’Union Européenne. Depuis deux ans en effet, dans la plus grande discrétion, des pourparlers ont été engagés par les 27 pays européens en vue de parvenir à un accord d’association (ADA) avec quatre pays andins (Bolivie, Pérou, Équateur et Colombie).

Si la Bolivie, qui vient de considérer l’eau, la santé et les produits du sous-sol comme non aliénables a semble-t-il été exclue de la phase finale des discussions, il n’en est pas de même pour la Colombie et le Pérou, deux pays dirigés par des gouvernement ouvertement “néolibéraux”.
Mais cette lutte n’est pas terminée.

Seuls 2 décrets-lois ont été abrogés. Il en reste 7 autres, ce qui laisse encore au gouvernement une petite marge de manœuvre. Ensuite, les mesures répressives et judiciaires se poursuivent. Les indiens arrêtés n’ont pas été libérés et 18 d’entre eux, poursuivis pour meurtre de policier ont été internés dans la prison de haute sécurité de Chachapoyas.

Enfin, la vérité sur les disparus va devenir un autre enjeu. Pour l’instant, les chiffres officiels donnent toujours 34 victimes : 24 policiers et 10 manifestants. Selon les témoignages, les disparus seraient entre 40 et 60. S’il semble évident que certains disparus sont tout simplement en fuite, de peur d’être arrêtés, les nombreux témoignages parlant de policiers embarquant des cadavres dans leur véhicules sont de toute évidence à prendre en compte. De multiples organisations demandent la mise en place d’une commission indépendante d’investigation sur les faits de disparitions et pour que toute la lumière soit faite sur les évènements.

Enfin, les luttes contre la privatisation et le pillage des ressources naturelles ne se limitent pas à la zone amazonienne. Beaucoup plus au sud, dans la province andine de Andahuaylas (région de Apurímac), les habitants bloquent une route importante et demandent une “obole volontaire” aux voyageurs pour qu’ils puissent continuer leur voyage. Ici, la protestation a démarré il y a une semaine et les demandes sociales sont multiples : contre la privatisation de l’eau, pour plus d’instituteurs et de professeurs dans les écoles, et l’application des promesses présidentielles : baisse des prix des engrais, fourniture de matériel agricole (tracteurs), travaux d’assainissement, …. Et aussi la démission du président pour la répression qu’il a ordonné à Bagua. Ils exigent que le premier ministre vienne sur place les rencontrer pour qu’il démontre bien qu’il veut le dialogue et en demandant qu’il vienne avec de propositions concrètes et pas encore des promesses.

Décidément, l’oligarchie de Lima n’en a pas fini avec les communautés amérindiennes qui années après années ont pris conscience, non seulement de leurs droits (sociaux, historiques, politiques…) mais aussi et surtout de leur capacité à les faire respecter.
Cette bataille perdue par l’oligarchie et gagnée par les populations en lutte n’est pas la fin de la guerre.

Les décrets-lois abrogés, partiellement ou pas, la logique capitaliste d’appropriation, de pillage, de privatisation des biens communs se poursuivra tant que le cadre politique général ne sera pas notablement modifié. D’un autre côté cette victoire populaire, la victoire des communautés indiennes, est évidente. Elle est surtout importante car elle donne de la confiance, de la force pour continuer et sans doute pour amplifier les mouvements de résistance dans cette région du Pérou, dans l’ensemble du pays, et au-delà, dans ce continent où les voix des populations originaires se font entendre avec toujours plus de puissance, devenant déjà dans certaines zones, dans certains pays (Equateur, Bolivie…) un ensemble de forces structurantes du nouveau panorama social-politique.

Et même ici, dans nos vieux pays de la vieille Europe, cette lutte victorieuse ne peut que donner plus de force et d’énergie à tous ceux et celles qui savent que c’est par la lutte, et uniquement par elle, par des rapports de forces construits et opiniâtres qu’il est possible de faire reculer la barbarie capitaliste et productiviste.

Le 19 juin 2009