« Pourquoi l’exécution précipitée de Saddam Hussein ? »

Le jugement et l’exécution de Saddam Hussein ont été salués spontanément par Bush comme une « victoire de la démocratie ». Il y a une part de vérité dans cette déclaration : c’est souvent au nom de la démocratie et de sa défense présentée comme l’idéal de la bourgeoisie que celle-ci a perpétré ses règlements de compte ou ses crimes. Nous avons déjà consacré un article de cette revue à le démontrer (Lire Revue Internationale n°66, 3e trimestre 1991, « Les massacres et les crimes des grandes démocraties »). Avec un cynisme sans bornes, Bush a également osé déclarer le 5 novembre 2006, à l’annonce du verdict de la condamnation à mort de Saddam Hussein, alors qu’il était lui-même en pleine campagne électorale dans le Nebraska, que cette sentence pouvait apparaître comme une « justification des sacrifices consentis par les forces américaines » depuis mars 2003 en Irak. Ainsi, pour Bush, la peau d’un assassin valait celle de plus de 3000 jeunes Américains tués en Irak (soit davantage de victimes que la destruction des Twin Towers), la plupart à la fleur de l’âge ! Et il ne compte pour rien la peau de celles des centaines de milliers d’Irakiens depuis le début de l’intervention américaine. En fait, depuis l’occupation des troupes américaines, il y a eu plus de 600 000 morts côté irakien que le gouvernement irakien vient d’ailleurs de décider de ne plus décompter pour ne pas « saper le moral » de la population.

Les Etats-Unis étaient au plus haut point intéressés à ce que l’exécution de Saddam Hussein ait lieu avant que ne se tiennent les procès suivants. La raison en est qu’ils ne tenaient en rien à ce que soient évoqués trop d’épisodes compromettants pour eux. Il s’agit de faire le maximum pour ne pas rappeler le soutien total des Etats-Unis et des grandes puissances occidentales à la politique de Saddam Hussein entre 1979 et 1990, à commencer par la guerre entre l’Irak et l’Iran (1980 -88).

En effet, un des multiples chefs d’accusation requis contre Saddam Hussein dans l’un de ces procès concernait le gazage à l’arme chimique de 5000 Kurdes à Halabjah en 1988. Ce massacre intervenait dans le cadre et à la fin de la guerre entre l’Irak et l’Iran, qui a fait plus de 1.200.000 morts et deux fois plus de blessés et d’invalides. C’était alors les Etats-Unis et, derrière eux, la plupart des puissances occidentales qui soutenaient et armaient Saddam Hussein. Prise par les Iraniens, cette ville avait été reprise par les Irakiens qui avaient décidé d’une opération de représailles à l’encontre de la population kurde. Ce massacre n’était d’ailleurs que le plus spectaculaire au sein d’une campagne d’extermination baptisée « ‘Al Anfal »(« le butin de guerre ») qui fit 180.000 victimes parmi les Kurdes irakiens entre 1987 et 1988.

Lorsque, à l’époque, Saddam Hussein initie cette guerre en attaquant l’Iran, il le fait avec le plein soutien de toutes les puissances occidentales. Face à l’avènement d’une république islamiste chiite en 1979 en Iran où l’ayatollah Khomeiny se permettait de défier la puissance américaine en qualifiant les Etats-Unis de « grand Satan » et que le président démocrate de l’époque, Carter, avait échoué à le renverser, Saddam Hussein a joué le rôle de gendarme de la région pour le compte des Etats-Unis et du camp occidental en lui déclarant la guerre et en la faisant durer pendant 8 ans, pour affaiblir l’Iran. La contre-attaque iranienne aurait d’ailleurs amené ce pays à la victoire si l’Irak n’avait pas bénéficié du soutien militaire américain sur place. En 1987, le bloc occidental sous la houlette des Etats-Unis avait mobilisé une formidable armada dans les eaux du Golfe persique avec le déploiement de plus de 250 bâtiments de guerre en provenance de la quasi-totalité des pays occidentaux, avec 35.000 hommes à leur bord et équipés des avions de guerre les plus sophistiqués de l’époque. Cette armada, présentée comme une « force d’interposition humanitaire », a détruit, notamment, une plate-forme pétrolière et plusieurs des navires les plus performants de la flotte iranienne. C’est grâce à ce soutien que Saddam Hussein a pu signer une paix le ramenant sur les mêmes frontières qu’au moment où il avait déclenché les hostilités.

Déjà, Saddam Hussein était parvenu au pouvoir, avec le soutien de la CIA, en faisant exécuter ses rivaux chiites et kurdes mais aussi les autres chefs sunnites au sein du parti Baas, accusés à tort ou à raison de fomenter des complots contre lui. Il a été courtisé et honoré pendant des années par ses pairs comme un grand homme d’Etat (devenant par exemple le « grand ami de la France » – et de Chirac et Chevènement en particulier). Le fait qu’il se soit distingué tout au long de sa carrière politique par des exécutions sanguinaires et expéditives en tous genres (pendaisons, décapitation, tortures des opposants, gazage à l’arme chimique, charniers de populations chiites ou kurdes) n’a jamais gêné le moindre homme politique bourgeois jusqu’à ce que l’on « découvre », à la veille de la guerre du Golfe de 1991 qu’il était un affreux tyran sanguinaire[1], ce qui lui valut à cette époque le « titre » de « boucher de Bagdad » qui ne lui avait pas pourtant été « décerné » lorsque précédemment il était l’exécutant sanguinaire de la politique occidentale. Il faut également rappeler que Saddam Hussein était tombé dans un piège quand il a cru bénéficier du feu vert de Washington lors de son invasion du Koweït à l’été 1990, fournissant le prétexte aux Etats-Unis pour engager la plus monstrueuse opération militaire depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi qu’ils ont monté la première guerre du Golfe, en janvier 1991, en désignant dès lors Saddam Hussein comme l’ennemi public n°1. L’opération montée sous la houlette américaine et baptisée par eux « Tempête du Désert « , que la propagande a voulu faire passer comme une guerre propre avec ses images de « war game » en vidéo, aura fauché près de 500.000 vies humaines en 42 jours, opéré 106.000 raids aériens en déversant 100.000 tonnes de bombes, expérimentant toute la gamme des armes les plus meurtrières (bombes au napalm, à fragmentation, à dépression…). Elle avait pour but essentiel de faire une démonstration de la suprématie militaire écrasante des Etats-Unis dans le monde et de forcer leurs anciens alliés du bloc de l’Ouest, devenus leurs plus dangereux rivaux impérialistes potentiels, à y participer derrière eux. Il s’agissait ainsi de donner un coup d’arrêt à la tendance de ces derniers à vouloir se dégager de la tutelle américaine depuis la dissolution du bloc de l’Ouest et des alliances qui le sous-tendaient.

Avec le même machiavélisme, les Etats-Unis et leurs « alliés » ont ourdi une autre machination. Après avoir appelé les Kurdes au Nord et les Chiites au Sud à se soulever contre le régime de Saddam Hussein, ils ont laissé dans un premier temps intactes les troupes d’élite du dictateur pour lui permettre cyniquement de noyer dans le sang ces rébellions, n’ayant aucun intérêt à voir remettre en cause l’unité du pays, la population kurde en particulier étant livrée une nouvelle fois à d’atroces massacres.

Les médias européens aux ordres et jusqu’au très pro-américain Sarkozy en France lui-même peuvent hypocritement dénoncer aujourd’hui « le mauvais choix », « l’erreur », « la maladresse » que constituerait l’exécution précipitée de Saddam Hussein. Pas plus que la bourgeoisie américaine, la bourgeoisie des pays d’Europe occidentale n’a intérêt à ce que soit rappelée la part qu’elle a pris à tous ces crimes, même au travers du prisme déformant des « procès » et « jugements ». Il est vrai que les circonstances de cette exécution débouchent sur un regain d’exacerbation des haines entre communautés : elle s’est déroulée alors qu’avait débuté la période de l’Aïd, la plus grande fête religieuse de l’année pour l’islam, ce qui pouvait plaire à la partie la plus fanatisée de la communauté chiite vouant une haine mortelle à la communauté sunnite à laquelle appartenait Saddam Hussein ; elle ne pouvait par contre qu’indigner les Sunnites et choquer la plupart des populations de confession musulmane. De plus, Saddam Hussein a pu être présenté, auprès des générations qui n’ont pas connu sa férule, comme un martyr.

Mais toutes les bourgeoisies n’avaient pourtant pas d’autre choix car elles partagent le même intérêt que l’administration Bush à cette exécution hâtive qui permet de masquer et de faire oublier leurs propres responsabilités et leur entière complicité face à ces atrocités qu’elles continuent à alimenter aujourd’hui. Les sommets de barbarie et de duplicité atteints au Moyen-Orient ne sont en fait qu’un concentré révélateur de l’état du monde, ils constituent le symbole de l’impasse totale du système capitaliste qui est de mise partout ailleurs[2]

« La fuite en avant guerrière au Moyen-Orient »

Les récents développements du conflit entre Israël et les différentes fractions palestiniennes, de même que l’intensification des affrontements entre ces différentes fractions du camp palestinien, ont atteint les sommets de l’absurdité. Ce qui frappe, c’est en effet comment les différentes bourgeoises en présence sont, par la dynamique de la situation et la force des contradictions, amenées à prendre des décisions qui sont tout à fait contradictoires et irrationnelles, y inclus du point de vue de leurs intérêts stratégiques à court terme.

Lorsque Ehoud Olmert tend la main au président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avec à la clé quelques concessions faites aux Palestiniens, notamment concernant la levée de quelques barrages ou la promesse de débloquer 100 millions de dollars au nom de « l’aide humanitaire », les médias parlent aussitôt de relance du processus de paix au Proche-Orient et Mahmoud Abbas fait valoir cette avancée, face à son rival du Hamas, car ces pseudo-concessions sont censées faire la preuve de la validité de sa politique de coopération avec Israël en permettant d’obtenir des « avantages ».

Mais c’est Ehoud Olmert lui-même qui saborde en partie ces quelques atouts qu’il partageait avec le président de l’Autorité palestinienne, lorsqu’il est contraint, le lendemain, sous la pression des fractions ultra-conservatrices de son gouvernement, de prendre la décision de renouer avec la politique d’implantations de colonies israéliennes dans les territoires occupés et d’accélérer la destruction d’habitations palestiniennes à Jérusalem.

Les accords entre le Fatah et Israël avaient pour conséquence l’autorisation donnée par cette dernière à l’Egypte de livrer des armes au Fatah pour le favoriser dans sa lutte contre le Hamas. Cependant l’énième sommet de Charm-el-Cheikh entre Israël et l’Egypte a été totalement parasité par une nouvelle opération militaire de Tsahal à Ramallah en Cisjordanie et par une reprise des raids aériens dans la Bande de Gaza, en réponse à de sporadiques tirs de roquettes. Ainsi, les messages d’apaisement ou les proclamations d’une volonté de renouer les fils du dialogue sont singulièrement brouillés et les intentions d’Israël apparaissent totalement contradictoires.

Autre paradoxe, c’est au moment où Olmert et Abbas se rencontrent, ou encore juste avant le sommet israélo-égyptien, qu’Israël se proclame puissance nucléaire et menace directement d’utiliser la bombe atomique. Bien que cette menace ait été essentiellement dirigée contre l’Iran qui vise le même statut, elle vaut aussi indirectement pour tous ses voisins. Comment entamer des pourparlers avec un interlocuteur si dangereux et belliqueux ?

De plus, cette déclaration ne peut que pousser l’Iran à poursuivre dans cette voie et à légitimer ses ambitions de devenir le bouclier et le gendarme de la région, dans la même logique de détention d’une « force de dissuasion » que toutes les grandes puissances.

Mais I’Etat hébreu n’est pas seulement en cause. Tout se passe comme si chaque protagoniste devenait incapable de s’orienter pour assurer la défense de ses intérêts.

De son côté, Abbas a pris le risque de déclencher l’épreuve de force avec les milices du Hamas et a mis le feu aux poudres en annonçant sa volonté de recourir à des élections anticipées à Gaza, ce qui ne pouvait être vécu par le Hamas « démocratiquement élu » que comme une véritable provocation. Mais cette épreuve de force qui s’est traduite par de sanglants combats de rue était le seul moyen pour l’Autorité palestinienne de chercher à sortir du blocus israélien et du gel de l’aide internationale depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas. Non seulement ce blocus s’avère catastrophique pour les populations incapables d’aller travailler hors des territoires bouclés par la police et l’armée israéliennes mais il a aussi suscité la grève de 170.000 fonctionnaires palestiniens dont les salaires ne sont plus payés dans la Bande de Gaza comme en Cisjordanie depuis des mois (notamment dans des secteurs aussi vitaux que l’enseignement et la santé). La colère des fonctionnaires, qui s’étend jusque dans les rangs de la police ou de l’armée, est exploitée aussi bien par le Hamas que le Fatah comme base de recrutement dans leurs milices respectives, selon que la responsabilité de cette situation est imputée à un camp ou à l’autre, alors que des gamins entre 10 et 15 ans continuent à se retrouver massivement enrôlés comme chair à canon dans ces tueries.

De son côté, le Hamas cherche à exploiter cette situation de chaos pour tenter de négocier directement avec Israël un échange de prisonniers entre le caporal israélien enlevé en juin 2006 et ses activistes.

Le chaos sanglant issu de la cohabitation explosive depuis un an entre le gouvernement élu du Hamas et le président de l’Autorité palestinienne reste la seule perspective. Face à cette politique qui ne peut qu’affaiblir considérablement chaque partie, la trêve décidée en fin d’année entre les milices du Fatah et celle du Hamas ne peut faire illusion. Elle ne cesse d’être émaillée d’affrontements meurtriers : attentats à la voiture piégée, combats de rue, enlèvements à répétition reprennent de plus belle, semant la terreur et la mort parmi les populations de la bande de Gaza déjà réduites à la misère. Et pour couronner le tout, les raids israéliens en Cisjordanie ou les interventions musclées de la police israélienne lors de contrôles constituent autant de « dérapages » supplémentaires : des enfants, des écoliers sont régulièrement tués dans ces multiples règlements de compte. Le prolétariat israélien déjà saigné à blanc par l’effort de guerre se retrouve tout aussi exposé aux opérations de représailles lancées par le Hamas d’un côté et le Hezbollah de l’autre.

En même temps, la situation n’est pas davantage sécurisée au Sud-Liban où sont déployées les forces de l’ONU. Depuis l’assassinat du leader chrétien Pierre Gemayel en novembre 06, l’instabilité règne. Alors que le Hezbollah et des milices chiites (ou chrétiennes du général Aoun provisoirement rallié à la Syrie) se livraient à une démonstration de force en assiégeant pendant plusieurs jours le palais présidentiel à Beyrouth, parallèlement, des groupes armés sunnites menaçaient le parlement libanais et son président chiite Nabil Berri. La tension entre fractions rivales est à son comble. Quant à la mission de l’ONU, désarmer le Hezbollah, personne ne peut la prendre au sérieux.

En Afghanistan, le déploiement de 32.000 soldats des forces internationales de l’OTAN et de 8500 soldats américains, reste inefficace. Les combats contre Al Qaïda et les talibans qui ont effectué une centaine d’attaques dans le Sud du pays, s’enlisent inexorablement. Le bilan de cette guérilla est de 4000 morts pour la seule année 2006. Le Pakistan, en principe allié des Etats-Unis, ne cesse en même temps de servir de base arrière aux talibans et à Al Qaïda.

Chaque Etat, chaque fraction est poussée en avant dans l’aventure guerrière, malgré les revers subis.

L’impasse la plus révélatrice est celle de la première puissance du monde. La politique de la bourgeoisie américaine est la première en proie à ces mêmes contradictions. Alors que le rapport Baker, ancien conseiller de Bush père et diligenté par le gouvernement fédéral, dresse un constat d’échec de la guerre menée en Irak, et préconise un changement d’orientation, prônant d’une part une ouverture diplomatique envers la Syrie et l’Iran, d’autre part un retrait graduel des 144.000 soldats américains embourbés sur le sol irakien, à quoi assiste-t-on ? Bush Junior, contraint au renouvellement partiel du gouvernement, notamment le remplacement de Rumsfeld par Robert Gates au secrétariat d’Etat à la Défense, se contente de faire tomber quelques têtes à qui il fait porter la responsabilité du fiasco de la guerre en Irak (l’exemple le plus récent est le limogeage des deux principaux chefs de l’état-major des forces d’occupation en Irak, qui se sont d’ailleurs opposés au déploiement de nouvelles forces américaines à Bagdad, ne croyant pas à l’efficacité d’une telle mesure). Mais surtout il décide un renforcement des troupes américaines en Irak, 21 500 recrues supplémentaires qui devraient être envoyées prochainement sur le front irakien pour « sécuriser » Bagdad, alors que, d’ores et déjà, ce sont des réservistes qui sont mobilisés d’office. Le changement de majorité au Congrès et jusqu’au Sénat américain désormais dominé par le camp des démocrates n’y change rien : tout désengagement ou tout refus de débloquer de nouveaux crédits militaires pour la guerre en Irak serait perçu comme un aveu de faiblesse des Etats-Unis, de la nation américaine dont le camp démocrate ne veut pas assumer la responsabilité. Toute la bourgeoisie américaine, comme chaque clique bourgeoise ou chaque Etat, se retrouve bel et bien coincée dans un engrenage guerrier où chaque décision, chaque mouvement l’enferre davantage dans une fuite en avant irrationnelle pour défendre ses intérêts impérialistes face à ses rivaux.

« Le continent africain : une autre illustration édifiante de la barbarie capitaliste »

Les atrocités guerrières s’exercent quotidiennement depuis des années sur le continent africain.

Après des décennies de massacres autour du Zaïre et du Rwanda, après les affrontements de clans en Côte d’Ivoire, déjà attisés par les rivalités entre grandes puissances, de nouvelles régions se retrouvent à feu et à sang.

Au Soudan, la « rébellion » contre le gouvernement pro-islamiste de Khartoum est aujourd’hui morcelée en une myriade de différentes fractions qui se combattent entre elles, instrumentalisées par telle ou telle puissance dans un jeu d’alliances de plus en plus précaire. En trois ans, la région du Darfour à l’Ouest du Soudan aura connu 400 000 morts et plus d’un million et demi de réfugiés, les centaines de villages que les populations occupaient naguère, ont été entièrement détruits et celles-ci s’entassent désormais dans des camps immenses, mourant de faim, de soif, d’épidémies en plein désert, subissant périodiquement les pires exactions de la part de différentes bandes armées comme des forces gouvernementales soudanaises. L’exode des rebelles a conduit à l’extension et à l’exportation du conflit ailleurs même qu’au Darfour, notamment en Centrafrique et au Tchad, ce qui pousse la France à s’impliquer militairement de plus en plus dans la région pour préserver les derniers bastions de ses « chasses gardées » en Afrique, en particulier en participant activement aux combats contre le pouvoir soudanais depuis le sol tchadien.

Depuis le renversement de l’ancien dictateur-président Siyad Barré en 1990, accompagnant la chute de son protecteur, l’URSS, la Somalie est un pays livré au chaos, miné par une guerre continuelle entre d’innombrables clans, qui sont autant de gangs mafieux et de bandes armées de pillards, des véritables tueurs à gages vendant leurs services au plus offrant, faisant régner la terreur et semant la misère et la désolation sur tout le territoire. Les puissances occidentales qui s’étaient ruées entre 1992 et 1995 sur ce pays ont dû battre en retraite face à l’ampleur du chaos et de la décomposition ; le débarquement spectaculaire des « marines » américains s’était lui-même soldé par un fiasco piteux en 1994, laissant la place à l’anarchie la plus totale. Les tueries entre ces cliques sanguinaires rivales ont fait 500.000 morts depuis 1991.

L’Union des tribunaux islamiques qui constituait une de ces bandes sous le vernis de la charia et d’un islam « radical » s’était finalement emparée de la capitale Mogadiscio, avec quelques milliers d’hommes armés, en mai 2006. Le gouvernement de transition réfugié à Baidoa a alors appelé son puissant voisin, l’Ethiopie à la rescousse[3]. L’armée éthiopienne, avec le soutien ouvert des Etats-Unis, a bombardé la capitale, faisant fuir en quelques heures les troupes islamistes, dont le plus grand nombre a gagné le Sud du pays. Mogadiscio est un effroyable champ de ruines dont la population misérable est réduite à vivre d’expédients. Un nouveau gouvernement provisoire, soutenu à bout de bras par l’armée éthiopienne, s’y est installé mais sans aucune autorité politique comme le montre le fait que sa demande à la population de rendre les armes soit restée sans effet. Après la victoire éclair de l’Ethiopie, la trêve elle aussi ne pouvait être que provisoire et précaire car les « rebelles » islamistes sont en train de se réarmer notamment à travers la frontière poreuse du Sud avec le Kenya. Mais les rebelles peuvent bénéficier d’autres points d’appui, au Soudan, en Erythrée- adversaire traditionnel de l’Ethiopie – ou au Yémen. Cette situation incertaine ne pouvait qu’inquiéter les Etats-Unis dans la mesure où la corne de l’Afrique, avec la base de Djibouti et le pont qu’offre la Somalie vers l’Asie et le Moyen-Orient, constitue une zone parmi les plus stratégiques du monde. Ceci a incité les Etats-Unis à intervenir directement le 8 janvier pour bombarder le Sud du pays où se sont réfugiés les « rebelles » dont la Maison Blanche prétend qu’ils sont directement manipulés et sous l’emprise d’Al Qaïda.

Les Etats-Unis, la France ou toute autre grande puissance, chacune de son côté, ne peuvent nullement parvenir à jouer un rôle stabilisateur ni même constituer un frein au déchaînement de la barbarie guerrière, quel que soit le gouvernement en place, chez eux, en Afrique ou n’importe où ailleurs dans le monde. Au contraire, leurs intérêts impérialistes les pousseront toujours davantage à propager les tueries.

L’enfoncement d’une partie de plus en plus étendue de l’humanité dans ce chaos et cette barbarie, les pires de toute l’histoire, est le seul avenir que nous réserve le capitalisme. La guerre impérialiste mobilise aujourd’hui toute la richesse de la science, de la technologie, du travail humain non pas pour apporter le bien-être à l’humanité, mais au contraire pour détruire ses richesses, pour accumuler les ruines et les cadavres. Cette guerre impérialiste qui dilapide un patrimoine édifié au fil des siècles d’histoire, et menace à terme d’engloutir et de détruire toute l’humanité, est une des expressions de l’aberration profonde de ce système.

Plus que jamais, le seul espoir possible réside dans le renversement du capitalisme, dans l’instauration de rapports sociaux libérés des contradictions qui étranglent la société, par la seule classe porteuse d’un avenir pour l’humanité : la classe ouvrière.

Wim – Courant Communiste International

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[1] D’ailleurs, un autre tyran de la région, le Syrien Hafez-el-Assad, éternel rival de Saddam, lui, sera resté au-delà de ses funérailles un « grand homme d’Etat », en compensation de son ralliement au camp occidental à l’époque des blocs, malgré une carrière aussi sanguinaire et l’usage des mêmes procédés que Saddam Hussein.

[2] Certains plumitifs de la bourgeoisie sont même capables de constater la nausée que provoque cette accumulation insoutenable de barbarie dans le monde actuel : « La barbarie châtiant la barbarie pour enfanter à son tour la barbarie. Une vidéo circulant sur Internet, dernière contribution au festival d’images de l’innommable, depuis les décapitations orchestrées par Zarkaoui jusqu’à l’amoncellement de chairs humiliées à Abou Ghraïb par les GI (…) Aux terribles services secrets de l’ex-tyran succèdent les escadrons de la mort du ministre de l’Intérieur dominés par les brigades Al-Badr pro-iraniennes. (…) Qu’ils se réclament de la terreur ben-ladiste, de la lutte contre les Américains ou qu’ils se disent les relais du pouvoir (chiite), les meurtriers qui enlèvent les civils irakiens ont un trait commun : ils opèrent sous la loi de la pulsion individuelle. Sur les décombres de l’Irak pullulent les charognards de toutes espèces, de tous clans. Le mensonge étant la norme, la police pratique le rapt et le brigandage, l’homme de Dieu décapite et éviscère, le Chiite applique au Sunnite le traitement qu’il a lui-même subi » (l’hebdomadaire français Marianne daté du 6 janvier). Mais cela est mis sur le compte de la « pulsion individuelle », et finalement de « la nature humaine ». Ce qu’ils ne peuvent pas reconnaître et comprendre, c’est que cette barbarie est au contraire un produit éminemment historique, un produit du système capitaliste et qu’il existe historiquement une classe sociale tout aussi capable d’y mettre un terme : le prolétariat.

[3] L’Ethiopie, elle aussi ancien bastion de l’URSS, est devenue, depuis la fuite de Mengistu en 1991, la place forte des Etats-Unis dans la région de la Corne de l’Afrique.