L’arrière-pays

« Ceux que tente la religion devraient réfléchir à la poésie » Y. Bonnefoy

Nous avons eu le privilège de rencontrer un poète et penseur reconnu ce mercredi 9 avril 2008. Il fut un vernissage d’exposition en l’honneur de l’octogénaire M Bonnefoy organisé par une école doctorale de Grenoble. Notre poète sera d’abord accueilli à 11 h à l’étage de la bibliothèque Droit Lettres du Domaine universitaire (38402 Saint-Martin-d’Hères), parmi une exposition de ses nombreux livres et d’autres œuvres, notamment une édition originale des Fleurs du mal. Pour la petite histoire, longtemps cette édition a passé entre les mains de nombreux lecteurs de la bibliothèque jusqu’au jour ou un « lecteur zélé » informe un salarié du lieu du trésor qui passait entre les mains d’idiots. Aujourd’hui, le livre est toujours consultable, mais sur place, et sous l’œil du salarié du lieu qui évidemment n’est pas responsable. L’après-midi, Yves Bonnefoy était à nouveau sur notre Campus pour une conférence lecture (commentaire et récitation de ses traductions des « Sonnets » de Shakespeare, ainsi que de son nouveau recueil poétique La longue chaîne de l’ancre) à la salle Jacques Cartier de la Maison des Langues ; puis suite à cette conférence dans une petite salle annexe à la disposition de quelques privilégiés.

Il était bientôt 11h. Je me dirigeais vers la Bibliothèque Universitaire Droit Lettres du campus de Grenoble depuis la bibliothèque de lettres de l’Université Stendhal, quand entre la Galerie des Amphis et le bâtiment d’accueil de notre université, je vis M. Lançon (professeur de lettres moderne, intime et spécialiste de M. Bonnefoy, et personne sous l’impulsion de laquelle le vernissage d’exposition et la conférence récitation ont pu avoir lieu). Je me dis alors, en une fraction de seconde, que le petit homme âgé qui l’accompagne devait être Yves Bonnefoy. Cela m’a surpris premièrement de ne pas trouver d’auréole autour de la tête de cet homme qui a traduit une grande partie de l’œuvre de Shakespeare et est parvenu à interpréter pour un grand nombre de lecteur l’œuvre d’Arthur Rimbaud. Puis je devais me souvenir qu’on m’avait prévenu vingt minute plus tôt. Une amie me disait : « un poète, ce n’est qu’un homme ». M Yves Bonnefoy était accompagné de sa femme, curieuse de connaître la topographie du lieu et les différentes universités installées sur notre campus, je viens alors à l’aide de M Lançon qui n’est sur le lieu depuis pas assez longtemps. Cela permet de me mettre en valeur devant le couple Bonnefoy, jusqu’à ce que nous arrivions au pied des marches de la Bibliothèque Droit Lettres et que je sois incapable d’expliquer l’inscription de son parvis, en lettres capitales (pourtant) noires sur fond d’une bande blanche :

« LES BELLES VALISES SONT DOULOUREUSES, DESSES ODIEUSE BIEN TROP PRESSEE »

C’est notre poète attentif qui nous a fait remarquer cette banderole. Ayant eu le privilège d’avoir la parole et vexé de ne pas savoir ce qui se passe sur mon propre lieu d’apprentissage, je me précipite alors dans une explication sans queue ni tête et en profite pour parler de l’occupation qui avait eu lieu au mois de Décembre contre les réformes gouvernementales (la LRU ainsi que la privatisation forcenée des universités), dans la Galerie des Amphis d’où notre poète était apparu. Je lui dis que cette occupation était assez bien organisée, que nous avions une cuisine collective par exemple. Mais ce n’est malheureusement pas Victor Hugo ou Emile Zola ou Monyo Betty que j’ai devant moi et Yves Bonnefoy ne m’écoute plus. Il s’interroge sur cette déesse de l’inscription et la signification de cette phrase, et se dit à lui-même, et à nous qui tendons l’oreille, que cette inscription doit concerner l’affaire des infirmières bulgares.

M. Lançon aide M. Bonnefoy à monter les quelques marches de notre Bibliothèque. Puis ils se dirigent, tous trois, vers l’ascenseur afin de parvenir au premier étage, le lieu de l’exposition en son honneur et du petit buffet. M. Bonnefoy n’attire pas les foules, cependant des gens attentifs. Suite à une introduction de M. Lançon, notre poète national prend la parole sur des sujets bien complexes pour un chansonnier tel que moi, mais je peux néanmoins vous transmette une de ses idées maîtresses et volontés : M. Bonnefoy souhaite que soit agrandi les champs des disciplines enseignées à l’Université, et aussi les champs des recherches et en particulier dans le domaine de la critique littéraire. Il est pour lui des terrains inconnus toujours à explorer. M. Bonnefoy souhaite renouer un lien ferme entre la poésie et le monde de la recherche universitaire. Ou si ce n’est, approfondir les connaissance et les motiver. Il nous invite à poser les pieds dans son « arrière-pays » ; mais aussi partout où l’homme ne sait pas encore aller.

14h30 sonnant, nous retrouvons M. Bonnefoy cette fois à la Maison des Langues de notre campus, pour une récitation de ses traductions des sonnets de Shakespeare suivie d’une conférence, à la salle Jacques Cartier. Il nous lira quelques vers de ses traductions du dramaturge anglais – que je ne suis parvenu que par bride à saisir, et puis par amour de la musique à écouter pour la mélodie et le rythme de la scansion et le souci de nous faire vibrer de ce petit homme si conscient de lui-même. Faisons deux remarques nécessaires, la première concerne la conscience que nous avons de nous-même. Une amie (une autre) voulait se servir un verre de punch suite au vernissage d’exposition du matin, mais elle ne le pouvait pas et est venue me le dire : « il y a un monsieur qui m’empêche de me servir » dit elle ironiquement. Ce Monsieur qui bloquait l’accès à la table du buffet n’était autre que notre poète qui avait cependant lui, son verre à la main. Et, la deuxième remarque nécessaire, je n’étais malheureusement pas dans la salle du découvreur de la Terre-Neuve et du canal saint Laurent l’après midi, mais parmi les quelques malheureux qui n’ont pu rentrer, restés sur la berge, et pour qui la conférence était retransmise via un ampli… Notons juste que la représentation débuta sur le problème amoureux de Roméo et Juliette et qu’une porte à battant était dans mon champ de vision ainsi que le bruit de sa fermeture dans le fond de mes oreilles concentrées. J’ai pourtant réussi à m’en aller sur des mers tumultueuses et géniales, pleine de solitude et d’angoisse devant l’avenir, à m’en aller par bride, puissant et immobile, en colère et planté comme piquet sur les falaises des images fortes de notre poète anglais !

Si je ne suis pas parvenu à saisir la pluralité des sens des poèmes de notre poète anglais admirablement traduit dans notre langue par notre poète français, et vous transmettre un irréprochable aperçu, cependant j’ai lu son « arrière-pays ». Nous avions étudié cet ouvrage ce 5e semestre passé de notre licence de lettres modernes avec M. Lançon, spécialiste des littératures de voyage et des ailleurs poétiques. Cette œuvre ne m’est pas montée dans le corps et l’esprit comme les Illuminations d’Arthur Rimbaud qui est en partie sa toile de fond. C’est-à-dire que ni l’une ni l’autre ne sont parvenu à me toucher. Je lis cependant avec beaucoup de respect ce genre de poèmes expérimentaux, malgré leur hermétisme. Lorsque la poésie explose en une nouvelle et trop brusque constellation, un nouveau big-bang culturel d’homme très instruit, j’ai du mal à être sensible. Je perçois cependant toute la détresse d’Arthur dans son recueil qui inspira tant de poètes sérieux. Je perçois également tout le travail, ou ce fil rouge tel le journal d’Odile, dans l’œuvre d’Yves Bonnefoy. Aussi, comme Odile, l’héroïne malheureuse enfermée sur les terres d’un amant absent du roman de Goethe, Les affinités électives, et comme Rimbaud, qui fut un enfant malheureux, terriblement précoce, et circonscrit sur un domaine puissant d’une mère qui refusa de voir son fils grandir, M. Bonnefoy a dû connaître ce genre de sensation castratrice pour créer une œuvre si conceptuelle. Et, il doit être un homme profondément sensible pour si être durablement attaché. Et nous sommes nombreux à être reconnaissant à son courage et à sa ténacité d’être parvenu à si bien saisir l’essence d’Arthur afin de nous transmettre, un peu, la parole de celui qui fascine un grand nombre d’entre nous, la parole de celui qui avait rompu toute communication !

Comme tous, M. Bonnefoy a dédicacé mon livre L’arrière-pays que j’avais volé à la Fnac. Je n’ai pu m’empêcher de le lui dire et de lui donner une maquette de mes modestes compositions en échange de son ouvrage. Il me dit alors : « je te pardonne ». Puis il me montra de son index mon nom de plume qui le surprit après qu’il avait cru entendre que je me nommais Jérémie tel le prophète. Je lui précise alors que l’orthographe de mon prénom n’est pas celui du prophète de la bible, issu de la petite tribu de Benjamin, mais prend un y. Il l’écrivit alors sur une feuille de brouillon pour être sur de ne pas l’écorcher lors de la dédicace. C’est une délicatesse remarquable.

Nous aimons probablement les idoles, et lorsque j’écris cet article cela doit se sentir. Mais, je crois en la capacité de certaine parole à faire tendre plus ou moins sérieusement les mentalités dans un sens et dans un autre. Aussi, je n’ai pu m’empêcher de donner à M. Bonnefoy lors du petit colloque privé (organisé par M. Lançon pour ses élèves de littérature moderne, ainsi qu’un élève de Master de Grenoble et deux de Lyon) qui suivit cette journée en son honneur, de lui donner un flyer (en papier recyclé) de l’association Survie-Isère tenue par l’irréprochable M. Foutoyet et de nombreux bénévoles.

En effet, lorsque j’ai interrogé notre poète national sur son acte d’écriture, et pourquoi, l’on ne trouvait plus chez les poètes contemporains l’enthousiasme et l’envie d’avancer vers des horizons plus purs, tendres, fermes et sereins et surtout collectifs ? M. Bonnefoy me répondit, bien plus en détail évidemment que ce que je vais vous rapporter – et ce qui m’importe d’être rapporté – une chose importante à mes yeux de petit musicien et je le crois à beaucoup d’entre vous qui savez lire entre les lignes :

« Écrire est pour moi un acte de Survie »

Nous allons nous réunir ce 10 mai, pour le 160ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Jamais l’humanité n’aura été aussi lente. Quand passons nous à la suite ? Je ne sortirais de chez moi que lorsque nous fêterons l’abolition de la dette.
Mais au fait Madame et Monsieur, savez vous seulement ce que c’est que la dette ?
Mes ongles à couper, comme Obispo, vous n’en savez rien.