Partie en direction des grands boulevards, la tête de manif a été rapidement prise par les lycéen-ne-s et un tas d’autres gens, environ un millier, devant la banderole dite « unitaire », après quelques frictions avec des cégétistes tendance service d’ordre, qui disaient « pour votre sécurité, restez derrière » (rires). Au niveau de la place Gustave Rivet, le bon millier de personnes en tête de manif prend la direction de la place de Verdun, avec une jolie banderole « Guerre au capitalisme », tandis que le restant de la manif poursuit en direction du parc Mistral. A ce moment-là, il restait en tête de la grosse manif deux banderoles côte à côte, la banderole intersyndicale unitaire (au mot d’ordre terriblement révolutionnaire : « Privé-public, la retraite à 60 ans ou avant, c’est possible, en améliorant le pouvoir d’achat ») et une banderole lycéenne (genre « jeune lycéen aujourd’hui, vieux chômeur demain ») avec entre 60 et 100 lycéen-ne-s… Succès de la manif sauvage du côté des lycéen-ne-s, donc. La grosse manif se disperse assez rapidement au parc Mistral, entre merguez et musique à chier.

La manif sauvage est freinée une première fois par les flics non loin du local de l’UMP. Les flics balancent des lacrymos et reçoivent quelques premiers projectiles, puis la manif sauvage continue et arrive comme d’hab’ sur la place de Verdun. Assez vite, la place de Verdun est bien occupée. La rue Eugène Faure, menant au rectorat, est bien entendu bloquée par la police. Et là, malgré quelques premiers projectiles lancés sur les flics, pas de lacrymos en retour. L’ordre donné par le commissaire Borel-Garin mardi dernier (rester le plus passif possible face aux attaques des manifestant-e-s) semble toujours d’actualité. Alors ça s’amuse plutôt bien du côté des manifestant-e-s. Il y aura plusieurs caillassages, et finalement les flics répondent par des salves impressionnantes de gazages à la lacrymo sur toute la place de Verdun. Les caillassages sont assez enthousiastes, et ce, même après que des syndicalistes à drapeaux aient rejoint la place de Verdun (Sud en force, notamment).
L’un d’entre eux demande à un caillasseur d’arrêter, en expliquant qu’il est là « pour les 40 ans ». Les 40 ans de quoi ? c’est son anniversaire ? ou alors pour les 40 ans de cotises pour la retraite ? ou les 40 ans de Mai 68 ? Hmmm… En tout cas, 40 ans, si ça se fête, autant le faire joyeusement, en caillassant la flicaille, par exemple !
En vrac, sont lancés sur les flics : du matos pour feux d’artifice (fusées, fumigènes, gros pétards), des bouteilles, des pierres, des bouts de bois, des pots de fleurs, un seau, presque tout y passe. L’ambiance est relativement offensive, un flic de la Bac déguisé en émeutier est chassé par des manifestant-e-s à coups de fumigènes, canettes et pierres. Par la suite, les bacqueux se la joueront moins et resteront à l’écart, groupés, casqués et flashball à la main. Les bonnes habitudes sont toujours là, comme les semaines précédentes : beaucoup de manifestant-e-s sont masqué-e-s (contre le Big Brother policier et contre les lacrymos), avec foulards, lunettes de ski, etc.

Le citron tourne pour imbiber les foulards, le sérum physiologique également (pour soigner les yeux qui brûlent à cause de la lacrymo). Tout le monde ou presque semble bien équipé contre les lacrymos.

Sur la place de Verdun, deux cabanes de la très bobo deuxième Biennale de l’habitat durable (dont une « maison évolutiv » qui aurait pu bien porter son nom, pour le coup) subissent des débuts d’incendie, finalement éteints avant que ça ne crame vraiment. Les flics balancent des lacrymos à ce moment là, mais à chaque fois, les manifestant-e-s reviennent sur la place de Verdun et attaquent à la police.

Au fur et à mesure, la rue Lesdiguières est occupée par des manifestant-e-s, créant une espèce de longue chaîne de solidarité entre la rue et l’autre bout de la place de Verdun.

La Bac commence à avancer sur la place de Verdun, rester sur la place devient de plus en plus dangereux, celle-ci étant globalement encerclée de flics, même si des points de fuite restent possibles aux rues Lesdiguières, Beyle Stendhal et Fantin Latour. Quelques personnes commencent à crier « manif sauvage » et ça part doucement dans la rue Lesdiguières. Des centaines de personnes s’y engagent, en mode masqué et offensif. Sur la rue Lesdiguières puis boulevard Agutte Sembat, des panneaux de pub volent en éclats, puis les vitrines du magasin Oliver Grant (costards et robes de mariée pour la haute bourgeoisie) sont brisées à coups de grosses caillasses. Concernant l’antipub, c’était assez drôle, parce que presque tous les panneaux de pub étaient touchés, de manières diverses : casse de panneaux, affiches enlevées, panneaux tagués…

Parmi les slogans entendus, sur la place de Verdun et en manif sauvage, les classiques :
« La rue nous appartient »
« Guerre sociale ! »
« Police partout, justice nulle part »
« Aux armes ! »

Après quelques secondes d’hésitation au niveau de la place Victor Hugo, la manif sauvage s’engage un peu dans le boulevard Edouard Rey puis s’arrête et s’engage finalement vers la rue Félix Poulat. On doit être environ 2 000 et on sent une puissance collective qui fait bien plaisir.
Pendant plusieurs dizaines de minutes, c’est un véritable front manifestant-e-s versus flics qui va avoir lieu. Un moment assez fantastique, où les gendarmes mobiles et les bacqueux seront à différents moments acculés par des dizaines de projectiles, la rage des manifestant-e-s s’exprimant parfois au même moment : quel beau moment que celui où l’on voit des dizaines de projectiles tomber sur des rangées de gendarmes mobiles et de bacqueux casqués. La police recule, puis reprend du terrain en balançant des lacrymos, puis les manifestant-e-s repartent à l’attaque, et des salves de lacrymos envahissent l’hyper centre marchand de Grenoble, des barricades sont mises en place temporairement avec des grandes grilles de chantier, des chaises du Mc Do, des poubelles, etc. Des dizaines d’exemplaires du Dauphiné Libéré du jour sont déchirés et jetés au milieu de l’affrontement. Un joyeux chaos règne. Les bacqueux jouent du flashball mais ça ne suffit pas à calmer l’ambiance. Tout le monde est mélangé et solidaire, les étiquettes individuelles sautent et parmi tout ce monde on trouvé de très nombreux-euses lycéen-ne-s, des étudiant-e-s, des chômeur-euse-s heureux-euses, des travailleur-euse-s vénères, des anarchistes tout en noir ou pas (grrr !), des cailleras, des baba-cools (il en reste ?), des cénétistes, et même des syndicalistes gauchistes avec leurs drapeaux Sud et autres (et franchement, cette fois-là, big up aux syndicalistes qui ont rejoint la manif sauvage, car de fait c’était assez clairement en solidarité avec les manifestant-e-s émeutier-e-s ; les syndicalistes présent-e-s ne participaient pas activement à l’affrontement en balançant des caillasses et tout, mais ils étaient bien là, face aux flics, y’en a même qui renvoyaient les lacrymos vers les flics – bien sûr, les plus chouettes des syndicalistes présent-e-s étaient justement celles et ceux venu-e-s sans leurs drapeaux et autres autocollants, au même titre que tout le monde, quoi). Ha, au cours des affrontements, il semble qu’une voiture de flics ait eu son pare-brise arrière complètement pété. On voit le véhicule en question (avec gyrophare bleu sur son capot) sur les rames du tram de l’arrêt Victor-Hugo, juste derrière des fourgons de police :
http://www.dailymotion.com/search/grenoble/video/x5imc2…_news

Juste à côté, des client-e-s du Mc Do’, déjà bien habitué-e-s à la bouffe de merde, demandent sûrement le nouveau Big Mc local : « bonjour, je voudrais un Mc Lacrymo s’il vous plaît ».

Malgré quelques flics en civil qui tournaient discrètement ici et là, aucune arrestation n’a été signalée dans ces moments d’affrontements. La solidarité entre manifestant-e-s était vraiment géniale. Bon, y’a eu quelques anecdotes un peu nazes, du genre embrouilles entre manifestant-e-s avec des lycéens un peu chauds qui un coup balançaient des caillasses sur les flics (super) et un coup mettaient des claques sans raison à d’autres manifestant-e-s (super nul). Mais bon, ces embrouilles restent super marginales, ce sont d’ailleurs des faits qu’on m’a rapportés car je ne les ai pas vus moi-même.

Sur la rue Félix Poulat, pas mal de casse, particulièrement ciblée : la banque du Crédit Lyonnais qui donne sur la place Victor-Hugo a vu plusieurs de ses vitrines brisées, pas mal de panneaux de pub ont été défoncés, bref, le capitalisme a pris des coups : y’aura-t-il encore des gens pour « dénoncer » ces actions ? En tout cas, aujourd’hui, si pour certain-e-s ce n’était pas des actions intéressantes car pas assez consensuelles (hé bien justement, rendons-les plus fréquentes pour les rendre populaires !), au moins personne ne remettait en question le sens politique de ces actes. Le capitalisme a été visé, comme l’Etat et ses flics, qui ont été copieusement caillassés (pas que par des anarchistes, croyez-moi – ou alors il y a à Grenoble beaucoup plus d’anarchistes que ce que je pensais… ce qui est possible également, remarquez).

Sur la place Victor Hugo, de véritables relents du mouvement anti-CPE (et de Mai 68 ?) se font sentir : la rage des manifestant-e-s, le soleil, les odeurs de lacrymos, les rencontres furtives, la solidarité dans l’affrontement, troooop bien !

14h, fin de partie, ça ne fait que 4 heures que la manif a commencé, la manif sauvage a duré trois heures environ, ce qui est à peine croyable : l’intensité était telle qu’on a l’impression que c’est déjà le début de soirée (ce qui explique d’ailleurs la dispersion progressive lors de la baisse de tension dans le front manifestant-e-s versus flics).

Nous sommes de plus en plus à ne pas vouloir de ce monde des flics et du fric, et nous sommes de plus en plus nombreux-euses à l’exprimer en actes dans la rue. Tous les gouvernements sont sourds aux revendications de la population, ils ne cherchent qu’à conserver leurs privilèges en essayant de nous faire croire que les miettes qu’ils lâchent sont tout ce qu’ils peuvent faire. Ne soyons pas dupes.

Aujourd’hui, encore plus que jeudi dernier, on n’était pas là seulement pour éviter les lacrymos des flics et leur prendre la rue, on était là aussi pour attaquer la police. Parce qu’on ne veut pas rester des victimes, parce qu’on sait que tout ça ne mène nulle part ailleurs qu’à un accroissement du fossé qui existe déjà entre nous et les gouvernants, et que nous assumons cette opposition. Ils n’auront pas un quinquennat facile, Sarko et sa clique le savent depuis au moins un an, puisque le 6 mai 2007, jour de l’élection de « notre président », avait déjà donné lieu à des émeutes un peu partout dans le pays. Tant qu’il y aura l’oppression de l’Etat et du capitalisme, il y aura des gens pour résister, et plus si affinités… Qu’ils mettent des flics et des caméras partout (vous avez vu aux fenêtres de la préf’, ça filmait les affrontements), on sera encore là, de plus en plus, incognito, anonymes, collectivement, en meutes, ensemble (tout devient possible).

Après la dispersion, la Bac tournait autour de la place de Verdun et a semble-t-il interpellé sporadiquement quelques personnes. Faites attention à vous, même quand la manif est terminée !

Plus tard, une manif sauvage est repartie de la gare, plusieurs centaines de lycéen-ne-s et autres (600 d’après GreNews) ont défilé jusque dans le centre-ville, environ entre 15h30 et 17h30.

Pour finir avec quelques chiffres et notes sur la répression, on peut dire qu’il y avait moins de 50% des bus et trams du fait de la grève à Grenoble, mais entre 10h et au moins 17h, le blocage était total dans tout le centre-ville (trams et surtout, les grands magasins, rendus quasiment inaccessibles du fait des affrontements – quel délice ensuite de voir des costards-cravates choqués en face du Crédit Lyonnais et de ses vitrines brisées).

D’après GreNews, « 12 personnes blessées dont 4 parmi les forces de l’ordre, 8 interpellations dont 1 enseignant… Tel était le bilan en milieu d’après-midi d’un nouvel épisode d’échauffourées, plus violentes que le jeudi précédent, de la place Verdun au centre ville de Grenoble. »
Discours quasiment identique sur le site du quotidien Le Monde : « A l’issue d’une manifestation sans incident qui a réuni, selon les sources, 8 000 à 30 000 personnes, des jeunes ont lancé des projectiles sur les gendarmes et les policiers, qui ont riposté par des jets de gaz lacrymogène. Douze personnes ont été blessées, dont quatre parmi les forces de l’ordre et sept jeunes et un enseignant ont été interpellés pour jets de projectiles, outrages et dégradations, a précisé la police. »

Dans tout le pays, entre 300 000 et 700 000 personnes ont manifesté. A Paris, il y avait 28 000 manifestant-e-s selon la police, 70 000 selon la CGT. D’après M6-info, « les manifestations, plus de 80 dans toute la France, ont donc attiré les foules. Ils étaient entre 8.200 à 60.000 à Marseille, entre 14.000 et 25.000 à Toulouse, entre 8.000 à 25.000 à Bordeaux, entre 8.500 à 12.000 à Lyon. Les défilés de Rouen, Le Havre ou Le Mans ont rassemblé entre 7.000 et 15.000 personnes chacun. A Grenoble, la manifestation a dégénéré. En fin de cortège, des jeunes ont lancé des projectiles sur les forces de l’ordre qui ont riposté. Bilan : douze blessés, dont quatre CRS. Sept jeunes et un enseignant ont été interpellés. »

La lutte continue, intensifions-la.

Pour être heureux vraiment, faut plus d’gouvernement!