Opposition des Indigènes au Plan Puebla Panama

de Bill Weinberg – 6 août 2003 –
ZNet magazine – http://www.zmag.org/

(article traduit de l’anglais)

Le 21 juillet, des leaders d’organisations indigènes, paysannes et de communautés originaires de l’ensemble de l’Amérique Centrale et du Mexique se sont réunis à Tegucigalpa, la capitale du Honduras, à l’occasion du forum méso-américain, le 4ème d’une série de meetings visant à défendre une culture écologique dans tout l’isthme, et à s’opposer au Plan Puebla Panama (PPP), un shéma de méga-développement pour l’ensemble de l’isthme promu agressivement par la Banque Inter-Américaine de Développement. A cette même période dans une région rurale du Honduras étaient assassinés 3 leaders paysans écologistes quelques jours avant l’ouverture du forum, projetant un éclairage plus cru sur les problématiques abordées lors du forum.

Dans la province du sud de la Paz (au Honduras), deux paysans Indiens Lenca impliqués dans l’occupation de terres objets d’un litige ont été tués lors d’une attaque lancée à l’aube par deux hommes armés présumés à la solde du propriétaire terrien local. Au nord, dans la lointaine province d’Olancho, un leader paysan qui s’opposait à l’exploitation forestière illégale sur des terres communales a été abattu par un pistolero non identifié. On pouvait lire sur une bannière placée au-dessus du bureau d’accueil du forum : SOUVENEZ-VOUS DES MARTYRS DE LA PAZ ET D’OLANCHO.

Quelle ironie le fait que le forum se soit tenu dans une ville dominée par les icônes omniprésentes de la culture commerciale (Burger King, McDonald’s, Pizza Hut). En contraste, sur la bannière déployée au-dessus de la scène de l’Université Pédagogique de Tegucigalpa, où s’est tenu le forum, figurait une représentation indienne maya traditionnelle du maïs divinisé.

Le 1er Forum Méso-Américain s’est déroulé au printemps 2001 à Tapachula au Chiapas, après que la Banque Inter-Américaine de Développement et le président mexicain Vicente Fox aient annoncé le PPP,
comportant la mise en place de nouveaux projets hydroélectriques, d’axes routiers de transports commerciaux à l’échelle de l’isthme et de zones industrielles. Le Forum s’est ensuite réuni à l’automne 2001 à Quetzaltenango au Guatemala, puis à Managua au Nicaragua en juillet 2002. Au meeting de Tegucigalpa, l’ordre du jour était dominé par les problématiques de l’exploitation intensive des ressources et de la privatisation des ressources et infrastructures nationales, l’eau en particulier. Une loi légiférant sur la privatisation de l’eau, actuellement examinée par la législature hondurienne, obligerait les municipalités locales à permettre la gestion sous contrat privé de leur système d’exploitation hydraulique. La deuxième ville du Honduras, San Pedro Sula, se trouve déjà liée par un tel contrat avec une firme italienne.

De telles mesures vers la privatisation sont préconisées par la Banque Inter-Américaine de Développement et la Banque Mondiale. Mais comme l’ont souligné des délégués de l’ensemble du sous-continent méso-américain, elles se mettent en place dans un contexte d’impunité, dans lequel la supervision publique est inexistante et où les opposants sont les cibles d’assassinats.

« Une autre Méso-Amérique est possible »

Intervenant de premier plan lors de ce forum et auteur des « Héritiers de Zapata », une étude sur les mouvements paysans mexicains postérieurs à la révolution, Armando Batra a qualifié le PPP de « capitalisme sauvage » et a affirmé que ce plan divise le Mexique : « il sert les intérêts des Blancs vivant dans le nord proche de la frontière avec les USA et condamne à la pauvreté les Indigènes vivant dans le sud proche de la frontière avec le Guatemala. » Mais se faisant l’écho d’un slogan souvent prononcé lors du forum, il a soutenu l’idée qu' »une autre Méso-Amérique est possible ». Comme modèle d’un développement alternatif, il a proposé de « reconstruire des liens entre les zones rurales et urbaines, notamment celui de la consommation d’une production agricole issue des coopératives locales ».

Parmi les délégués indigènes originaires du Guatemala présents au forum se trouvaient des opposants au méga-projet hydroélectrique prévu de se développer sur la rivière Usumacinta qui constitue la frontière entre le Mexique et le Guatemala. Représentant la CONIC (Coordination Nationale Paysanne et Indigène), Juan Ixbalan a qualifié le plan promu par la Banque Inter-Américaine, qui impliquerait la submersion de vastes régions de forêt équatoriale, de « nouvelle conquête en territoire Maya ».

Alors même que les technocrates dépeignent la privatisation et les propositions de méga-développement comme une étape incontournable de la marche vers la démocratie et la modernisation, le spectre du récent passé violent de l’Amérique Centrale revient hanter l’isthme. Des leaders indigènes guatémaltèques constituent actuellement un dossier de mise en accusation de l’ancien dictateur militaire et actuel candidat aux élections présidentielles Rios Montt sur des charges de génocide survenu lors de sa campagne de la terre brulée menée contre les Indiens Maya. L’Association indigène Justice & Réconciliation (AJR) coordonne les témoignages de massacres commis dans les années 80 dans 24 communautés réparties dans les départements de Quiche, Huehuetenango, Chimaltenango et Alta Verapaz. Neela Ghoshal, une institutrice de la ville de New-York qui a été récemment observatrice en matière de droits humains pour l’AJR et présente lors du forum, a déclaré que comme « les cours de justice guatémaltèques n’ouvriront probablement pas d’audiences à ce sujet, ils devront s’adresser à la Court Inter-Américaine des Droits Humains. Ils sont fortement déterminés à obtenir justice ».

Le 25 juillet, quelques jours à peine après la clôture du forum, de violentes émeutes ont éclaté dans la ville de Guatemala alors que des sympathisants de Rios Montt, essentiellement des membres de ses « patrouilles civiles » paramilitaires, sont descendus dans les rues pour protester l’interdiction de sa candidature par un décret de justice s’appuyant sur une loi prohibant à tout auteur de coup d’état de se présenter aux présidentielles. Les contestataires ont érigé des barricades de pneus enflammés et ont agressé au hasard des piétons, provoquant la mort par crise cardiaque d’un reporter TV. 5 jours après les émeutes, la Cour Constitutionnelle Supérieure du Guatemala révoquait ce décret, permettant à l’ex-dictateur d’entamer sa campagne pour les élections présidentielles. Richard Boucher, le porte-parole du Département d’Etat américain a prestemment assuré que les relations entre les USA et le Guatemala ne seraient pas perturbées au cas où Rios Montt serait élu.

Raul Moreno, un autre intervenant originaire du Salvador venu représenter le groupe pour le développement rural Sinti Techan (« du maïs pour le peuple » en langue Nahuatl) a condamné la Zone de Libre Echange des Amériques (FTAA) et l’Accord sur le Libre Echange en Amérique Centrale en cours d’instauration, affirmant que ces accords « modifieraient l’ordre juridique, subordonnant le code du travail, les lois de protection de l’environnement et les droits humains. Le PPP n’est pas neutre. Il profite aux USA et à ses méga-transnationales. Le PPP n’est pas réformable ». Ni inévitable, ajouta-t’il. « Nous pouvons résister. Les systèmes d’exploitation électrique et de santé restent entre les mains des pouvoirs publics au Costa Rica, en dépit des aspirations à la privatisation du gouvernement et de l’OMC, et ce parce que la population n’en veut pas. »

Magda Lanuza, du Centre d’Etudes Internationales du Nicaragua, a observé que des plans visant à la privatisation de l’eau sont plus avancés dans son pays qu’au Honduras. Plusieurs provinces du Nicaragua, dont celles du Leon, du Chinandega, du Jinotega et du Matagalpa, sont déjà sous contrats privés pour la gestion de leur réseau hydraulique par des firmes telles la méga-compagnie française Suez (qui s’est attirée les foudres de la critique internationale en raison des tarifs exhorbitants qu’elle pratique dans le cadre de ses contrats avec des gouvernement locaux d’Afrique du Sud, laissant un grand nombre de communautés pauvres sans aucun accès à l’eau). Actuellement, comme au Honduras, le programme de privatisation de l’eau est sur le point d’être établi au plan national, selon les conditions liées à un prêt de la Banque Inter-Américaine de Développement. Mais Magda prédit une bataille politique. « Des communautés locales sont préparées à défendre leurs ressources en eau. Elles comprennent que l’eau, c’est la vie ». L’énergie hydraulique est aussi en cours de privatisation au Nicaragua. La firme privée Hydrogesa a remporté le contrat pour la gestion du barrage du lac Apanas au Jinotega, alors que la compagnie Enron minée par le scandale y avait en fait souscrit des engagements. Mais suite à une protestation de l’opinion publique, le contrat a été suspendu dans l’attente du vote d’une loi sur la privatisation de l’eau. Des Indiens Matagalpa qui vivaient localement et qui ont été déplacés lorsque le projet du barrage a été lancé dans les années 1960 s’opposent maintenant à sa privatisation.

Les héritiers de la lutte de Lempira pour la terre

Fabian Gonzalez et Santos Carrillo, les deux Indiens Lenca tués à La Paz, étaient engagés dans une action d’occupation de terres menée par le Centre National des Travailleurs Ruraux (CNTC), un des plus importants syndicats paysans du Honduras. Les assassins ont ouvert le feu à l’aide de fusils AK-47 lors d’une attaque lancée à l’aube du 19 juillet sur leur campement. Par une coincidence étrange, le jour suivant, le 20 juillet, était le Jour de Lempira, un jour de commémoration de la mort en 1536 de ce guerrier Lenca qui avait résisté au conquistador Francisco Montejo. La terre en question avait déjà été occupée une première fois en 1985, en raison d’une clause de la réforme agraire hondurienne stipulant la permission aux paysans de s’installer sur des terres privées non-utilisées, d’initier leur expropriation et le transfert de titre au bénéfice des paysans. Mais cette réforme agraire a pratiquement été entièrement abrogée de nos jours.

La leader Lenca Berta Caceres observe avec ironie que Lempira soit devenu un symbole de fierté nationale alors même que les droits à la terre et à la culture des Lenca ont été sacrifiés à la modernisation. « Le contexte indigène a été réduit à l’invisibilité pendant trop longtemps », dit-elle. « Mais un nouveau processus de lutte s’est développé depuis la campagne des 500 Ans de Résistance initiée en 1992 et depuis le soulèvement zapatiste au Chiapas en 1994. Nous nous organisons afin de défendre le territoire Lenca. »

Berta Caceres est la coordinatrice du Conseil Civique des Organisations Populaires et Indigènes du Honduras (COPINH), qui représente 47 communautés réparties sur le territoire ancestral Lenca, dans les départements de La Paz, d’Intibuca et du Lempira. Il a éte fondé en 1993 et est à l’avant-garde d’une renaissance politique et culturelle Lenca. Après le forum, j’ai rendu visite au modeste bureau du COPINH situé dans le village d’Itibuca.

Les Lenca sont parmi les groupes les plus septentrionaux des Indiens Chibcha, leur région de culture commençant juste au sud du territoire Maya et s’étendant jusqu’en Amérique du Sud. Leur langue n’a subsisté que dans la limite de 45 mots, désignant essentiellement des animaux et des lieux, comme la Sierra locale de Puca Opalaca, signifiant « haute montagne » en Lenca. Ils ont également adopté la langue Nahuatl, une lingua franca de la sphère culturelle Aztèque-Maya, afin de pouvoir communiquer avec les peuples voisins.

Depuis 1993, le COPINH a organisé une série de 4.000 importants « pélerinages indigènes » vers des sites sacrés locaux associés à des saints et vierges (et à une époque antérieure à des divinités et des esprits de la terre Lenca), tels la Vierge de Lourdes à Ilama dans le Santa Barbara et la Vierge de Remedios à Tomala dans le Lempira. Berta Caceres dit que ces pélerinages « établissent un lien entre nos traditions spirituelles et culturelles et nos exigences politiques ». Le COPINH a aussi eu recours à des tactiques plus militantes telles l’occupation en 1993 d’une usine à bois afin de protester contre la déforestation.

Les demandes du COPINH ont remporté quelques résultats, tels la redéfinition des frontières municipales afin de permettre aux communautés locales Lenca d’avoir un contrôle légal sur leurs territoires. En 1994, était créée une première nouvelle municipalité, San Francisco Opalaca, dans la province d’Intibua. C’est la seule municipalité du pays où toutes les terres sont en propriété collective et gérées par un conseil rural indigène. Six nouvelles autres municipalités ont vu le jour les années suivantes. Sous la réforme agraire hondurienne, quelques terres nationales ont été attribuées à des collectifs de paysans, qui les géraient de manière privée mais sans pouvoir les revendre. Avec la loi sur la modernisation agraire de 1992, désignée comme la « contre-réforme », les terres peuvent être revendues. La « contre-réforme » a aussi pulvérisé les clauses en faveur de l’expropriation de terres privées inutilisées et de leur redistribution aux paysans les occupant. De plus, l’Institut Agraire National a commencé à privatiser des terres nationales de même que des « ejidos », les traditionnelles terres communales appartenant aux municipalités qui sont sous protection depuis les débuts de l’ère coloniale.

Salvador Zuniga, membre du comité exécutif du COPINH, observe le virage pris depuis la politique « populiste » des années 1960, à l’époque où la réforme agraire a été lancée, vers la politique « néolibérale » d’aujourd’hui, soutenue par les USA, la Banque Mondiale et la Banque Inter-Américaine et promouvant un retour vers l’idéologie libérale du XIXe siècle de privatisation des terres et des ressources publiques et collectives. Au cours de ce virage, il y a eu les dures répressions des années 1980, qui, si elles n’ont pas été aussi sévères qu’au Salvador et au Guatemala, ont tout de même été le théatre d’assassinats et de disparitions de centaines de leaders paysans de même que du démantèlement de coopératives paysannes. « La politique néolibérale d’aujourd’hui est le fruit de la guerre de basse intensité des années 1980, » affirme Salvador Zuniga.

Et cette guerre se poursuit alors que des leaders indigènes continuent d’être désignés pour mourir. Le 17 mai de cette année, Teodoro Martinez, un leader indien Tolupan originaire de la province centrale de Francisco Morazan, a été assassiné alors qu’il menait une campagne contre des coupes de bois illégales. Teodoro Martinez avait été un leader au sein d’une autre alliance indigène, la Confédération des Peuples Autochtones du Honduras (CONPAH), dont le fondateur, Vicente Matute, a été assassiné en 1989, année de lancement de l’organisation.

Olancho : chaos à la frontière sauvage

Au cours d’un autre séjour après le forum dans les régions rurales du Honduras, j’ai rejoint une délégation vers Olancho, organisée par le plus proéminent groupe de défense des droits humains, le Comité des Familles de Détenus et Disparus du Honduras (COFADEH), fondé à l’époque des répressions des années 1980. Province au territoire le plus vaste du Honduras, Olancho est principalement habité par des colons métis originaires des régions du centre et du sud du pays qui ont été encouragés par le gouvernement à coloniser la frontière sauvage au nord au cours des années 1960 et 1970. Mais comme toujours, les intérêts économiques ont suivi de près les colons et aujourd’hui, les montagnes couvertes de pins d’Olancho sont en train d’être rapidement dévastées par les barons du bois locaux. Sur la route, on croise de nombreux camions chargés d’énormes rondins de pins se dirigeant vers le sud en direction de l’autoroute panaméricaine et des marchés étrangers. On passe aussi à côté de plusieurs fabriques de coupe du bois en planches.

Dans la nuit du 18 juillet, Carlos Arturo Reyes a été abattu chez lui par un pistolero non-identifié, dans la municipalité d’El Rosario d’Olancho. Reyes avait fondé le Mouvement Ecologiste d’Olancho (MAO) en 2001 et avait organisé la Marche pour la Vie traversant le pays en juin 2003, et au cours de laquelle 30,000 personnes ont marché depuis Olancho jusqu’à Tegucigalpa pour exiger des mesures contre les opérations de déforestation illégales. Le MAO a eu recours à des marches, des meetings communautaires et enfin, en février, à des barrages humains sur les routes de transit du bois pour appuyer leurs exigences d’une participation des communautés à l’élaboration de ce que le groupe nomme un « plan rationnel d’exploitation ». Vingt autres membres du MAO disent être maintenant les cibles de menaces de mort.

D’autres paysans écologistes ont aussi été assassinés à Olancho au cours de ces dernières années. Le 30 juin 2001, Carlos Flores, originaire de La Venta, un village de la municipalité de Gualaco, était abattu à l’AK-47 devant chez lui. Comme leader du Centre des Sociétés de La Venta de Gualaco (CEPAVEG), il s’était opposé au barrage hydroélectrique en cours de construction sur le proche Rio Babilonia par la firme privée Energisa liée par un contrat avec le gouvernement hondurien. Deux gardes de sécurité d’Energisa ont finalement été arrêtés pour cette affaire, mais Gilberto Flores, cousin de Carlos Flores, dit que les « commanditaires ont été laissés en liberté ». Gilberto, qui est lui-même toujours impliqué dans l’opposition contre ce projet hydroélectrique, fait maintenant face à des menaces de mort et un officier de la Police Nationale est assigné à sa protection à La Venta. Gilberto relate que le 14 juin dernier il a été visé par un AK-47 depuis une voiture de passage dans Juticalpa, la capitale de la province d’Olancho.

Gilberto insiste sur la nécessité de mettre un terme à la déforestation dans Olancho et de se battre pour maintenir un contrôle public sur les ressources en eau : « Dans beaucoup de municipalités d’Olancho il n’y a pas d’eau. On creuse des puits mais on n’en trouve pas. Cette province est en cours d’assêchement. Cela se produit depuis les 20 dernières années, ajouté à l’exploitation abusive de nos forêts. Près de 100 camions remplis de bois de coupe quittent Olancho chaque jour en direction de Trujillo, » le port situé au nord sur le littoral des Caraïbes.

Rafael Ulloa, l’ancien maire de Gualaco, est manifestement aussi menacé de mort. Il proteste du fait que l’appropriation du Rio Babilonia pour l’emplacement du barrage hydroélectrique constitue l’inversement des priorités nationales. « Officiellement, l’eau doit être consacrée en premier lieu à l’usage municipal, puis à l’irrigation et enfin à la production d’énergie électrique. Mais les communautés situées en aval vont en fait perdre tout accès à la rivière à cause de ce projet ».

Le cours du petit Rio Babilonia plonge depuis la montagne du même nom en plusieurs séries de cascades pour finalement rejoindre celui du Rio Tinto Negro qui s’écoule vers le nord dans la Mer des Caraïbes. Le barrage se situe officiellement dans le parc national de la Sierra de Agalta et s’il n’y avait ces activités de construction, la montagne dans son manteau de forêt serait vraiment superbe. Depuis La Venta nous nous sommes mis en scelle sur chevaux et mules pour monter le sentier escarpé et boueux qu’empruntent également les ouvriers d’Energisa. Ce coin étant trop accidenté et difficile d’accès pour y convoyer de l’équipement lourd, les ouvriers transportent sur leur dos les tubes en plastique vers le sommet ou alors suspendus entre des perches en bois de fortune. Le sentier suit le parcours du canal creusé dans le flanc de la montagne, vers lequel sera détournée la rivière dans les tubes en plastique pour descendre en direction de la centrale électrique, qui n’est pas encore construite. Au sommet, le barrage est intact, chevauchant la première cascade, mais ses vannes ne sont pas encore fermées, l’espace creusé pour le lac de retenue n’est pas encore rempli. Un garde de la sécurité d’Energisa armé est en faction.

Les campesinos de La Venta nous conduisent également vers les environs de Las Delicias, dans le voisinage de la municipalité de San Esteban, où des membres de la police nationale et d’une milice privée ont expulsé le 23 juillet une vingtaine de familles occupant 83 parcelles de terre. A travers la clôture de barbelés, on peut voir ce qui reste des maisons récemment rasées. Les familles, des colons originaires de la province du sud de Choluteca, vivaient sur ces terres depuis plus de 20 ans. Elles vivent maintenant entassées dans la salle unique d’une école et dans des bivouacs installés sur des terres municipales adjacentes. Elles disent que des cours de justice ont tranché dans ce litige territorial en faveur de la famille Calderon propriétaire d’un ranch local, et ce en dépit du titre de propriété des campesinos. L’affaire est en cours d’examen à l’Institut National Agraire (INA), mais les familles qui ont travaillé la terre à la manière d’un collectif paysan disent avoir peu d’espoir que le jugement soit annulé. Elles racontent que leur maigre bétail leur a aussi été volé lors de l’expulsion et qu’il se trouve probablement sur les terres déjà étendues de la famille Calderon. Heribeta Aguilar, une grand-mère qui a été expulsée raconte, « nous étions venus ici pour de meilleures conditions de vie et maintenant tout a disparu ». Silverio Molina, un fermier expulsé ajoute, « nous nous battrons jusqu’à la mort pour la terre et l’eau. »

Les campesinos expulsés nous montrent l’épave d’un camion Toyota de type pick-up garé proche de leurs bivouacs. Il est criblé du côté conducteur de balles d’AK-47 tirées lors d’une attaque prélude à l’éviction et perpétrée supposément par les pistoleros de Calderon. Le conducteur, Candido Cruz, a perdu une jambe lors de l’attaque, maintenant, il avance en clopinant sur des béquilles.

Un autre croisé en faveur de l’environnement faisant face à des menaces de mort à Olancho est le Père Jose Andres Tamayo, un prêtre originaire du Salvador actuellement en charge de la paroisse regroupant les municipalités de Salama et d’El Rosario, où Carlos Reyes a été tué. Il observe lui aussi une chute spectaculaire de la production sur le territoire d’Olancho en raison de l’érosion et de la désertification liées à la destruction des forêts de la région. « Il y a à peine 5 ans, les campesinos récoltaient ici 30 sacs de maïs par parcelle de terre, » dit-il, « maintenant ils en obtiennent habituellement une douzaine. » Sur la route entre Salama et El Rosario le Père Tamayo désigne une large bande de terre montagneuse et boisée appartenant à un « cacique » local, un de ces maîtres de domaine foncier et potentats politiques gratifiés par la corruption bureaucratique. Il relate que des camions sortent fréquemment des terres du cacique transportant du bois et que les flancs de montagne sont en train d’être rapidement dénudés. De l’autre côté, sur l’autre versant de la vallée se trouvent des flancs de montagnes beaucoup plus boisés. Ceux-là explique le Père Tamayo sont des terres communales appartenant aux communautés paysannes locales. Mais ils commencent à être à leur tour dénudés par les barons du bois locaux car des leaders campesinos se laissent acheter par du cash ou de l’alcool. Le Père Tamayo affirme que 80% du bois coupé au Honduras le sont d’arbres abattus illégalement.

Le 2 mars 2002, le quotidien hondurien El Heraldo a relaté que Marco Vinicio Arias, l’ex-responsable de l’agence hondurienne pour le développement forestier (COHDEFOR), doit répondre de chefs d’accusation de corruption pour avoir illégalement autorisé l’abattage d’arbres de la Réserve de la Biosphère du Rio Platano qui s’étire depuis le nord dans la province d’Olancho jusqu’à l’intérieur des basses terres de forêts tropicales très reculées de la côte Miskito. Le Père Tamayo dit que le commerce du bois à Olancho est contrôlé par 6 compagnies dans le cadre nébuleux d’un réseau qui s’enchevêtre avec celui des gangs du narcotrafic qui se servent d’Olancho comme d’une zone de transit pour la cocaïne destinée aux USA entre des ports clandestins de la côte Miskito et l’autoroute panaméricaine. Les revenus tirés du commerce du bois sont utilisés pour le blanchiment des profits du narcotrafic et l’ensemble sert à financer l’armement de gangs mafieux paramilitaires. Le Père Tamayo qualifie les gangs du bois de « narco-madereros » (narco-marchands de bois).

Le Père Tamayo affirme que le bois est principalement revendu à des compagnies US pour l’exportation, dont la plus grande quantité est déchargée dans les docks de la Nouvelle-Orléans et d’autres ports américains. Encore une fois, il est manifeste que les pouvoirs des transnationales entretiennent des liaisons incestueuses avec les gangs paramilitaires et criminels qui terrorisent l’isthme. « C’est la seconde conquête de la Méso-Amérique », dit-il.

Le séjour de notre délégation à Olancho s’est terminé par un signe de sinistre présage. Le 29 juillet, un jour après notre retour à Tegucigalpa, le quotidien La Prensa a placé en première page la photo d’hommes masqués portant des fusils dans une pinède dense, prétendant être un groupe d’écologistes radicaux prenant les armes pour défendre les forêts d’Olancho. Leur leader présumé, le « Commandant Pepe », assure disposer de 10,000 hommes à ses ordres. Dans un article associé figurait une photo du président hondurien Ricardo Maduro regardant avec stupéfaction des clichés de « Pepe » publiés dans ce même journal. Il était cité déclarant, « ils causent un grand tort au pays », observant que ces supposés éco-guerilleros ont l’air de « Zapatistes ou de membres du Sentier Lumineux ». Etait aussi citée sa promesse de sanctions: « Je ne permettrai l’existence d’aucun groupe armé engendrant de la violence. Je ne veux pas savoir de quel côté ils se trouvent, car dans ce cas, il n’y a aucune justification. » Le Père Tamayo y était également cité affirmant que le mystérieux Pepe et ses sbires seraient en fait un coup monté des gangs du bois « pour discréditer le mouvement. »

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